Anca Măgureanu LA STRUCTURE DIALOGIQUE DU DISCOURS Anca Măgureanu LA STRUCTURE DIALOGIQUE DU DISCOURS editura universității din bucurești *' 2008 Referenți științifici: Prof. univ. dr. ANCA COSĂCEANU Lector univ. dr. MARINA PĂUNESCU Colecția: Științe ale limbajului © editura universității din bucureștiK Șos. Panduri, 90-92, București - 050663; Telefon/Fax: 410.23.84 E-mail: editura@unibuc.ro Internet: www.editura.unibuc.ro Tehnoredactare computerizată: Victoria lacob Descrierea CIP a Bibliotecii Naționale a României MĂGUREANU, ANCA La structure dialogique du discours / Anca Măgureanu - București: Editura Universității din București, 2008 Bibliogr. ISBN 978-973-737-472-1 808 TABLE DES MATIERES AVERTISSEMENT .................................................... 9 INTRODUCTION .................................................... 11 O.Du langage en action ă l’action du langage ................ 11 l.Lediscours .................................................. 12 2. Semiotique et praxeologie................................. 22 2.1. La semiotique de Ch. S. Peirce ....................... 23 2.2. Syntaxe, semantique, pragmatique ..................... 26 2.2.1. Semantique vs pragmatique........................ 37 2.2.2. La triade reorganisee ........................... 43 2.3. Approche praxeologique du discours.................... 45 2.4. Pragmatique vs theorie de la performance.............. 49 3. Conclusions .............................................. 53 ELEMENTS DE PRAXEOLOGIE LINGUISTIQUE ............................ 56 0. Elements de praxeologie generale ......................... 57 l .Concepts de base en praxeologie linguistique ............ 74 1.1. L ’ agent discursif................................... 74 1.1.1. Le sujet en linguistique ........................ 74 1.1.2. L 'agent discursif............................... 80 1.1.3. L’agent intrasubjectif........................... 94 1.1.4. Conclusions .................................... 105 1.2. L ’univers de discours............................... 106 1.2.1. Definition...................................... 106 1.2.2. Description .................................... 114 1.2.3. Modalisation et motivation ..................... 118 1.2.4. Conclusions .................................... 126 1.3. La situation discursive.............................. 127 1.3.1. Historique du probleme ......................... 127 1.3.2. L’univers commun de discours ........................ 130 1.3.3. L’univers commun de discours et l’interpretation semantique................................................... 136 1.3.4. Conclusions ......................................... 138 1.4. L’acte de discours......................................... 140 1.4.1. L’acte de langage ................................... 142 1.4.1.1. Perfbrmatif vs Constatif..................... 144 1.4.1.2. L’illocutoire................................ 147 1.4.1.3. Que reste-t-il de la performativite ?........ 151 1.4.1.4. Le verbe per formati f....................... 153 1.4.1.5. Le perlocutoire : une theorie des effets .... 165 1.4.1.6. Searle revisite.............................. 173 1.4.1.7. Le second Searle ............................ 178 1.4.1.8. Transition: l’acte de langage dans la vision de Peirce................................................. 181 1.4.2. L ’acte de discours.................................. 185 1.4.2.1. Convergences ................................ 186 1.4.2.2. La structure de l’acte de discours .......... 189 1.4.2.3. Un exemple .................................. 194 1.4.2.4. La co-action discursive: comprendre........ 200 1.4.2.5. L’operation performative .................... 217 1.4.2.6. Modele logique............................... 227 1.4.2.7. Conclusions: acte de langage vs acte de discours .............................................. 234 1.4.3. Typologie des actes de discours ..................... 237 1.4.3.1. Etat du sujet................................ 237 1.4.3.2. Clarifications .............................. 244 1.4.3.3. Les pratiques discursives.................... 248 1.4.3.4. Les actes/discours institutifs............... 253 1.4.3.5. Les actes/discours metadiscursifs............ 268 1.4.3.6. Conclusions ................................. 274 CONCLUSIONS.......................................................... 275 0. Structure dialogique de l’acte de discours et/ou du discours .... 275 1. Le dialogisme ................................................... 276 1.1. Bakhtine................................................... 276 1.2. Le dialogisme linguistque ................................. 281 1.3. Le dialogisme en philosophie............................... 288 1.4. Le dialogisme pragmatique ................................. 296 6 2. Le dialogue ............................................ 297 2.1. L 'unite minimale dialogate ........................ 298 2.1.1. La reponse .................................... 301 2.1.2. Le dialogeme .................................. 305 2.2, Le dialogue: modele syntaxique...................... 312 2.3, Le dialogue: modele dynamique ...................... 320 2,4, Conclusions ........................................ 329 BIBLIOGRAPHIE .............................................. 331 7 AVERTISSEMENT Cet ouvrage est une refonte de la premiere pârtie de notre these de doctorat. Une analyse du dialogue romanesque etait alors visee, qui nous a semble exiger des clarifications prealables sur la problematique du discours considere comme « la realite fondamentale de langue » (Bakhtine) et en particulier sur l’acte de langage, unite de base de l’action discursive. Depuis, le champ des theories sur le langage, quel que soit l’encadrement epistemologique, a connu un enrichissement dont on ne peut que se rejouir: philosophie du langage, hermeneutique, cognitivisme, semiotique, pragmatique ou analyse du discours, theories de l’argumentation, autant de directions de recherche qui ont apporte, chacune, son point de vue et des developpements parfois divergents, le plus souvent convergents, ont dessine la configuration de ce champ dont la complexite impose au chercheur un choix difficile et toujours reductif. Nous avons procede â une necessaire mise â jour consecutive aux diverses lectures que nous avons pu faire depuis l’epoque de la preparation de notre these, qui ont enrichi et parfois amende notre position, sans toutefois la modifier. En effet, nos hypotheses fondamentales sur le discours et l’acte de discours se sont vues confirmer par certaines de ces lectures et c’est cette convergence de positions que nous avons tente de mettre en evidence, au risque de sacrifier parfois la coherence et la simplicite de la presentation. La these fondamentale ici soutenue est la nature d’action intentionnelle de l’acte de discours et nous avons choisi de maintenir notre reflexion dans le plan d’une praxeologie langagiere. Le discours est l’activite d’une instance discursive qui produit du sens, moyennant 9 l’usage d’un code symbolique. La praxeologie langagiere s’inscrit donc dans le domaine de la semiotique telle qu’elle fut construite par Charles S. Peirce. La theorie des actes de langage fondee par John L. Austin est une seconde source de reflexion, amendee par Ies suggestions de la semiotique de M. Bakhtine. Enfin, la rencontre de la philosophie du langage developpee par Francis Jacques a eu une importance toute particuliere : â partir de la constatation qu’ « un des problemes resolus â tâtons par le langage est celui de la participation pleine et entiere de l’Autre dans le fonctionnement du discours », la recherche de F. Jacques nous est apparue comme une reflexion sur la problematique de l’Autre dans le langage. Ici, le concept de dialogisme, de source bakhtinienne, s’imposait, et F. Jacques s’attache â soutenir le these du discours comme « mise en communaute » de l’enonciation et du sens. C’etait la these que nous defendons egalement, en faisant de l’acte de discours l’acte produit conjointement par un locuteur et un auditeur qui partagent la meme fonction d’agent du discours, condition de l’accomplissement d’un acte de discours reussi. L’acte de discours a ainsi une structure dialogique/dialogale et la communication est interaction. Nous avons choisi de suivre dans l’expose des themes discutes une direction allant de la praxeologie generale vers la praxeologie langagiere, de la discussion des concepts defmissant Ies entites constitutives de l’acte de discours : agent, situation d’acte, faire discursif vers l’elaboration de la these de l’acte de discours dialogique. Des reprises ont ete parfois necessaires, et que nous assumons, surtout dans la discussion des theories avec lesquelles nous sommes entree en dialogue. L’infmie richesse du domaine ici discute, la pertinence des points de vue differents qui apportent chacun une pierre â l’edifice multidisciplinaire, nous ont donne le sentiment que ce travail est loin d’etre acheve. Nous avons toutefois eu la temerite de publier cette recherche, comme une etape non encore finalisee de notre reflexion. Que le lecteur veuille bien accepter cette excuse. Nous remercions tous ceux qui ont eu la patience d’attendre que ce travail soit publie. Ce livre est dedie â celle qui n’a pas eu le temps de le faire, ma soeur, Simona. 10 INTRODUCTION 0. Du langage en action ă l'action du langage Confine pendant preș d’un demi-siecle dans le systeme rigide construit par l’ambition structuraliste, le langage recouvre droit de cite dans les zones contaminees par l’intrusion de la pensee logique ou philosophique et finit par « s’encanailler» au contact d’une realite dont il a mission de parler et d’un utilisateur qui en use et l’use en meme temps. Apres une longue periode de calme descriptif, les linguistes ont du quitter cette terre stable pour s’attacher â expliquer comment fonctionne ce systeme complexe de signes, autrement dit comment un usager peut se servir de cet instrument symbolique pour exercer une action qui n’est pas linguistique (il ne s’agit donc plus de la production de ces echantillons de systeme que sont les phrases produites par les grammairiens), mais sociale, interpersonnelle ou bien cognitive, heuristique. II s’agit donc d’expliquer l’action du langage dans la communaute humaine â travers la saisie de cette action ou activite langagiere meme, de ce langage en action qui domine la vie quotidienne, les contacts humains ainsi que le contact de l’homme avec la realite qu’il s’efforce de maîtriser. L’objet de ce livre est le discours, qui peut etre defini, dans une premiere approximation, comme langage en action. En effet, le discours mobilise les ressources offertes par le systeme d’une langue naturelle et les met â profit dans une action accomplie par un agent locuteur qui produit ainsi des objets : phrases, enonces ou textes - selon les diverses approches descriptives - de nature semiotique. 11 Or, la production de ces objets semiotiques ne constitue sans doute pas le but de l’action discursive des locuteurs ; le discours est action dans la mesure ou il produit un changement dans un etat du monde, physique, psychique ou social. On peut parler donc d’une action du langage sur le monde, la langue jouant ainsi le role d’instrument d’une action qui assure en large mesure la survie de l’homme dans son milieu. Dans une acception plus large, le discours - en tant que langage en action et action du langage â la fois - est mise en forme de la pensee (discursive), de l’activite cognitive et, dans la communication, instrument constitutif des rapports discursifs et/ou sociaux : communicare c’est « etre en relation avec ». 1. Le discours Objet de notre reflexion, le concept de discours est ici fondamental. Or, le terme a acquis de nombreuses acceptions, dans la langue courante ainsi que dans le ‘discours’ des specialistes en divers domaines. En effet, la polysemie du terme correspond â la multiplicite d’objets d’etude construits sur des bases theoriques et methodologiques diverses1. II convient donc d’examiner brievement l’historique de la recuperation de cet objet concret : l’interaction verbale, dans diverses disciplines. On pourra constater qu’au-delâ des divergences une convergence se precise autour de quelques theses fondamentales. Le moment saussurien marque une disjonction qui semblait definitive entre Ie caractere systemique, social et necessaire de la langue, objet d’etude de la linguistique, et le caractere processuel, individuel et contingent de la parole, releguee, car insaisissable, au- delâ des frontieres de cette discipline : 1 Pour une presentation de la polysemie du concept de discours cf. â titre d’exemple Maingueneau (1971, 1995, 1997, 1998), Greimas, Courtes (1979), Tuțescu (1998). 12 L’activite du sujet parlant doit etre etudiee dans un ensemble de disciplines qui n’ont de place dans la linguistique que par leur relation avec la langue. (Saussure, 1916/1968, p. 37) Or, chez Saussure la description de la parole comme le lieu de manifestation de 1’inițiative et de l’intentionnalite, ainsi que de la creativite du locuteur nous paraît annoncer - tout en excluant, dans la lignee des ‘paradoxes saussuriens’ - l’avenement d’un possible objet d’etude pour une future discipline : la semiologie focalisee sur l’etude de « la vie des signes au sein de la vie sociale ». Tout en patronnant la linguistique en tant que discipline generale, elle a, â son tour tout interet â accepter celle-ci comme patron, vu Ie caractere « pur » de l’institution de la langue2. La parole, en tant qu’action du sujet parlant, semble se plier elle aussi â des conventions, et Ies signes constitutifs des divers systemes de signes sont, â des degres differents, arbitraires. Serait-ce ici le troisieme lieu, ni langue, totalement contrainte, ni parole libre, mais plutât ensemble de mecanismes regles, regularites de comportement, conventions, principes impliques par l’usage de tout systeme symbolique ?3 Un second argument, de moindre importance: le signe linguistique est assimile, plus ou moins implicitement par Saussure â une unite morphologique. Or, en parlant, le sujet locuteur produit des phrases, et non des signes isoles ; mais, la phrase est le lieu de la manifestation de l’individu, du non systematique, du contingent, en un mot de la parole. La richesse de la pensee saussurienne a permis que des directions d’etude, parfois contradictoires, s’en revendiquent. 2 Saussure considere que « La linguistique n’est qu’une pârtie de cette Science generale, Ies lois que decouvrira la semiologie seront applicables â la linguistique », mais egalement que «la langue, le plus complexe et le plus repandu des systemes d’expression, est aussi le plus caracteristique de tous ; en ce sens la linguistique peut devenir le patron general de toute semiologie, bien que la langue ne soit qu’un systeme particulier » (Saussure, 1916/1968, p. 33 et 101) 3 Cf. egalement Parret, 1987, p. 78. 13 La mefiance saussurienne envers la liberte individuelle dans la parole se reflete dans le choix d’un discours sans sujet, produit par les mecanismes sociaux d’une formation discursive, instaurant un « ordre du discours » en relation avec et â l’image de l’ordre social, car dans toute societe la production du discours est â la fois controlee, selectionnee, organisee et redistribuee par un certain nombre de procedures qui ont pour role d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’evenement aleatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable materialite (Foucault, 1971, p.l 1). Ainsi caracterise, place entre les regles du systeme et le reglement des formations discursives, le discours, parole saussurienne privee de toute trace de subjectivite, devient « machine discursive » mise en marche par le tissu historico- social : cette acception et consequemment le modele descriptif adequat reunissent le groupe de chercheurs en linguistique discursive autour de M. Pecheux. Mais le sujet locuteur n’etait pas facile â contoumer. Pour beaucoup de ceux qui avaient postule l’isomorphisme structurel entre leur propre objet d’etude - souvent appele discours (quelle qu’en fut l’acception), et le systeme linguistique pour accepter l’autorite du modele linguistique - et il en fut ainsi pour des narratologues, des anthropologues, des psychanalystes, le sujet producteur etait identifiable au niveau de 1’objet produit; il pouvait, ou il de vait, etre reconstitue â partir des « traces » que 1’activite productive - le discours - laissait dans 1’objet produit. En linguistique se constitua ainsi, â la suite de la pensee de Benveniste, une theorie de l’enonciation qui etait, dans la vision de son fondateur, une theorie de la subjectivite dans le langage. Les concepts correlatifs et interdefmissables d’enonciation et ftenonce se precisent sur l’arri ere-fond saussurien : l’enonciation est l’appropriation individuelle du systeme de la langue par le sujet locuteur lors d’un acte de discours qui produit un enonce. Le concept de discours, devient en fait synonyme d’enonciation : II faut entendre discours dans sa plus large extension: toute enonciation supposant un locuteur et un auditeur et chez le premier / ’intention d ’influencer l ’autre en quelque maniere. (Benveniste, 1966, p. 241-242 ; nous soulignons) 14 La defmition met en valeur Ie role du sujet (locuteur/auditeur) caracterise par une intentionnalite et dont l’acte produit une modification - la modification de l’autre, lui-aussi potentiel locuteur; la nature interlocutive, dialogique du discours est ainsi un trăit constitutif. Pourtant ces intuitions benvenistiennes perdent de leur force dans le refus du philosophe d’accepter le discours (l’enonciation) comme objet d’etude, une fois que l’auteur n’y voit qu’une manifestation individuelle, discrete, unique, de la volonte du sujet (Benveniste, 1966, chap. V). Le linguiste se resigne donc â surprendre Ies « indices specifiques » que la presence du sujet dans son acte d’enonciation laisse dans l’objet produit, l’enonce. II s’agit donc de decrire un sous-systeme de la langue naturelle (l’appareil formei de l’enonciation) constitue d’entites â fonctionnement (referentiel) particulier, Ies deictiques. Le processus d’enonciation ou discursif reste, une fois de plus, non saisi car, dans cette vision, insaisissable. Remarque. Rappelons que le terme de discours, utilise rarement par Benveniste dans son acception large comme synonyme & enonciation, sera reserve pour designer une modalite particuliere d’enonciation qui choisit le locuteur comme point de repere central de sa representation du monde et manifeste ainsi pleinement l’accession du sujet ă la place de sujet locuteur qui construit cette representation du monde; au contraire, l’enonciation historique (recit) efface Ie sujet et consequemment toute reference â la situation actuelle de discours. II existe un point de convergence entre Ies deux attitudes que nous venons de rappeler - discours sans sujet, regi par des mecanismes socio-historiques et discours constitutif du sujet qui se laisse ainsi « deviner » grâce aux empreintes dont il marque l’enonce produit: le discours est action et releve ainsi du niveau praxeologique, s’opposant â V enonce/m texte, objet linguistique et/ou logico- semantique produit par cette action. En linguistique toutefois, de nombreux auteurs, soucieux de ne pas franchir Ies limites du champ disciplinaire, placent ces deux concepts dans le meme plan - linguistique, et en font deux objets issus d’une perspective d’etude differente: ainsi, le discours (parfois 15 l’enonce) est I’unite linguistique transphrastique consideree du point de vue de sa production et/ou reception (Ducrot, 1972 ; Fillmore, 1977). Le discours, sorte de texte dans le contexte, est un objet impur, contamine par l’extralinguistique - locuteur, situation, referent - inaccessible donc â l’analyse linguistique : il suffit d’eliminer Ies traces de cette contamination pour retrouver le systeme de regles grammaticales regissant le code linguistique. Toute proposition de reduire Ies phenomenes de nature pragmatique - en particulier Ies phenomenes discursifs - â des mecanismes semantiques4 temoigne de cette mefiance face â l’irruption dans le champ structure du texte linguistique des mecanismes actionnels qu’un sujet locuteur met en oeuvre afin de realiser ses intentions discursives et/ou sociales au moyen de la production d’un enonce/texte. La theorie de l’enonciation se fonde donc sur quelques choix pre-theoriques : - le locuteur agit (parle) et produit un objet linguistique (mot, phrase ; enonce, texte); - cette activite ne peut pas etre decrite car elle ne fait pas systeme ; - 1’objet ainsi produit porte Ies traces de l’activite dont il est le resultat; - ces traces sont linguistiques et appartiennent donc au systeme de la langue; elles peuvent etre decrites en tant que telles. Emerge ainsi une nouvelle approche de l’opposition conceptuelle. Pour certains, le discours est le support materiei, objet concret de la perception que le recepteur trăite selon sa competence linguistique (et textuelle, qui n’est qu’une extension de la premiere) afin de reconstruire le texte, objet cognitif abstrait5. 4 L’exemple prototypique de cette attitude serait l’option de Ducrot en faveur d’une pragmatique integree. 5 Robert Martin (1983, p. 228) propose une configuration conceptuelle interessante : le texte, ensemble organise d’enonces qui constituent la « seule realite observable », est oppose â la langue et au discours, objets possibles, ensemble fini de signes et de regles et, respectivement, ensemble infini des phrases possibles ; par ce biais, l’auteur elimine lui aussi le discours du champ des etudes linguistiques. 16 Cette perspective rejoint la reflexion generativiste. Chronologiquement, Harris (1952/1969) essaye le premier de proposer une description du discours et, s’il utilise le couple terminologique de fapon inverse, le discours etant l’organisation syntaxique du texte (les relations paradigmatiques de co-occurrence des constituants textuels), l’opposition est egalement fondee dans une difference de niveau. Harris introduit aussi l’idee que la structure textuelle est redevable d’un certain type de relations entre le texte et les conditions de sa production. Remarquons que ces regles de co-occurrence mises ă jour par Harris sont censees, selon l’auteur, caracteriser un texte ou un groupe de textes, Harris deniant la possibilite de construire une theorie generale du discours. Au sein du generativisme «classique» de Chomsky, discours et texte sont en fait des concepts peu utilises, car non pertinents dans ce cadre theorique. La grammaire generative se propose de decrire « la realite mentale qui sous-tend le comportement concret» (Chomsky, 1957, p. 4), les regles d’une grammaire universelle capables d’engendrer les phrases correctes dans une langue naturelle donnee et qui constituent la competence d’un locuteur-auditeur ideal, c’est-â-dire debarrasse de toute contingence, externe ou interne, due aux conditions concretes dans lesquelles il parle/agit. Une theorie de la performance est egalement envisagee - non sans condescendance - par Chomsky, mais la/les performance(s) est/sont censee(s) fournir les donnees concretes que le linguiste generativiste utilise dans sa recherche de l’absolu d’une structure profonde. Evoluant d’une position de souche saussurienne vers un modele de type generatif, Greimas definit le texte comme « l’ensemble des elements de signification » (Greimas, 1966, p. 145) situes sur une isotopie, et le discours comme « le plan de la manifestation des semes oii ceux-ci se realisent en lexemes et en combinaisons de lexemes» (ibid., p. 31; cf. egalement Greimas, 1976b). Afin de pouvoir etudier le texte, il est necessaire d’y appliquer une procedure de « normalisation», c’est-â-dire d’en retrancher les « categories linguistiques relevant de la situation non 17 linguistique du discours » (Greimas, 1966, p. 153; nous soulignons) - cette operation assurant l'objectivation du texte6. Le discours finit par designer un objet ambigu, relevant de la manifestation linguistique, et servant â foumir le materiau pour la recherche de categories constitutives du texte, objet abstrait de nature semantico-logique. Ce type d’emploi du couple conceptuel pour designer Ies deux faces d’un meme objet - la face «externe», variable, instable, soumise aux aleas du contingent et la face « interne », constante, necessaire - explique la tendance â utiliser Ies termes avec une certaine negligence, temoignant dans la plupart des cas d’une Identification des deux concepts7. Le generativisme, qu’il soit chomskyen ou greimassien, succombe â l’illusion etemelle du grammairien qui oublie que la langue est faite pour etre parlee, qu’il n’y a de discours que pour quelqu’un, et dans une situation : il [Chomsky] ne connaît et ne reconnaît (au moins implicitement) que le discours sans fin et â toutes fins et la competence inepuisable qui suffit â le rendre possible, discours qui est bon pour toutes Ies situations parce que reellement adapte â aucune. (Bourdieu et Boltanski, 1975 p. 23/26). Le discours et le texte accedent â un statut mieux defini et reconnu dans le cadre d’une linguistique fortement dominee par la reflexion philosophique autant sur la fonction du langage au sein de la societe humaine que sur Ies mecanismes cognitifs qui sous-tendent ce fonctionnement. Refusant d’accepter la reduction de la linguistique « â la seule 6 Greimas finit par configurer un modele du parcours generatif susceptible de rendre compte de tout phenomene semiotique. Le discours y occupe le niveau de surface et prend en charge la representation syntaxique et semantique des «structures semio-narratives» profondes (Greimas, Courtes, 1979, s.v. Discours, Generatif (parcours). 7 Nous citons, par exemple, la formule, pour nous incomprehensible : «text of discourse» (Gleason, in Grimes, 1975, p. 24), l’assimilation de la grammaire « dite textuelle » â 1’analyse du discours (Charolles, 1999, p. 76) et meme l’assimilation par Levinson (1983, p. 85) de la deixis discursive â la deixis textuelle. 18 grammaire ou uniquement aux questions non semantiques de forme externe, ou encore â l’inventaire des procedes denotatifs â l’exclusion des variations libres» Jakobson (1960/1963, p. 212-213) reprend la discussion des fonctions du langage et definit toute communication verbale au moyen des six facteurs inalienables, dont Ies participants, le contexte, le contact (physique et psychique) qui Ies met en relation, le code et le message. Meme si Jakobson, dans Ies limites du modele structural de son epoque et d’une vision mecaniciste de la communication, parlait de fonction du langage et non d'intention discursive, la voie est ouverte pour l’emergence de la problematique de l’intentionnalite discursive, ainsi que, sur cette base, celle d’une typologie des discours. Cette problematique gagnera progressivement du terrain linguistique, seuls quelques syntacticiens resistant encore â cet assaut. L’idee n’etait pas nouvelle : en parlant on fait quelque chose, on parle avec une intention et â l’intention de quelqu’un, la parole est un phenomene social et, pour realiser nos intentions communicatives, on est censes observer des conventions linguistiques et socio-culturelles (regles constitutives, normes d’usage ou regles procedurales). En tant qu’acte social, regi par des regles, l’acte de langage devient l’objet de la theorie mise en place par Austin, Searle et leurs disciples. Dans sa version « classique », la theorie des actes de langage semble etre (pour ce qui est d’Austin) ou est, dans la vision de Searle, une theorie des actes isoles («unites minimales de base de la communication linguistique», Searle, 1969/1972, p. 59), Searle deniant la possibilite de fonder une description du discours authentique sur le concept philosophique d’acte de langage8. Pourtant, l’acte de langage, et en particulier l’acte illocutoire, 8 Searle invoque comme arguments soutenant sa position l’inexistence ou la rarete des relations sequentielles entre actes, le fait que le discours (la conversation) n’est pas defini par un but et ne se deroule pas selon des regles, mais des regularites, le role de l’arriere-plan cognitif (Background) qui doit assurer la pertinence des enonces tout en etant construit par le discours : l’acte de langage est regi par des regles constitutives, le discours est une activite regie par des normes (Searle, 1992a, 1992b). Les autres articles reunis dans le volume (On) Searle on Conversation sont consacres â la discussion de cette hypothese searlienne (Verschueren et Parret (eds.), 1992) 19 est â la base de modeles descriptifs proposes par ce qu’on appelle aujourd’hui Vanalyse de/du discours ou par le modele conver- sationnaliste construit par l’ecole de Geneve reunie autour de E. Roulet. Le discours est defini comme un comportement social, soumis â des regles (conventions), dont certaines sont constitutives, d’autres normatives. C’est un ensemble structure hierarchiquement d’unites qui produisent un texte, c’est-â-dire une configuration cohesive d’unites signifiantes. L’accent dans cette direction de recherche est place sur ces conventions et sur la fa^on dont les usagers utilisent au mieux ces conventions en fonction des caracteristiques de la situation afin de realiser leur intention discursive9: autrement dit, sur le rapport central en pragmatique entre intention et convention. L’ethnomethodologie americaine, considerant le langage comme le moyen privilegie de construction des relations sociales et definissant 1’action communicative/le discours comme un evenement particulier, irrepetable, focalise la recherche plutot sur le niveau relationnel, psycho-social. Le discours, comme interaction verbale, a une structure principalement sequentielle reproduisant, mais tres librement, des «schemas d’action» ou des «types d’activite» socialement et/ou culturellement constitues et transmis auxquels correspondent souvent des genres discursifs que certains assimilent â une vraie « institution discursive » (Maingueneau, 1995, p. 7)10. 9 Pour une critique des capacites de l’analyse de discours - accusee de « monologisme radical» (Brassac, 1993) - â modeliser le discours cf. Moeschler, 1996, chap. X. 10 L’evolution de la conception de Maingueneau sur le discours est elle-meme un «symptome de [cette] modification dans la fațon de concevoir le langage », forgee sous l’influence grandissante de la pragmatique : defini en 1976 comme unite transphrastique, sous tendue par des structures complexes (regulations transphrastiques d’un grand niveau de generalite), integre â un intertexte, le discours et redefini en 2002 par un ensemble assez heteroclite de parametres : organisation transphrastique, orientation vers un interlocuteur et un but, action, interactivite fortement contextualisee, prise en charge par un locuteur, regie par des normes et integree dans un interdiscours. (Charaudeau, Maingueneau, 2002, s.v. Discours). Autant entite linguistique definie au 20 En resume, on distinguera deux types d’attitudes â l’egard du discours: (1) le discours est activite langagiere individuelle («parole», « enonciation » , « performance »); â ce titre, on peut: (i) soit refuser de l’integrer â une etude linguistique et le releguer dans le champ d'autres disciplines (approche structuraliste); (ii) soit essayer d'en saisir le mecanisme moyennant l’etude de la manifestation de l’acte d’enonciation dans l’objet qu’il produit, l’enonce (theorie de l’enonciation). (2) le discours est activite langagiere â caractere social, reposant sur des conventions; il est alors possible et necessaire d’en rendre compte au moyen d’une theorie, â savoir une theorie du discours ou de la production textuelle ; on peut: (i) soit etudier la structuration du texte, con^ue comme discours (approche de Harris) ; (ii) soit etudier la structure de cette activite meme et Ies rapports qui la rattachent â la forme linguistique (theorie des actes de langage). C’est cette demiere attitude que nous avons adoptee : discours et texte referent â des objets ontologiquement et fonctionnellement differents : le discours est action, plus exactement structure actionnelle, schema comportemental alors que le texte en est le resultat, objet semantico-logique dont le siege est le psychisme des participants â l’acte de discours. Nous proposons une nouvelle distinction : si le texte est defini comme une structure logico-semantique, le terme d'enonce designera le support materiei perceptible, de nature verbale. Le texte et le discours, designent le premier une entite mentale (une structure significative), le second une structure actionnelle et s’opposent niveau transphrastique qu’action, le discours nous semble dans cette description une entite dont l’ambiguite risque de faire echouer toute tentative de description. 21 ensemble â Venonce qui est la manifestation linguistique concrete d’un texte et/ou d’un discours occurrence(s), produit effectivement par un individu dans une situation de communication donnee11. Dans la perspective ouverte par la semiotique de Ch. S. Peirce12, le discours peut etre assimile â l’acte meme de semiose, de construction triadique du signe : le texte est le resultat de cette mise en relation triadique d’un signe - enonce, qui represente un objet, etat du monde ou cours d’evenements semiotise (objet immediat) et du signe interpetant ce rapport representatif pour produire du/un sens qui est le texte. Le discours est donc l’activite autant productive qu’interpretative dont le resultat est une structure significative, le texte. Notre reflexion est centree sur le discours en tant qu’interaction sociale. Elle se place dans la lignee d’une theorie semiotique dans la mesure oii le champ semiotique est celui de l’interaction sociale symbolique. Dans ce qui suit des precisions seront faites sur les rapports qui peuvent etre etablis entre une theorie du discours et une theorie generale de l’action par le biais d’une theorie semiotique. 2. Semiotique et praxdologie Une premiere hypothese metatheorique de cette recherche est l’adequation de la perspective semiotique, et en particulier pragmatique, â l’etude du discours. Definie comme etude des systemes de signes, la semiotique a connu une evolution parallele aux courants predominants dans la conception du signe. 11 Dans nos publications anterieures, pour eviter toute confusion, nous avions propose pour cet objet perceptible produit par le discours le terme message. Nous y renonțons par souci d’economie terminologique. 12 Pour un bref rappel de la conception semiotique de Peirce, cf. ci-apres et 1.4.1.8. 22 2.1. La semiotique de Ch. S. Peirce Ch.S. Peirce place au centre de sa reflexion philosophique le signe (phenomene, idee) defini comme : tout ce qui est present â l’esprit sans considerer aucunement si cela correspond â quelque chose de reel ou non (1. 28413) Un objet, une personne, un evenement - et donc un evenement de parole, la representation dans l’esprit d’un evenement passe ou futur, tout est idee-signe. Ce que tous ces phenomenes ont en commun c’est leur commune possibilite de se manifester selon trois « modes d’etre » : possibilite, fait ou loi (1.23). Une qualite est « un pur peut- etre. Son seul etre consiste dans le fait qu’il pourrait y avoir une telle talite particuliere, positive dans un phaneron » (1.356). A la categorie du fait il incombe Ies proprietes de contingence («c’est-â-dire accidentellement actuel», 1.427) et d’evenementialite ; l’evenement est lutte, c’est-â-dire « action reciproque de deux choses » (1.322). La loi, c’est « la pensee dans son role de gouvemeur de la secondeite [...] C’est la pensee informante ou connaissance » (1.537). Le signe, ou representamenXA est: Quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un sous quelque rapport ou â quelque titre. II s’adresse â quelqu’un, c’est-â-dire il cree dans l’esprit de cette personne un signe equivalent ou peut-etre un signe plus developpe. Ce signe qu’il cree, je l’appelle l’interpretant du premier signe. Ce signe tient lieu de son objet. (2.228) 13 Nous citons, selon l’usage, l’edition des Collected Papers de Peirce (1931- 1935), en indiquant le numero du volume, puis celui du paragraphe. Nous avons utilise, quand ceci a ete possible la version franpaise due â Deledalle (1978) ainsi que celle proposee par Marty (s.d.); pour Ies fragments qui ne figurent pas dans ces ouvrages, nous avons prefere utiliser la version originale en anglais. 14 II est bien connu que l’evolution de la pensee de Peirce s’est accompagnee de changements terminologiques : le terme de representamen a rapidement cede la place au terme tout simplement de signe (cf. Marty, s.d.) 23 Le signe est donc une virtualite qui est actualisee dans le rapport â un objet, cette actualisation etant regie par une loi, une convention, un habitus. C’est l’acte meme de semiose qui constitue la triade semiotique, faisant que quelque chose devienne signe : Par semiosis j’entends [...] une action ou une influence qui est ou implique la cooperation de trois sujets, tels qu’un signe, son objet et son interpretant. (5.484) L’acte de semiose institue un rapport de representation entre deux phenomenes : le signe et son objet, mais ce rapport n’acquiert vraiment un sens que grâce â l’inter-medation d’un tiers, qui est la loi, 1’habitus, la convention interpretative. L’interpretant, condition suffisante pour qu’il y ait signe et sens, est sans aucun doute le principe meme constitutif du signe et de la semiose. II existe trois classes d’interpretants (en tant que signes) : ils peuvent se manifester sous n’importe quel mode d’etre : interpretant affectif, « le premier effet signifie d’un signe », « un sentiment que le signe produit» et un « sentiment de reconnaissance » ; 1’interpretant energetique, un effet qui implique un effort, et, fmalement, 1’interpretant logique : le seul effet mental qui puisse etre ainsi produit et qui ne soit pas un signe, mais qui soit d’une application generale [1’interpretant logique] est un changement d’habitude, si l’on entend par changement d’habitude une modification des tendances â l’action d’une personne, (5. 476, nous soulignons) Signification, intentionnalisme. L’interpretant apparaît comme une operation mentale produisant des effets dont l’ensemble constituerait la signification produite par l’acte de semiose. La Maxime du Pragmatisme exprime clairement cette conception d’une signification en termes d’effets produits sur l’esprit des participants â un acte de semiose : Considerer quels sont Ies effets pratiques que nous pensons pouvoir etre produits par 1’objet de notre conception : La conception complete de tous ces effets est la conception complete de l’objet. (5.402) 24 La signification n’est donc pas une propriete des mots, mais, comme le sera chez Austin, un ensemble d’effets que l’emploi du mot (qu’il s’agisse d’une experience empirique ou cognitive) produit; c’est le resultat d’une confrontation qui implique des forces en dialogue ; pareillement, la verite n’est pas, elle non plus, une propriete des propositions, mais depend des effets actuels de cette confrontation. La representation et l’interpretation, la connaissance du monde et la communication se trouvent reunies dans cette configuration triadique qui modelise l’acte de semiose. La semiose est un acte de langage, verbal ou non verbal. C’est un acte conventionnel dans la mesure ou c’est la presence de l’interpretant - convention, habitus - qui assure la possibilite meme de communiquer â travers le temps et « tous les esprits » (1.284) La semiose peirceenne a une seconde vertu integratrice : la signification presente l’objet dans ses trois modes d’etre selon la relation de representation qui peut etre iconique, et/ou indicielle et/ou symbolique : It is impossible to fmd a proposition so simple as not to have reference to two signs. Take, for instance, “it rains”. Here the icon is the mental composite photograph of all the rainy days the thinker has experienced. The index, is all whereby he distinguishes that day, as it is placed in his experience. The Symbol is the mental act whereby [he] stamps that day as rainy. (2.438) Cette description retrace le chemin de la proposition (signe virtuel, equivalent de la phrase en linguistique) au sens de l’enonce produit par son usage ; toute proposition, representant un etat du monde, a besoin, pour s’actualiser, d’instruments qui en font la representation d’un etat du monde identifiable (au moyen des deictiques, mais aussi des performatifs, des operateurs de referenciation, des modaux) ; pour etre comprise par l’autre, Ies regles et conventions qui regissent sa production doivent appartenir â l’arriere-plan cognitif partage des participants pour pouvoir etre identifiees. Les trois modes d’etre de l’objet sont ainsi constitutifs du processus de production - interpretation du sens. 25 Notons que dans la theorie peirceenne, le locuteur et/ou l ’auditeur - apparemment absents de la triade, sont recuperes ă travers une reduction logique aux seuls aspects pertinents de leurs actions respectives : remission/production et la reception/interpretation. Ces actions sont constitutives et donc indissociables de la signification. II est egalement â remarquer que cette description suggere le role determinant de l’activite interpretative, sans quoi il n’y a pas de signification possible. La these centrale de cet essai, le dialogisme de l’acte de/du discours developpe cette suggestion de la semiotique peirceenne en proposant une description « forte » de cette notion de dialogisme. 2.2. Syntaxe, simantique, pragmatique Un signe est donc un phenomene qui, de par sa constitution, doit pouvoir etre decrit dans sa nature de qualite, d’existant reel ou de loi generale, dans sa relation â l’objet ou selon la fa^on dont il est represente par son interpretant. II est donc possible d’adopter dans l’etude des signes trois points de vue differents, que Peirce designait par grammaire pure, logique proprement dite et rhetorique pure'5. Toutefois, comme il est bien connu, Peirce n’a pas exerce une influence directe sur la constitution de la semiotique, comme discipline. La triple perspective se retrouve, dans l’oeuvre de Morris (1946) ou chez Camap (1942), sous la forme des trois dimensions semiotiques : syntaxe (etude de la relation entre signes), semantique 15 La grammaire pure « a pour tâche de decouvrir ce qui doit etre vrai du representamen utilise par toute intelligence scientifique pour qu’il puisse recevoir une signification» (qui correspond, â notre avis, au sens linguistique); la logique est « la Science formelle des conditions de verite des representations » ; la tâche de la rhetorique est « de decouvrir Ies lois grâce auxquelles dans toute intelligence scientifique un signe donne naissance â un autre, et en particulier une pensee produit une autre pensee. » (2.229) 26 (etude de la relation signe - objet), pragmatique (etude de la relation signe - usager). L’activite semiotique de production de la signification au moyen des signes d’une langue naturelle est cette action qu’on a appelee discours. Le discours est donc redevable de cette triple description, selon que l’on se concentre sur la structure discursive, ou encore sur la signification des actes discursifs ou encore sur Ies mecanismes sous-jacents aux actes de production/interpretation. Toute theorie linguistique fait intervenir au moins trois composantes ou modules entrant en interaction Ies uns avec Ies autres : la syntaxe, la semantique et la pragmatique. (Moeschler, 1996, p. 23) Sans insister sur Ies dimensions syntaxique ou semantique, il convient toutefois de preciser le domaine ici assigne â la recherche pragmatique, ainsi que Ies rapports d’interaction qui relient ces trois types de demarches; une distinction sera enfin etablie entre pragmatique et theorie de la performance, afin d’introduire des limitations qui nous semblent necessaires dans l’etape actuelle du developpement de la pragmatique, afin d’eviter qu’elle ne soit affaiblie par le deșir de certains d’integrer â son champ d’etude Ies acquis de toutes Ies Sciences ou disciplines s’etant occupees, plus ou moins directement, de la parole ou encore de la communication. Syntaxe, semantique et pragmatique. Les trois disciplines ont connu une fortune diverse. Alors que la syntaxe avait ete precedee par une longue tradition d’etudes du code linguistique, alors que le rapport du signe â son objet a ete immediatement assimile au probleme logique de la veri te, autrement dit au rapport concept - classe d’objets, le rapport pragmatique entre l’usager - quarte instance, absent du triangle - et le signe n’avait jusque la que peu d’histoire en linguistique, mais occupait une place centrale dans d’autres disciplines telles que la psychologie, l’ethnographie ou la sociologie. Cette dissymetrie etait pourtant occultee par une definition de la pragmatique analogue â celle des deux autres disciplines semiotiques : l’etude du rapport du signe et d’une autre entite. Or, l’usager n’est pas 27 une instance analogue aux deux autres - signe ou objet, mais l'agent qui etablit les deux autres rapports, poursuivant en ceci une intentionnalite dont le domaine n’est plus â situer dans le champ du signe. VS acte semiotique ou la semiose n’est pas la simple mise en rapport des trois entites du triangle semiotique ; c’est un acte de conversion des entites biplanes que sont les signes saussuriens, entites virtuelles appartenant â un code, en signes, c’est-â-dire en signes de quelque chose pour quelqu'un. Cet acte n’est jamais une fin en soi. Selon Peirce, la semiose vise â eclaircir la pensee â travers une chaîne d’interpretants crees par une serie theoriquement infinie d’actes de semiose. Une modification s’ensuit de l’etat cognitif du sujet - emetteur et/ou recepteur. Mais une telle modification signifie en meme temps l’instauration d’un nouveau rapport cognitif entre les participants ainsi que d’un rapport dans le plan des relations interpersonnelles et sociales. La pragmatique se donne comme objet d’etude ces mecanismes qui permettent aux usagers d’etablir (instaurer, modifier, briser) entre eux un rapport cognitif dans le contexte de l’etablissement d’un rapport interpersonnel et social et au moyen d’entites appartenant â un code symbolique. II existe, selon Parret (1981, p. 141), deux approches possibles de la pragmatique : la premiere, minimaliste, est issue de la tricho- tomie initialement proposee par Morris ; la seconde, maximaliste, provient directement de la pensee de Peirce et fait de la pragmatique la discipline integrante de la theorie linguistique. C’est â cette demiere position que nous nous rallions. Une theorie sera par consequent pragmatique parce que : 1. elle decrit un objet de nature pragmatique ; 2. elle construit son objet de connaissance en tant qu’objet pragmatique. La premiere attitude, qui correspond â l’approche minimaliste est fondee dans une conception fortement attachee â la perfection du code: systematicite, stabilite, objectivite, en somme proprietes difficilement assignables â une langue naturelle. La solution etait donc de construire une/des langue(s) artificielle(s), parfaite(s), sorte de syntaxe (expressions et regles de combinaison) engendrant toutes les 28 phrases et seulement Ies phrases « sensees », c’est-â-dire vericon- ditionnelles. Par ailleurs, syntaxe et semantique du systeme sont autonomes, et la semantique interprete sans reste toutes Ies formules engendrees par la syntaxe. Les autres formules, «non sensees» : contenant des deictiques, des expressions performatives, des phrases non declaratives, des expressions modales et autres « subjectivemes », se retrouvaient repoussees dans une marginalite qui fut longtemps ignoree des constructions scientifiques. Ce sont ces phenomenes, qui furent â l’origine jetes â la « poubelle pragmatique » selon la boutade bien connue de Bar-Hillel, qui imposerent cette sorte de « troisieme dimension » ou perspective du/sur le langage. Releguee au rang d’ « etude empirique des langues naturelles » (Camap, 1947/1972, p. 298), la pragmatique a donc pour objet d’etude des phenomenes observables qui permettent des hypotheses inductives ou, mieux, des abductions, mais dont les resultats sont toujours soumis â l’erreur. Camap ne nie pas l’impor- tance de la pragmatique : elle est necessaire « pour comprendre le comportement des individus ainsi que le caractere et l’evolution d’une culture dans son ensemble » (ibid, p. 299)16. La reaction des linguistes aspirant ă la rigueur du modele logique repose sur l'hypothese suivante : (I) il existe une langue-objet L, â laquelle on associe une metalangue (descriptive) ML ; (II) on admet que L est constituee de plusieurs sous-langues {Lh Lj, Lk,...,} dont une - soit Lk - comprend la classe des expressions de nature pragmatique ; (III) on associe â chaque sous-langue Lh Ljt Lk une meta-langue MLh MLj, MLk, dont une - soit MLk - est pragmatique parce qu’elle decrit une sous-langue Lk â caractere pragmatique. 16 II faut toutefois remarquer chez Camap la reconnaissance de la possibilite d’une pragmatique theorique, rendue necessaire par 1’epistemologie (Camap, 1947/1972, p. 316). 29 Une telle demarche : (i) suppose acceptee la premisse selon laquelle il serait possible d’isoler dans une langue naturelle des sous-systemes d’entites de nature pragmatique (deictiques, etc.), et (ii) limite la description pragmatique â cette seule classe de faits de langue de nature pragmatique. La pragmatique apparaît dans cette perspective comme une discipline hybride, venant â la rescousse de la syntaxe et de la semantique pour rendre compte, par des Solutions souvent ad hoc. des phenomenes dans l'explication desquels Ies deux autres disciplines avaient echoue. La solution, â premiere vue correcte, s’avere â la reflexion hâtive. Reconsiderons le cas de la deixis. premiere categorie d’entites specifiquement linguistiques, car bannies du champ de la logique. En effet, pour Ies logiciens, Ies deictiques jouent le role de trouble-fete. Ce sont des variables dont Ies valeurs sont determinees d’une fa^on ou d’une autre dans la situation de discours â chaque fois qu’elles sont utilisees. Russell, par exemple, definit ces « particules egocentriques », pronoms et deictiques caracterises par un rapport « ambigu » â leur objet: Le pronom est un particulier, mais â statut ambigu, et ce n’est que par le contexte ou Ies circonstances que nous definissons de quel particulier il tient la place. Le mot « maintenant» est un particulier, c’est-â-dire le « moment present» ; mais, comme Ies pronoms, il est ambigu, puisque le moment est toujours en train de changer (Russell, 1912/1972, p. 108) Cette ambiguite est due â la nature de 1’objet - un particulier - et met en cause la possibilite d’un traitement vericonditionnel de la phrase. Ainsi l’enonce : (1) Je suis passe hier chez toi, mais tu etais absent. ne peut recevoir une valeur de verite qu’apres l’identification des individus « montres » par l’emploi des deictiques je. tu. hier. La presence massive des deictiques dans Ies enonces produits en langues naturelles a fini par determiner certains auteurs â essayer 30 de construire des modeles logiques, des langages susceptibles de surprendre non seulement la verite logique, mais aussi la verite en contexte, en integrant au langage descriptif des points de reference, ou des « coordonnees contextuelles » indiquant le locuteur, le recepteur ou le referent (Montague, 1966 ; Lewis, 1970/1971). Sous Tinfluence des logiciens, les linguistes â leur tour estiment que les deictiques constituent une categorie particuliere d’unites linguistiques, des mots «grammaticaux» â valeur strictement fonctionnelle et depourvus de sens. Ils se constituent en « appareil formei de l’enonciation » et inscrivent le sujet locuteur dans l’enonce. Cette these de Benveniste, suivie par la plupart des auteurs, a l’avantage, pour la linguistique, d’eliminer la problematique de l’extralinguistique en la reduisant aux seules relations exprimees linguistiquement par cette categorie particuliere de termes. Si beaucoup de linguistes suivent les logiciens dans leur faqon de defmir cette particularite17, reconnaissons â Benveniste le merite d’avoir deplacee cette particularite vers sa fonction enonciative, â savoir celle de « mettre le locuteur en relation constante avec son enonciation » (Benveniste, 1974, p. 82). Sont deictiques les morphemes de la categorie du temps, les adverbes spatio-temporels, les indices d’ostension (la deixis spatio-temporelle), les pronoms personnels (deixis personnelle)18. 17 Par exemple J. CI. Milner : « le pronom personnel peut designer n’importe quel etre, sans qu’on puisse determiner une classe bien defmie dont il serait en general la designation [...] Au contraire, bien qu’un nom ordinaire puisse designer des individus totalement distincts suivant les enonces, il reste toujours possible de defmir de maniere generale la classe des etres dont le nom est la designation» (1978, p. 198-99). Par consequent, les pronoms personnels sont â rapprocher des noms propres, avec lesquels ils partagent un faible degre de « saturation semantique » (Milner, 1982). 18 Comme les logiciens, les linguistes ont multiplie le nombre des types d’unites indicielles : Jespersen, l’un des premiers â avoir parle de deixis, dans Language, its Nature, Development and Origin, 1929 (apud Germain, 1973, p. 146) donnait comme exemple de shifters (classe de mots [...] dont la signification varie selon la situation\ aupres des classiques ici, moi, lă, elle, egalement pere, mere, ennemi, maison, en vertu de leur possible relation au locuteur. Les recherches 31 La pragmatique se definit - une fois l'hypothese de la nature particuliere de ces entites linguistiques acceptee - comme l’etude de tous les aspects relevant de l’acte d’enonciation. C’est dans cette perspective que s’est constituee la theorie de l’enonciation portant sur l’emergence du sujet parlant dans le texte qu’il produit: la pragmatique doit etre une discipline complementaire â la syntaxe et â la semantique, confinee â l’etude d’un sous-systeme d’entites linguistiques â caractere pragmatique19. A notre avis, cette approche appelle deux objections : la premiere concerne l’existence dans la langue d’une classe d’expressions linguistiques auxquelles incomberait en exclusivite la fonction ulterieures, effectuees dans des cadres theoriques et methodologiques plus ou moins differents, ont recupere dans le champ de la linguistique enonciative des notions telles que : appellatifs, verbes «performatifs», presupposition, sens implicite, valeur/orientation argumentative, etc. Certains parlent â l’heure actuelle de deixis pronominale, spațiale, temporelle, textuelle, discursive, sociale (Levinson, 1983). La classe des deictiques se verra par consequent enrichie de nouvelles unites : Kasher (1984) propose d’introduire au sein de cette classe d’entites une distinction entre deictiques « directs » (qcquaintance indexicals), qui correspondent aux deictiques linguistiques classiques, et les «deictiques descriptifs», expressions contenant un element indiciels, comme: / ’annee passee, le tableau de Rembrandt mentionne ci-dessus, etc. La distinction s’impose â Kasher suite â l’adoption d’une conception cognitiviste modulaire, les deux categories de « deictiques » n’etant pas traitees de fa?on analogue. Mais cette distinction a pour revers de nous faire retoumer â la position inițiale : l’etude des deictiques incombe â la semantique. Conscient de ce risque, Kasher reserve l’etude des deictiques « descriptifs » qui assurent le fonctionnement referentiel des enonces selon des «schemas referentiels» â la pragmatique (cf. infra, p. 162). On peut conclure avec Recanati (2004a) que le debat est encore ouvert sur la categorie des mots indexiques (token-reflexives) qui ne recouvre pas 1’ensemble des termes dependants du contexte [context-sensitives). 19 On peut citer, parmi les nombreuses defmitions de la pragmatique inspirees de cette vue, celle que propose Gazdar (1979, p. 2 ; nous traduisons) : « La pragmatique a pour objet les aspects du sens des enonces dont on ne peut rendre compte par la simple reference aux conditions de verite de la proposition enoncee. Disons-le brutalement: PRAGMATIQUE = SENS - CONDITIONS DE VERITE ». 32 discursive ; la seconde concerne par consequent la possibilite meme d’abstraire de l’etude du langage Ies phenomenes qui releveraient de la syntaxe, de la semantique ou respectivement de la pragmatique. (i) Isoler au sein du systeme linguistique un sous-ensemble d’entites de nature differente, c'est admettre non seulement un fonctionnement pragmatique different, mais aussi deux types de regles semantiques sous-jacentes. Or, Ies deictiques semblent ne pas imposer un fonctionnement different de celui des autres entites linguistiques : en tant qu’entites du systeme, Ies deictiques peuvent virtuellement referer, comme tout nom commun, par exemple, â une classe d’individus20 ; par exemple, le pronom je refere (c’est-â-dire, peut etre utilise par le locuteur dans l’acte de referer) â la classe des individus ayant la propriete d’etre enonciateur de l’enonce qui le contient, tout comme chaise refere â la classe des objets ayant certaines proprietes : ainsi, dans l’enonce Je est un autre, Je fonctionne comme un symbole ayant le sens cite21. La difference - lorsque l’usager utilise effectivement dans son discours ces deux types d’entites (je et chaise) - n’est pas â chercher dans la nature du referent auquel elles renvoient, mais dans leur regime linguistique : si je, â lui seul, a la capacite de referer â un individuel, chaise a besoin de ce qu’on pourrait appeler un operateur de referenciation, tel un predeterminant22. La confusion est due â l’assimilation des signes linguistiques aux concepts logiques. II s’agit d’une confusion entre visee logique et visee semiotique : si pour le logicien le probleme est de determiner Ies conditions de verite d’un enonce (plus exactement d’une phrase), le semioticien, et donc le pragmaticien, sait que ces 20 Parmi Ies linguistes (et Ies logiciens), Jakobson (1963/1970, p. 179) a ete l’un des peu â reconnaître aux indices une double nature : Ies embrayeurs (shifters) sont ă la fois indices et symboles et appartiennent ainsi â la classe des symboles-index. 21 Sens qu’on pourrait qualifier de delocutif. 22 L’idee apparaît chez Peirce qui, sans postuler la necessite absolue de la presence de telles entites qui, pour lui, sont des signes-indices, souligne que la presence de tels indices sert â montrer â quoi il est refere. F. Jacques (1979, p. 35) appelle Ies pronoms «personnels » Je et tu des «operateurs de conversion de la langue en discours ». 33 conditions dependent de l'emploi effectif dans un discours. Pour le semioticien ce n’est pas le signe qui refere â l’objet, mais ce signe, dont une regie semantique specifie le referent possible, est utilise par un usager afin de referer â un objet unique - present(e) ou non dans la situation du discours ou â une classe d’objets ; l’usager doit, afin d’assurer le succes de son acte de reference, se soumettre â un ensemble de regles pragmatiques. Cette distinction entre regles semantiques concemant les entites linguistiques du systeme et regles pragmatiques qui regissent leur usage concerne tout signe linguistique, deictique ou pas. Remarque. Le deșir du logicien d’ «epurer» les langues naturelles des nombreuses imperfections qui leur font deborder le champ d’un modele syntactico-semantique occulte une difference fondamentale entre « langues artificielles » et langues naturelles : une langue artificielle est decrite sans reste par une syntaxe specifiant un nombre fini de regles combinant en formules bien formees des unites, elles aussi en nombre fini, et par une semantique assignant â ces formules bien formees des valeurs de verite selon que leur structure respecte ou non les conditions de bonne formation ou en fonction du rapport avec un « monde » â la fois hypothetique et empirique23. Or, l’imperfection des langues naturelles, decriee par un Frege ou par un Quine, c’est ce qui assure leur efficacite expressive et/ou communicative. Elle releve de la pragmatique, et se trouve â la base des strategies discursives que le locuteur met en ceuvre afin d’assurer la reussite de son acte communicatif: peut-on mentir en utilisant une 23 Camap (1947/1972, p. 298 ; nous traduisons) illustre cette conception: «L’analyse des significations des expressions se presente sous deux formes fondamentalement differentes : La premiere releve de la pragmatique, c’est-â- dire de l’etude empirique des langues naturelles [...] La deuxieme forme appartient â la semantique (comprise ici dans le sens de la semantique pure, alors que la semantique descriptive peut etre consideree comme faisant pârtie de la pragmatique), elle appartient donc â l’etude des systemes de langage construits ». 34 langue artificielle ? On peut certes construire des formules « fausses », ou depourvues de sens, mais non pas mentir â quelqu’un, le manipuler ou l’induire en erreur. L’indexicalite est per^ue comme une caracteristique generale que la presence d’un ou de plusieurs elements indiciels conferent aux enonces qui Ies contiennent, et tout enonce doit contenir de tels elements : c’est la propriete meme du langage d’etre relie au monde, assuree par la nature fonctionnelle des variables indicielles. D.Kaplan (1978), dans une interpretation de la theorie fregeenne du sens et des « demonstratifs », introduit dans le sens (Sinii) des expressions linguistiques la distinction entre 1’aspect constant du sens, le « contenu » (content), equivalent â la proposition ou â l’intension, et l’aspect contextuellement variable, le « caractere » (character): « la composante du sens d’une expression qui determine comment le contenu est affecte par le contexte ». Dans le cas des enonces ne contenant pas des elements indexicaux reperables en surface, la difference n’a pas ete saisie par Ies logiciens (Kaplan estime, â tort croyons nous, que dans de tels cas le sens equivaut au contenu). La theorie du « caractere » se rapproche de cette vision de la langue en action que nous avons adoptee et qui per^oit la langue dans son rapport au monde et â l’autre. La deixis n’est qu’un mode d’ancrage de l’objet linguistique dans la realite de l’interaction verbale: notamment le mode de reference, realise au moyens de ces operateurs de referenciation specifiques. On rejoint ainsi une conception pragmatique sur la deixis, position illustree par Wittgenstein (1961/1986, § 45 et passim) qui situe la particularite deictique dans un certain type d’usage : 1’indice sert â montrer, acte qui ne peut etre fait qu’en presence de l’objet montre ; par contre, un nom peut etre utilise meme en l’absence de l’objet. Ajoutons que seul un objet particulier, concret, un individu, peut etre present et etre montre dans la situation. L’indice est, chez Wittgenstein, l’instrument d’un jeu de langage ; il a une fonction, et non une signification : « Le « ceci » demonstratif ne peut jamais se trouver sans l’objet designe » (ibid.). Ceci est une manifestation de la propriete generale des expressions linguistiques d’avoir pour signification leur « usage dans le langage » (idem, § 43). 35 Remarquons que cette deuxieme position sur la deixis comme rapport institue dans le discours entre les mots et les choses est la seule compatible avec la position de Peirce â ce sujet. Dans la semiotique peirceenne, 1’indice est defini comme «le signe qui renvoie â l’objet qu’il denote parce qu’il est reellement affecte par cet objet» (2.248 ; nous soulignons); il se distingue de l’icone et du symbole au niveau de la dimension de la secondeite du signe, qui est celle de la relation â l’objet. L’indice chez Peirce ne designe donc pas un type de signe : c’est une dimension du signe, sa « secondeite », que l’on peut identifier dans le fonctionnement de tout acte de semiose producteur de signe. Comme les indices purs (en termes peirceens, les sinsignes indiciels), les symboles impliquent egalement une dimension indicielle, assuree par des « operateurs de referenciation » : ainsi les legisignes se manifestent comme des sinsignes, leur objet etant « presente » comme s’il etait present et pouvant reellement affecter le signe le designant. L’indexicalite « diffuse », si l’on peut dire, n’est rien d’autre qu’un aspect du fonctionnement de la langue utilisee par les locuteurs pour parler du et dans le monde avec leurs interlocuteurs. Nous rejoignons ainsi la deuxieme approche, maximaliste, de la theorie pragmatique: une theorie est pragmatique parce qu’elle construit son objet de connaissance en tant qu’objet pragmatique. La langue n’est plus un systeme d’entites virtuelles et virtuellement signes, que l’on peut decrire dans son autonomie, mais c’est l’instrument d’une interaction communicative (meme lorsque le locuteur ne communique pas explicitement avec un etre different de lui-meme). Cette nature instrumentale et interactionnelle de la langue (et du signe) entraîne la dependance d’une description syntaxique et semantique des considerations pragmatiques. (ii) Une fois cette position acceptee, une seconde objection se presente â l’esprit: que devient dans ces conditions la complementarite entre la syntaxe, la semantique et la pragmatique? Ou, d’une fa^on plus generale, quels types de relations existe-t-il entre syntaxe, semantique et pragmatique ? II a ete souvent constate que bon nombre de phenomenes syntaxiques, meme de niveau phrastique, s’eclairent des que l’on prend 36 en consideration le fonctionnement discursif : ainsi, beaucoup des questions de topique (constructions emphatiques, clitiques, reprise pronominale, anaphore, constructions â detachement) s'expliquent par la destination que l’usager assigne aux divers constituants de ces constructions, selon son intention referentielle ou predicative et selon la conception que ce meme usager se fait de la situation d'enonciation. La dependance de certaines restrictions concemant l’emploi des temps vis-â-vis du type de discours a ete egalement demontree24, ainsi que l’organisation de l'ensemble du systeme temporel fran^ais en dependance des modalites d’enonciation dont le locuteur dispose pour marquer son engagement dans le contenu des enonces produits (la theorie benvenistienne de l’opposition recit vs discours')25. Ces quelques exemples, parmi les nombreux autres que l’on pourrait citer26, conduisent vers l’hypothese que la syntaxe et la pragmatique ne sont pas complementaires : il s’agit plutot d’une distinction de niveau d’analyse, tout phenomene syntaxique impliquant de fagon plus ou moins evidente une explication pragmatique. 2.2.1. Semantique VS pragmatique. La complementarite de la semantique et de la pragmatique constitue sans doute le point critique de la semiotique et de toute theorie du langage. Elle serait fondee sur la distinction entre aspects vericonditionnels et aspects non 24 Maingueneau (1971) donne l’exemple de la distinction entre IIy a cinq ans mourait X et X est mort il y a cinq ans, distinction qui releve de l’opposition entre discours commemoratif et discours biographique. 25 II existe une tres riche bibliographie sur les valeurs pragmatiques des temps, dont nous citons quelques titres : Vuillaume, M. (1990), Saussure, de L. (2003), ou encore les numeros thematiques des revues Langages, n° 112, 1993, Travaux de linguistique, n° 39, 1999. 26 Une discussion plus developpee du rapport syntaxe - pragmatique se trouve dans Hintikka ; « Deux paradigmes pour une theorie du langage », in Hintikka (1994, p. 3-34). Le logicien demontre l’insuffisance de la description syntaxique de certains phenomenes «transcategoriels» et la necessite, pour en rendre compte, d’une approche qu’on peut qualifier de pragmatique (« le paradigme strategique »); cf. infra. 37 vericonditionnels du sens. II s’agit de delimiter ce qu’une expression linguistique «veut» dire de ce que l’usager veut dire en utilisant cette expression. Or, la distinction nous semble relever plutot d’un choix methodologique, puisque ces deux types de signification se fondent dans la pratique semiotique. Aussi, plusieurs Solutions ont ete proposees. Selon C. Kerbrat-Orecchioni, il est possible de discemer, dans le champ de la linguistique, quatre attitudes theoriques relatives â ce sujet27. (1) L’opposition semantique vs pragmatique est non pertinente, « soit que l’on nie l’existence de l’un des deux niveaux d’analyse [...], soit qu’on Ies declare totalement indissociables ; c’est l’attitude de la semantique chomskyenne, qui ne laisse pas de place aux faits pragmatiques » (Kerbrat-Orecchioni, 1980, p. 197) ; c’est aussi la position du structuralisme fran^ais de souche saussurienne et, en general, de toute recherche basee sur le postulat de 1’autonomie du systeme linguistique28. (2) La semantique et la pragmatique sont deux domaines autonomes irreductibles l’un â l’autre, ayant chacun son propre domaine d’etude. Cette seconde hypothese rejoint la conception qui isole au sein du langage des entites de nature particuliere, comme Ies deictiques ou autres expressions linguistiques et dont la presence transforme Ies phrases vericonditionnelles etudiees par la semantique logique en enonces â valeur de verite variable selon Ies donnees situationnelles. Hintikka (1990/1994) invoque l’existence de deux paradigmes dans 27 Leech (1983, p. 6 sqq.) propose une classification similaire : il distingue entre 1’approche semanticiste, pragmaticiste ou complementariste, dont il se reclame. Pour une discussion critique de ces positions cf. Wierzbicka (1991, p. 15-20). 8 Rappelons 1’hypothese de la «lettre anonyme» qui permet aux semanticiens d’ignorer le contexte d’enonciation (Katz, 1977, p. 15). Dans un autre contexte theorique, proposant son modele generatif du discours, constitue d’une syntaxe et d’une semantique, Greimas finit lui-aussi par considerer que « la structure de la communication n’a plus besoin, pour etre comprise et decrite, d’une pragmatique [...] qui lui soit exterieure» (Greimas, Courtes, 1979, p. 104) 38 l’analyse du langage : le paradigme recursif (la grammaire generative et Ie principe de compositionnalite en analyse de la signification), fonde sur le concept de regie, et dont releve la signification codique, et Ie paradigme strategique, fonde sur le concept de strategie, issu de la theorie wittgensteinienne des jeux de langage et dans lequel s’inscrit sa propre semantique des jeux (Game-Theoretical Semantics): la signification strategique, regulee par des normes, en constitue l’objet. La distinction est appuyee par la position d’un philosophe comme Habermas qui soutient, lui, l’existence de deux modalites d’utiliser le langage (et de produire un sens): dire ce qui est ou ce qui n’est pas et dire quelque chose â quelqu’un de sorte qu’il comprenne ce qui est dit. Dans le premier cas l’attitude du locuteur est objectivante, dans le second le locuteur, implique dans le processus communicatif, adopte une attitudeperformative (Habermas, 1983/2000, p. 28 sq.} En linguistique, la distinction apparaît d’abord comme une distinction entre le sens (codique) de la phrase et la signification de l’enonce en contexte. C’est la position de Ducrot â l’epoque du Dire et ne pas dire, ou il opposait le sens de la phrase â la signification de l’enonce. Une variante de cette position, repandue surtout dans la linguistique anglo-saxonne, postule la distinction grammaire vs pragmatique29 permettant ainsi de regrouper d’un cote les phenomenes syntactico-semantiques definis par les regles de la langue comme systeme et, de I’autre, les phenomenes semantico-pragmatiques constituant le fonctionnement discursif du systeme30. 29 Kempson (1975), Katz (1977), Kripke (1979), Leech (1983), Levinson (1983). 30 La theorie semiotique a elle aussi propose cette solution par la voix de Mounin (1971) et, surtout, de Eco dans son Trăite de semiotique generale (1976/1982, p. 7); la position de Eco se fera plus nuancee dans Les limites de l ’interpretation, ou il soutient que « la pragmatique ne peut etre une discipline avec son propre objet, distinct de celui de la semantique et de la syntactique ? Les trois departements de la semiotique traitent du meme « objet» disciplinaire [...] L’objet de la pragmatique est ce meme processus de semiosis que la syntactique et la semantique cement egalement sous divers profils » (1990/1992, p. 289). Cf. egalement Francis Jacques (1983, p. 347) qui distingue deux types de competences linguistiques : la connaissance du code et la connaissance des regles d’usage. 39 L’approche cognitiviste a foumi un argument en faveur de cette partition en invoquant le traitement cognitif different des informations de nature differente: le «decodage» grammatical incombe aux modules cognitifs specialises, rinformation pragmatique, issue de l’interpretation contextuelle de la forme propositionnelle produite au premier niveau, est traitee au niveau du systeme nerveux central (Wilson et Sperber, 1986 ; Sperber et Wilson, 1986/1989). La reduction de la triade semiotique â la dichotomie grammaire vs pragmatique semblait offrir une solution â la question du critere de partage entre sens codique et sens pragmatique. En fait, c’est la dimension semantique qui disparaît, ecartelee entre syntaxe et pragmatique : une ligne de demarcation est tracee entre le sens grammatical, litteral, qui incombe â la grammaire et le sens vericonditionnel, trăite par la semantique logique, qui se voit rattache au sens pragmatique. Cette solution ne fait donc que deplacer la difficulte : il s’agit maintenant de pouvoir isoler les aspects semantique et pragmatique du sens, en defendant l’une des deux positions suivantes. (3) La semantique integre la pragmatique. Ducrot prend parti pour cette position et oeuvre â la constitution de la pragmatique integree. Les aspects lies â l’utilisation par le locuteur du systeme linguistique sont etudies â travers leur manifestation dans l’enonce : l’intentionnalite du locuteur, par exemple, traitee par Austin comme « force illocutoire » des enonces, devient chez Ducrot une propriete de l’enonce, un « pouvoir juridique » (obliger â agir, rendre licite ce qui ne l’etait pas, etc.) inscrit dans le sens de l’enonce', par ailleurs, le sens de l’enonce contient les valeurs argumentatives vehiculees par les « mots du discours » ou par les topoî convoques par telle ou telle expression linguistique presente dans l’enonce. Ducrot finiră par bannir - ou du moins subordonner - le sens representatif (et vericonditionnel) au profit exclusif du sens argumentatif31 (Ducrot, 1992, 1995a, 1995b, 1995c). 31 On remarquera que chez Ducrot le sens de l’enonce se reduit â un ensemble d’implicatures conventionnelles, dans le sens de Grice, ce qui fait bien ressortir la difference entre la deuxieme et la troisieme attitudes que les 40 Reduisant Ies phenomenes d’ordre pragmatique â des regles semantiques, Ducrot tâche de convaincre que le sens de l’enonce epuise son enonciation ; il soutient l’autonomie de la linguistique et un « rejet de toute heterogeneite theorique » censee advenir â la suite de la prise en consideration de l’usage langagier32. (4) L’attitude inverse, qui place la pragmatique en position integrante est de beaucoup plus rare. Kerbrat-Orecchioni cite l'exemple de la theorie du texte de J. Petofi33. Cette position a ete defendue par ceux qui, â partir du postulat parter c ’est agir, ont choisi de rapprocher la description du discours de la description de toute action humaine general. Inspiree de la philosophie analytique, des Investigations philosophiques de Wittgenstein et/ou de la pensee de J. L. Austin, c’est une demarche que l’on reconnaît dans des directions de recherches assez diverses, comme la theorie des actes de langage, 1’analyse de /du discours, l’ethnomethodologie americaine. Remarque. Nous croyons pouvoir soutenir que Benveniste annon^ait deja cette position lorsque, refusant la distinction semantique - pragmatique, necessaire au logicien, il soutenait que le linguiste doit s’occuper du rapport langue - action, ce rapport etant « donne ensemble dans ce qu’on definit comme semantique ». Pour Benveniste :  partir du moment ou la langue est consideree comme action, comme realisation, elle suppose necessairement un locuteur et deux auteurs illustrent respectivement. Pour une critique plus ample de la position de Ducrot se reporter â Authier-Revuz (1995). 2 Cette meme position est adoptee en philosophie du langage par F. Jacques qui estime qu’un logicien doit « incorporer techniquement au semantisme du message l’ensemble de ses reperes pragmatiques pertinents » (1985, p. 446) 33 En effet, la construction d’une representation du monde textuel dans le cadre de la theorie de la structure du texte - structure du monde (TeSWeST) proposee par J. Petofi reunit une grammaire de texte (co-textuelle) et une composante semantique extensionnelle (con-textuelle) en dependance directe d’une « description synchronique de la connaissance pragmatique portant sur Ies elements stockes dans le lexique d’une langue naturelle » (Petofi, 1975), savoir qui peut modifier l’interpretation des constituants verbaux du texte . 41 elle suppose la situation de ce locuteur dans le monde. Ces relations sont donnees dans ce que je definis comme la semantique. (1974, p. 234 ; nous soulignons) Benveniste accorde une signification propre â la semantique, qu’il oppose au semiotique : Le semiotique designe le mode de signifiance qui est propre au SIGNE linguistique et qui le constitue comme unite [...] Avec le semantique, nous entrons dans le mode specifique de signifiance qui est engendre par le DISCOURS. [...] ce n’est pas une addition de signes qui produit le sens, c’est au contraire le sens (1’ «intente»), conțu globalement, qui se realise et se divise en « signes » particuliers, qui sont les MOTS. (Benveniste, 1974, p. 64) Le niveau semantique est le niveau de la production du sens dans le discours, par un locuteur s’adressant â un auditeur visant â modifier celui-ci en quelque faqon que ce soit, conformement â une certaine intention. La signification discursive est la signification produite par un locuteur qui s’approprie la langue conformement â une intention communicative. La notion de (sens) intente, qui nous semble peu remarquee et discutee, se rapproche des notions adoptees dans la pragmatique anglo-saxonne de speaker’s meaning ou utterer’s meaning (Grice, 1968/1989 ; Donnellan, 1978). Le terme semantique recouvre donc plutât le domaine pragmatique, ce qui nous a fait integrer Benveniste, â titre de precurseur, dans cette demiere position. L’originalite de cette conception se revele lorsque Benveniste prend en consideration la saisie du sens : aux deux modes de signifier correspondent aussi deux modes d’apprehension du sens34: Le semiotique doit etre RECONNU ; le semantique (le discours) doit etre COMPRIS. La difference entre reconnaître et comprendre renvoie â deux facultes distinctes de l’esprit: celle de percevoir l’identite entre 34 Pour un commentaire plus ample du rapport de Benveniste au discours et â la pragmatique (qu’il appelle « semantique », dans la mesure oii le discours produit du sens) cf. Măgureanu (2006b). 42 i’anterieur et l’actuel, d’une part, et celle de percevoir la signification d’une enonciation nouvelle, de l’autre. (Benveniste, 1974, p. 64-65) D’autre part, l’acte de discours ne semble pas se soumettre aux seules contraintes langagieres, puisque : N’importe qui peut crier sur la place publique : « Je declare la mobilisation generale ». Ne pouvant etre acte faute de l’autorite requise, un tel propos n’est plus que parole: il se reduit â une clameur inane, enfantillage ou demence » (Benveniste, 1966, p. 273 ; nous soulignons) L'acte (de discours) qui fait sens est soumis donc â des contraintes de nature extra-linguistique (dans l’esprit de la procedure qui regit les actes de langage chez Austin), en dehors desquelles la parole devient non sens, non-representation et incommunicabilite. Traiter l’utilisation d’un systeme linguistique comme une action c’est construire l’objet de sa reflexion comme un objet de nature pragmatique. En effet, le systeme linguistique est, pour nous, entierement (dans sa totalite et pleinement) dependant de sa vocation communicative. Une langue naturelle n’est pas un calcul des predicats - une syntaxe dont les signes peuvent etre interpretes s’ils sont mis en correlation avec une realite exterieure35; le systeme de signes est toujours implique dans une interaction sociale, et c’est l’intention du locuteur, l’acte de langage qu’il veut accomplir dans une situation donnee, qui determine le choix qu’il fera d’une structure linguistique ou d’une autre ; et d’autre part, c’est par rapport â cette situation et â cette intention que la structure re^oit un sens. Une expression linguistique (decrite comme signe saussurien) devient effectivement signe de quelque chose, et reqoit ainsi un sens effectif, qui n’est jamais identifiable totalement au signifie, grâce au fait, et alors seulement qu’il est utilise avec l’intention de signifier quelque chose â quelqu’un. 2.2.2. La triade r^organis^e. A la lumiere d’une theorie generale de l’action, l’etude des signes n’est ni tridimensionnelle, reunissant de faqon complementaire syntaxe, semantique et pragmatique, 35 C’est la position que defend, par exemple, Gochet (1980, p. 324 et sq). 43 ni meme bi-dimensionnelle, opposant la pragmatique â la grammaire, la communication â la signification; elle se structure sous la dominance d’un point de vue pragmatique, plus exactement praxeologique, centre sur le fonctionnement du systeme dans l’interaction humaine et implique aussi bien par l’approche semantique que par la syntaxe. Un premier auteur â avoir propose cette vision hierarchique sur Ies trois dimensions semiotiques fut le logicien R.M.Martin, auteur d’une tentative de construire une pragmatique formalisee, qui affirmait: Dans la pragmatique il est fait reference non seulement aux signes et â ce qu’ils denotent, mais aussi aux locuteurs, Ies usagers du langage [...] En fait, on devrait considerer qu’il y a deux types de pragmatiques, selon qu "elle presuppose la semantique ou uniquement la syntaxe. (R. M. Martin, 1959, p. XI; nous soulignons) Plus categorique encore, Apostel soutenait: D’une part la syntaxe presuppose la pragmatique, d’autre part la semantique presuppose elle aussi la pragmatique, tandis que la pragmatique elle-meme presuppose une theorie generale de 1’action ou praxeologie. (Apostel, 1973a, p. 285)  la lumiere de cette discussion, il nous semble pouvoir deceler en pragmatique deux directions principales. La premiere choisit d’enrichir l’etude du systeme linguistique par la prise en considerations des divers parametres d’ordre pragmatique: de meilleures descriptions et/ou explications des phenomenes linguistiques, et en particulier de ces phenomenes de nature quelque peu «marginale», sont â prevoir. Une pragmalinguistique se constitue ainsi, qui a deja fait ses preuves dans l’analyse d’un certain nombre de phenomenes linguistiques (predeterminants, deictiques, systeme temporel, topique, etc.). D’autre part, on peut choisir de decrire le fonctionnement du systeme dans l’acte de discours pour lequel il sert d’instrument. Un instrument qui constitue l’acte, c’est vrai, mais quand meme un instrument. On se rapprocherait ainsi d’une veritable praxeologie linguistique. 44 Notre recherche s’inscrit dans cette derniere direction d’etude ; la suite de ce texte se propose comme une tentative de construire une variante de pragmatique, et en particulier de theorie des actes de langage, qui, developpe les premisses ici enoncees. 2 . 3. Approche praxtologique du discours Une perspective hierarchique qui affirme la priorite de la pragmatique sur la syntaxe et sur la semantique, la priorite de l’action sur le systeme, ainsi qu’une interdependance qui conduit vers la constitution de ce qu’on pourrait appeler une pragmasyntaxe et respecțivement une pragmasemantique n’a plus rien de commun avec la proposition citee ci-dessus d’une binarisation de l’approche semiotique (semiotique du code - grammaire vs semiotique de la communication - pragmatique).  la difference de cette demarche, orientee du systeme vers l’acte, le point de depart en praxeologie linguistique sera l’acte, et la perspective est ainsi inversee : de l’acte vers le systeme. Une theorie du discours comme action langagiere s’inscrit tout naturellement dans le cadre d’une theorie generale de l’action humaine (efficace), la praxeologie36. Apostel qui, â notre avis, est le principal defenseur de cette position et qui dans son ample texte de 1980 Communication et action jette les bases d’un modele logique de l’action langagiere, soutient son choix theorique par des arguments que nous citons pour les avoir partages totalement: 36 Logiciens et phenomenologues se rejoignent pour soutenir ce point de vue: la position d’Apostel : «la theorie du discours et de l’acte de communication doit etre inseree dans une theorie generale de l’action » (1980, p. 193) est confîrmee par Ricoeur : « Si dire c’est faire, c’est bien en termes d’acte qu’il faut parler du dire. Lâ reside l’intersection majeure avec la theorie de l’action [...] d’une maniere qui reste â determiner, le langage s’inscrit dans le plan meme de l’action ». (1990, p. 58) 45 l’acte de communication est â la fois une transformation du locuteur, de l’interlocuteur et de leurs rapports - l’acte de communication se definit par le but (ou les buts) particulier(s) qu’il poursuit; sans parler de but, il n’y a pas moyen de parler de sens ; - chaque acte de communication est en meme temps une action qui produit un resultat different de la simple existence d’une expression orale ou ecrite. (Apostel, 1980, p. 216) Mais 1’action avec les signes, tout en partageant un certain nombre de caracteristiques avec toute autre action humaine, a toutefois des proprietes qui lui sont propres en vertu de la nature symbolique de 1’ « instrument» utilise. La fonction substituțive inherente et constitutive du signe, et sa capacite representative en vertu de conventions systemiques expliquent une particularite de l’accomplissement de l’acte et, donc, de satisfaction de l’intention d’acte : un acte de langage reussit â condition que l’intention sous- jacente soit reconnue (si possible, de faqon adequate); elle doit donc etre signalee31. Ainsi la relation intention - convention se trouve au cceur de la production/interpretation du sens et, par consequent, de la pragmatique dans la mesure ou celle-ci est en demiere instance rien d’autre que l’etude du sens. Une deuxieme particularite de l’action langagiere est celle que nous avons choisi d’etudier ici, â savoir la nature particuliere de la relation discursive etablie, au moyen des signes, entre les participants â l’acte: le succes de l’acte incombe en egale mesure â 37  partir de la definition par Grice (1957) du sens intentionnel (non naturel), cette position, qui voit dans la reconnaissance de l’intention communicative la condition suffisante pour la reussite de l’acte, sera developpee dans des contextes theoriques divers : Searle (1969/1972) qui propose un reamenagement du modele Grice et, â sa suite, Bach et Hamish (1980) dans le cadre de la theorie des actes de langage ; les cognitivistes d’autre part avec la distinction entre intention informative et intention communicative, dont le role est de « rendre mutuellement manifeste au destinataire et au communicateur que le communicateur a cette intention informative » (Sperber, Wilson, 1986/1989, p. 97) 46 l’accomplissement par Ies deux instances participatives - un locuteur et un interlocuteur - des roles qui leur incombent dans la production commune du sens. C’est ce que nous avons appele la nature dialogique du discours. Preliminaires methodologiques. Decrire le discours comme action cree des difficultes majeures qui tiennent â la complexite et â l’heterogeneite des facteurs impliques dans un tel objet d’etude. Ces difficultes expliquent le choix que la plupart des chercheurs ont fait: apres avoir reconnu la nature actionnelle du discours, ils se sont resigne â l’etude de l’enonce, objet linguistique38. En effet, un modele descriptif de l’acte de faire en disant quelque chose devrait pouvoir recuperer dans une description homogene des facteurs aussi divers que: individus, evenements mentaux (intention, motif, croyance, operations mentales, etc.), evenements physiques (qui constituent la situation d’acte, mais aussi le referent de l’acte), eventuels effets psychologiques. Une serie de reductions et de limitations de l’objet s’imposent, mais qui n’en affectent pas la nature actionnelle. Toute communication s’installe â deux niveaux : cognitif et relationnel. La these, soutenue par l’Ecole de Palo Alto, a ete reprise par la plupart des chercheurs s’occupant du discours et de l’interaction verbale39. Seul le niveau cognitif sera ici pris en consideration, dans la 38 Deux exemples illustrent, bien que pour des raisons diverses, ce type de choix : Benveniste qui, comme nous l’avons precise, donne une description pragmatique de l’acte d’enonciation, mais n’en reconnaît pas la nature d’acte social et, â ce titre, l’exclut du champ d’etude ; Searle, qui, tout en proclamant la nature sociale de l’acte et Ies regles constitutives qui le sous-tendent, invoque un principe d’exprimabilite pour substituer â l’etude de l’acte meme une description des conditions (semantiques) d’emploi des expressions linguistiques qui signalent l’intention d’acte (sur ce « glissement», important pour l’objet de cette recherche, nous allons revenir). 39 Nous signalons quelques directions de recherche basees sur ce postulat: l’interactionnisme symbolique issu de l’ceuvre de Goffman, la psychologie cognitive de Bates, l’ethnomethodologie de Gumperz, certaines directions en pragmatique generale (Flahault, Jacques), 1’analyse de la conversation (Andre-Larochebouvy, Kerbrat-Orecchioni, en moindre mesure l’ecole de Geneve, centree surtout sur le niveau cognitif). 47 mesure ou notre hypothese est que le dialogisme est une propriete de la relation discursive au niveau cognitif. Une deuxieme reduction concemera la representation du locuteur/interlocuteur: sans en faire une instance ideale et susceptible d’etre placee entre parentheses, nous proposerons une representation textuelle de 1’agent discursif. En effet, le locuteur/interlocuteur agit en vertu des competences linguistique, encyclopedique et discursive, des savoirs et des savoir-faire « textualisables » et impliques dans l’acte de discours â double titre, d’objet et de condition de reussite. Mais cette textualisation n’a pas les effets de l’idealisation chomskyenne : alors que le locuteur/auditeur ideal est completement supplante par la notion de competence, le locuteur et respecțivement l’auditeur « textualises » sont inscrits dans l’acte, dans la mesure oii la relation discursive devient une relation «intertextuelle » dont le resultat, dans le cas ideal de la reussite totale de l’acte, est un texte commun40. Cette deuxieme reduction suppose qu’on ait accepte au prealable la propriete de l’agent discursif d’etre rationnel, du moins au cours de l’intervalle de temps exige par l’accomplissement discursif. Comme il a ete souligne, rationalite implique reciprocite et cooperation. Nous avons aussi considere que le resultat d’un (acte de) discours est exclușivement du â l’action des participants â l’acte, ce qui exclut donc que des facteurs exterieurs (modification de la situation physique ou mentale sans rapport avec l’activite de discours) interviennent. Enfin, la focalisation de la reflexion sur le niveau cognitif et l’hypothese d’un agent discursif rationnel entraînent une reduction des proprietes des faits jouant un râie essentiel dans l’acte, telles Vintention ou le motif aux seules proprietes pertinentes pour l’approche praxeologique et pour le niveau de description choisi. Si un acte, de langage ou comportemental, est le resultat d’un complexe 40 Nous croyons que les distinctions successives que Ducrot propose, identifiant diverses instances d’enonciation, et en particulier la distinction entre 1’ « etre du monde » et le locuteur, proviennent du meme souci de « travailler » avec une instance theoriquement constituee. 48 motivationnel et intentionnel, seuls le type de motif et, respectivement, d’intention pertinents pour le but de l’acte accompli seront pris en consideration : ainsi, feliciter A pour p (oii p decrit un etat ou un cours d’evenements qu’on pourrait resumer par la formule « succes de A ») implique praxeologiquement le motif « le locuteur se rejouit que p » (autrement dit, le locuteur a une attitude appreciative par rapport â l’etat du monde ou le cours des evenements representes par pf meme si le locuteur accomplit l’acte de « feliciter » parce qu’il veut flatter A, ou tout simplement parce qu’il veut etre poli, ou encore parce qu’il veut s’amuser sur le compte de A â son insu, s’il estime que la realite decrite par p est « derisoire » ; en revanche, ces aspects deviennent pertinents, par exemple, pour une approche sociologique ou psychologique. 2 A. Pragmătique vs theorie de /a performante Avânt de conclure notre preambule, une precision s’impose, qui pourrait constituer une reponse â la double accusation dont la pragmatique a fait l’objet: l’absence d’un domaine aux contours precis et son caractere empirique. En effet, le risque encouru par la recherche pragmatique de se voir s'etioler dans une multitude de preoccupations se reclamant toutes de l’etude du discours et de la communication, deux concepts scientifiques paradigmatiques pour le vingtieme siecle, est reel : sociolinguistique, sociologie du langage psycholinguistique, anthropologie sociale, neuro-psychologie, cognitivisme, etc., se retrouvent sur le terrain commun de la socialite communicative41, â tel point que certains se sont sentis autorises â refuser toute specificite â la pragmatique. D’autre part, on ne saurait nier non plus la caractere parfois empirique, resultat souvent d’un choix theorique issu d’une conception empiriste sur les phenomenes etudies. La necessite donc d’un domaine bien delimite et d’un appareil theorique capable de 41  titre d’exemple, citons Parret (1990, p. 47) pour qui l’objet de la pragmatique est « l’homme et sa productivite discursive, sociale, artistique ». 49 generalisation fait donc pârtie du programme de recherches pragmatiques esquisse par R. Posner dans l’expose presente â l’occasion de la Table ronde qui cloturait la Conference Internationale de Pragmatique de 1987 : Nous devons en effet developper une pragmatique theorique au sein de la semiotique du haut en bas. Nous devons definir Ies tâches et un appareil theorique qui comporte des theoremes ; nous aurons ainsi quelque chose â appliquer, et nous pourrons montrer que la direction de l’explication n’est pas uniquement de la sociologie, psychologie, etc. vers la pragmatique, mais aussi de la pragmatique vers ces disciplines. (Posner, 1987) II nous semble possible dans l'etat actuel du sujet de distinguer entre pragmatique et theorie de la performance, d’une part, et de Ies opposer ensemble â une etude empirique des documents authentiques. Chomsky vouait la theorie de la performance â l’etude de la maniere dont Ies usagers reels du langage utilisent Ies principes de la competence, afin de produire et de comprendre la parole. La distinction fondamentale qui sous-tend l’opposition competence - performance est le caractere ideal vs reel assigne au locuteur. Opposes aux generativisme chomskyen, en particulier â l’idealite du locuteur et â la reduction de la competence â Ia grammaire, Ies ethnomethodologues proposent une etude empirique, inductive, de ce qu’ils appellent competence de communication. C’est cette competence qui permet au locuteur, etre reel et caracterises par un statut social et un role social attache â ce statut, de s’adapter â la situation concrete de la communication face â face, en observant des normes qui prevoient quand parler, quand ne pas parler, et aussi de quoi parler, avec qui, â quel moment, ou, de quelle maniere (Hymes, apud Kerbrat-Orecchioni, 1990, p. 37)42. 42 La distinction en rejoint une autre, proposee dans le contexte de la philosophie analytique, par G. Ryle (1953/1964): l’etude du « langage ordinaire », pour laquelle 1’auteur plaide, aura â s’occuper de 1’ « usage » (use), c’est-â-dire Ies regles d’emploi des expressions linguistiques et non de 1’ « utilisation » (usage) de ces expressions, qui est «une coutume, une pratique, une mode, une vogue ». 50 Dans cette vision dichotomique, qui reitere l’opposition entre competence linguistique (theorique) et performance empirique («competence de communication»), on voit mal comment ces competences s’articulent au niveau du sujet locuteur pour lui permettre d’utiliser avec efficacite le langage dans sa vie sociale. Nous estimons que les etudes menees dans le cadre de la sociolinguistique americaine - quelle que soit la direction consideree - et qui releveraient de la performance chomskyenne, permettent de revendiquer une approche theorique. Une theorie de la performance aura â s’occuper non pas, elle non plus, du locuteur reel, avec ses determinations physiques et mentales individuelles, mais bien de l’agent discursif construit par la theorie pragmatique qu'elle reinterpretera du point de vue de ses determinations socio- et psycholinguistiques pertinentes : une nouvelle problematique prendra ainsi naissance concemant la relation, mais cette fois-ci la relation sociale et/ou psychologique, telle qu ’elle est construite par la relation discursive. La theorie de la performance semble pouvoir integrer les acquis de la socio et de la psycholinguistique43 ; elle pourrait aussi integrer les preoccupations plus recentes pour ridentification des 43 Plusieurs auteurs, situes dans des champs disciplinaires differents, s’accordent pour reconnaître la necessite de prendre en consideration les aspects psycho ou socio-langagiers ; les divergences apparaissent autour de la place â reserver â ces phenomenes dans le modele. Si Bates, par exemple, accepte une sorte de complementarite (1976, p. 34): «Les questions psychologiques relevent d’une theorie de la performance, evenements qui surviennent lorsque la competence est utilisee afin de produire des enonces », van Dijk (1976, p. 27) propose de distinguer la pragmatique linguistique d’une theorie plus generale socio-psychologique de la communication verbale â laquelle elle viendrait s’integrer. Dans le meme sens, Jacques (1983, p. 180) considere que: « Autre chose est d’analyser les regles de l’interaction verbale, regles logico-strategiques, autre chose d’explorer pour eux-memes les rites sociaux de l’interaction verbale dans la conversation concrete » et, par consequent, « Entre le logicien et le socio-linguiste, il y a interference sur l’objet, mais les methodes sont differentes ». 51 facteurs culturels, refletant les positions ideologiques et les valeurs profondes de la communaute socio-culturelle consideree44. Pour resumer, nous proposons le tableau suivant : Pragmatique. • description des caracteristiques generales abstraites des parametres discursifs • conditions generales et necessaires de la communication • agent construit comme une competence discursive • inscription du discours dans un univers de discours • intentionnalite discursive • relations discursives • etude des conditions generales de l’interpretation du sens • etude des discours bien formes Theorie de Ia performance • description des parametres socio- culturels ou psycho-individuels de l’action discursive • (sur)determinations sociales et psycholinguistiques de la communication • determinations sociales et psycho- individuelles du locuteur et/ou de l’interlocuteur • inscription du discours dans une formation ideologique ou discursive45 • intentionnalite extra-discursive • actualisations sociales et/ou psychologiques des relations discursives • etude des effets de sens dus aux (sur)determinations socio ou psychologiques • etude des types d’ecarts, d’echecs discursifs On remarquera qu’en depit des parametres distinctifs, la pragmatique et la theorie de la performance ont en commun l’etude du discours en tant que phenomene intentionnel. II restera toujours en marge de l’etude semiotique la part d’effets involontaires, du mauvais 44  ce sujet, se reporter aux etudes initiees par Wierzbicka, dans son ouvrage Cross-Cultural Pragmatics : The Semantics ofHuman Interaction (1991) (du meme auteur, 1996, 1998) 45 Cette approche caracterise l’Ecole d’analyse du discours dirigee par Pecheux (se reporter â Pecheux, 1990); cf. aussi Foucault (1969, 1971), Flahault (1978) ou Charaudeau (1983). 52 usage des regles, des « rates », des « scories » qui ont fait parler d’ « inter-incomprehension » comme d’un mal necessaire et inevitable qui frappe la parole humaine. Disons, avec Celis (1977) que l’action humaine ne pourra jamais etre decrite de faqon exhaustive par un systeme de regles: il en restera une part toujours renouvelee d’invention, de variation, dont meme une theorie de la performance ne saura se saisir. Au-delâ des differences d’option, nous pensons qu’une theorie de la performance se doit de considerer le niveau relationnel de l’interaction verbale, la relation socio-discursive, la construction de l’image de 1’autre et de sa propre image dans et par le discours, ainsi que Ies rapports qui s’etablissent entre Ies deux niveaux et leurs effets sur le succes de la cooperation interactionnelle. La pragmatique et la theorie de la performance se construisent un objet different du point de vue epistemologique, mais ontologiquement identique ; cet objet serait bien la parole saussurienne, dont une large part semble pouvoir etre actuellement recuperee aux paliers successifs de la pragmatique et de la theorie de la performance. La distinction nous semble par consequent necessaire dans l’etape actuelle de la recherche afin d’eviter ce que Robin (1986) appelait « 1’eternei malentendu » : le flou, du â l’appartenance epistemologique du discours â des disciplines diverses. II est toutefois possible d’aspirer â une etape ou pragmatique et theorie de la performance offriront Ies fondements d’une theorie generale de l’action-avec-les-signes ou praxeologie linguistique. 3 . Conclusions Les considerations qui precedent visaient â justifier notre refus d’envisager l’objet de la pragmatique comme un sous-ensemble d’entites d’une langue naturelle L , dont la propriete serait leur nature pragmatique (ayant la fonction de signaler le rapport signe - usager). Ce rapport s’etablit comme rapport instrumental dans le cadre d’une forme specifique de pratique sociale, la pratique langagiere, action-avec-les-signes ou, tout simplement, ici, discours. 53 Dans la lignee tracee par la reflexion de Peirce, la pragmatique est donc con. 16 Au moment ou nous avons pu consulter ce volume, notre recherche avait pris un cours different. Neanmoins, si le modele logique est autre, de nombreux points communs rapprochent notre conception de celle d’Apostel. 67 Un deuxieme groupe de theories logiques s’occupent de l’action en general. M. Nowakowska (1973, 1976a, 1976b, 1976c), postulant une analogie entre le langage et le comportement, etablit sur cette base une «grammaire» du langage des actions dont le vocabulaire est constitue par des actions et les enonces sont constitues par des sequences d’actions ; l’interpretation semantique de ces «phrases» equivaut â assigner un ensemble de resultats (dans le temps) â une sequence d’actions. Ce systeme est mis en rapport avec un sous-systeme du langage des actions, â savoir le langage de la motivation. A ce modele, interessant et assez complet, nous avons prefere celui propose par von Wright (1963, 1968), pour les raisons suivantes : (a) au point de vue theorique, l’absence de toute consideration sur l’agent en faveur de la seule description des sequences d’actions rend le modele de Nowakowska moins adequat â l’action langagiere, qui est en tout premier lieu determinee par la situation de discours et par l’intention de l’agent; (b) au point de vue de l’application du modele : (b.l) le modele de von Wright a l’avantage de la simplicite en rapport surtout avec l’etat actuel des etudes en logique et en semantique modale ; (b.2) ce modele peut etre plus facilement mis en rapport avec la theorie linguistique17. Le modele de von Wright repose sur les concepts suivants : action, evenement, agent, resultat, consequence, tels qu’ils ont ete definis precedemment. Le concept postule est celui â'etat de faits (elementaire) que decrit une proposition (pour von Wright, une proposition represente la structure semantique, le sens d’un enonce linguistique) ; â chaque moment, l’univers (le monde, ou un fragment du monde) peut etre decrit comme une conjonction d'etats de faits possible ; cette conjonction sera appelee mondepossible. 17 Les rapports qui peuvent etre etablis entre les deux modeles (celui de von Wright et celui de Nowakowska) ont ete soulignes par Nowakowska elle- meme(1973,p. 249-251). 68 A. La syntaxe du modele'*. Le vocabulaire est celui du calcul propositionnel. Les regles d’inference du calcul propositionnel sont valides. En ajoutant la connective binaire T qui rattache deux etats successifs du monde on obtient le T-calcul â l’aide duquel on rend compte des changements (evenements) produits dans le monde par un agent. Une T-expression aura la forme pt Tpj (au moment ti le monde se trouve dans l’etat pi et au moment suivant tj il se trouve dans l’etat Pj}. Une 7-expression decrit un evenement (ou transformation d'etat). Afin de pouvoir caracteriser non seulement l’evenement produit, mais aussi le type d’action qui l’a produit, il est necessaire de specifier : (a) l’etat inițial (= l’etat du monde au moment oii l’action commence); (b) l’etat final, ou le resultat (= l’etat du monde apres l'execution de l’action); (c) l’etat dans lequel serait le monde si l’agent n’agissait pas (ou en l’absence de tout agent). La relation entre les etats (a) et (c) constitue la situation d’acte (l'opportunite de l’action) ; le rapport entre l’opportunite de l’action et son resultat caracterise la nature de l’action. La connective binaire I exprime la relation entre l’etat final et l’etat hypothetique. On obtient ainsi le 77-calcul qui donne une description syntaxique des actions. La formule generale qui decrit une action sera : PiT(pjIpk) [1] (ou Pi represente une variable propositionnelle). En vertu du principe de l'isomorphisme structurel, il est possible de decrire par le meme modele une action elementaire et une action globale. On peut utiliser T pour decrire des sequences d’actions ; on obtient la formule suivante : 18 Cette presentation est plus que schematique ; nous renvoyons â von Wright (1968). 69 [(-/-)...]} [2] Les expressions formees â l’aide du 77-calcul peuvent etre modalisees ; von Wright utilise les operateurs modaux de la possibilite et de la necessite qui representent un type particulier d’operateurs alethiques appliques dans les cadres d’un systeme deontique (von Wright, 1968, chap. III). B. Interpretation du modele : la semantique des «mondes possibles ». L’interpretation de tout systeme de logique modale fait appel â la theorie des « mondes possibles ». Toute activite rationnelle, comme : planifier, etudier quelque chose, deliberer, negocier, conseiller, implique la capacite d’envisager plusieurs situations possibles. Prononcer un enonce simple comme II se peut qu’il pleuve suppose que l’on envisage plusieurs situations (etats possibles du monde) et, sur cette base, on asserte que, dans l’un au moins de ces etats, la proposition il pleut est vraie. Le concept de monde possible (note w), qui a permis â la logique de traiter les problemes de la modalite, ne forme pas au point de vue philosophique l’objet d’un consensus. Stalnaker (1976) regroupe les definitions donnees en quatre theses : un « monde possible » est: (1) une entite definie comme « maniere d’etre - ou d'avoir pu etre - des choses » (ways things might have beeri); (2) des mondes analogues au monde actuel decrit comme Moi et tout ce qui m’entoure ; (3) une entite reductible â des concepts plus fondamentaux, tel celui de proposition (cette approche permet d’utiliser les « mondes possibles » dans l’etude du langage). Ici, le concept de monde possible sera envisage comme un ensemble de propositions (un texte) decrivant un etat du monde. Nous proposons par consequent de parler de description possible du monde (seule la commodite nous fera utiliser encore le terme de « monde possible »). Nous allons introduire la distinction entre le monde actuel (w0) - le type de monde possible par rapport auquel un individu (le locuteur) jouit d’une position ontologiquement et epistemologi- 70 quement privilegiee (le monde auquel il a un acces direct) ; le monde reel est une manifestation concrete, sensible (monde occurrence) du monde actuel ; un monde possible, dans cette acception restreinte du terme, sera toute alternative possible au monde actuel. Ce concept, quelle qu’en soit l'interpretation substantielle, peut etre envisage formellement comme un ensemble consistant de propositions qui decrivent un etat possible du monde. Cette definition souleve la question philosophique de savoir ce qu’est une proposition, mais permet au linguiste d’utiliser, dans le cadre d’une theorie du langage, la theorie des mondes possibles. Un monde possible comprend un ensemble d’individus (personnes, objets, etc.), appele (par certains logiciens) le domaine des individus, ainsi qu’un ensemble de proprietes et/ou relations assignees â ces individus : un monde possible decrit un etat possible de faits ou un cours d'evenements. Le nombre des individus, ainsi que les proprietes et relations qu'ils entretiennent peuvent distinguer un monde possible d’un autre. La consistance d’un ensemble de propositions se definit comme 1‘interdiction d’avoir dans cet ensemble ă la fois une proposition et sa negation; la condition de maximalite implique une description exhaustive du monde (pour toute proposition p d’une langue L, soit p, soit non p doit appartenir â wb la possibilite d’avoir p & non p g etant exclue). Hintikka introduit un concept moins puissant, qui nous semble etre, de ce fait, plus adequat â l’etude des langues naturelles. II parle d’une description partielle du monde (model set), defmie comme un ensemble consistant de propositions envisagees dans une seule et meme occasion. Un ensemble de model sets constitue un model systern'9. Entre les descriptions du monde appartenant â un meme model system il 19 Pour les definitions formelles du model set et du model system, cf. Hintikka, (1961, 1969). Une theorie analogue â celle des model systems est proposee par Kripke (1963/1971 ; 1970); nous lui avons prefere la variante de Hintikka vu que pour Kripke les mondes possibles sont envisages comme independants du langage. 71 existe une relation d'alternativite (ou la relation converse & acces sibilite) : un monde possible Wi est altematif â un monde Wj (wj Rwj) s’il existe dans wz- une proposition Mp (ou M designe une modalite quelconque) qui est vraie dans le monde Wj (autrement dit, si, pour assigner une valeur de verite â Mp, il est necessaire de considerer egalement wj). La relation d’alternativite est toujours reflexive ; elle peut etre transitive et/ou symetrique selon le systeme de logique modale avec lequel on opere (cf. Hugues et Cresswell, 1968). Cette theorie semantique nous semble particulierement efficace pour donner une solution aux nombreux aspects pragmatiques du langage naturel qu’une semantique extensionnelle (par exemple, celle proposee par Tarski (1944/1952), pas plus que la semantique intensionnelle « classique » (Katz, 1966/1971 ; Greimas, 1966) ne pouvaient resoudre. Nous disons pour une langue naturelle L, definie comme un ensemble de couples , [3] (ou e = enonce, L(p) = la signification de e dans la langue L), que l’ensemble des significations exprimables dans L (l’ensemble des enonces possibles en L) represente un ensemble de descriptions possibles du monde (Lewis, 1973). Operant avec le langage naturel, les logiciens ont ete amenes â ajouter aux modalites classiques alethiques (la necessite et la possibilite en tant que modalites objectives), des modalites subjectives qui traduisent l’attitude d’un individu â l’egard de l’etat de faits (cours d’evenements) decrit par la proposition ; on parle d’attitudes propositionnelles telles que : croire, connaître, esperer, regretter, etc. qui ont la propriete d’etre toujours utilisees par rapport â un individu precis. Cette subjectivite n’aboutit pourtant pas au solipsisme, car l’usage des expressions manifestant ces attitudes propositionnelles repose sur les memes conventions sociales qui se trouvent â la base de toute expression linguistique. Selon les differents types de modalites, on peut parler de mondes logiquement possibles (modalite alethique), de mondes epistemiques, deontiques, etc. 72 La semantique des mondes possibles (et la theorie des model systems) s’est averee particulierement utile dans la description linguistique, comme d’ailleurs dans l’analyse du discours litteraire20. La valeur de verite d’une proposition modale est evaluee dans le cadre d’un tel model system. Une proposition p appartenant â une description possible du monde w, est logiquement possible s’il existe au moins une alternative wj â et p est vrai dans ; p est logiquement necessaire si elle est vraie dans toute alternative de Dans le cas des modalites subjectives (attitudes propositionnelles), l'evaluation se fait par rapport â un individu ; une proposition p, oii p g Wi est epistemiquement possible par rapport â un individu a, s’il existe une alternative epistemique â Wi dans laquelle p est vraie - on ecrira Pa p et on dira que «p est possible par rapport â ce que a connaît» ; p est epistemiquement necessaire si p est vraie dans toute alternative epistemique de w^ par rapport â l’individu a ; dans ce cas on ecrira Kap : « l’individu a connaît quep » . II est evident qu’une proposition epistemiquement necessaire peut ne pas etre logiquement vraie (necessaire). Le raisonnement est le meme pour les autres types d’attitudes propositionnelles. II faut preciser pourtant que l’etude logique des attitudes propositionnelles ne fait que commencer, puisque des modeles ont ete construits pour rendre compte des attitudes epistemiques, doxastiques et deontiques, alors que les autres categories sont pour le moment considerees comme echappant ă une approche logique21. 20 Nous renvoyons â l’etude particulierement interessante de Martin (1987a) ou encore â Vaina (1975, 1976), Măgureanu (1975), Pavel (1986/1988). 21 On peut consulter pour la logique epistemique Hintikka (1961), Chisholm (1966/1968, 1972) ; la logique deontique doit son developpement â von Wright (1963, 1968), ainsi qu’aux recherches de Rescher ; c’est toujours Hintikka (1969) qui etudie les principes generaux d’une etude des attitudes propositionnelles ; un systeme logique de la preference a ete construit par Danielsson (1968). Voir egalement, pour la logique modale, Hughes & Cresswell (1968), Cresswell (1973), Camap (1947/1972), ainsi que les diverses etudes de Lewis, Kutschera, Stalnaker (cf. Bibliographie). 73 Utiliser une attitude propositionnelle c’est limiter un model system aux seules descriptions possibles du monde compatible avec cette attitude propositionnelle. Comprendre une proposition p, c’est etre capable d’etablir dans le cadre d’un model system quelles sont les descriptions possibles du monde dans lequel p est vraie. 1. Concepts de base en praxeologie linguistique  la lumiere de cette breve incursion dans la praxeologie generale seront presentes dans ce chapitre les concepts fondamentaux utilises dans la description de l’action langagiere (discursive). Cette discussion se propose principalement : (i) de surprendre les traits specifiques de l’action discursive par rapport â l’action en general ; (ii) de proposer une description qui permette la constitution d’un modele de discours susceptible d’integrer des entites par ailleurs ontologiquement fort differentes. IA. L’agent discursif 1.1.1. Le sujet en linguistique22 Si la linguistique saussurienne s’est caracterisee par la volonte d’evacuer le sujet - fut-il sujet parlant - du champ des preoccupations linguistiques, la question de la subjectivite ne pouvait quand meme pas demeurer trop longtemps hors d’un domaine qui etait le lieu privilegie de la constitution meme de cette subjectivite. Ce qu’on a appele « le paradoxe saussurien » de la double nature du langage, â la fois sociale et individuelle, contenait in nuce les directions de l’evolution ulterieure de cette problematique. Ainsi Bally, et avec lui la stylistique fonctionnelle, retrouve l’affectivite et l’expressivite 22 On trouvera une discussion plus developpee in Măgureanu (1989). 74 constitutives du langage, et qui, en meme temps, sont [ce] « qui cree notre personnalite dans le sens le plus vrai du moi » (Bally, 1937, p.6). Mais Bally sait que : le langage, etant un fait social, ne peut exprimer des mouvements de l'etre individuel que la face accessible â la connaissance des autres individus (ibid.) Une problematique du sujet liee â la decouverte benvenistienne d’un appareil formei de l'enonciation, par le biais duquel le sujet se pose en sujet parlant et fait emerger dans l’acte d’enonciation une subjectivite par ailleurs insaisissable dans son authenticite individuelle ; fertilisee aussi par le contact d’une psychanalyse lacanienne venant mettre en doute la solidite d’un individu qui, tout en disant ce qu’il croit vouloir dire, laisse s'exprimer un autre soi- meme, celui de l’inconscient ; liee encore â l’apparition du sujet semiotique - fonction vide s’exprimant ă travers l’acte de semiose ; liee enfin â la perception de l’etre social, soumis aux contraintes institutionnelles qui laissent peu de place â l’individu et lui font dire du dejâ-dit, alors qu’il croyait dire du non-encore-dit. La double face de l’activite langagiere, â la fois subjective - car impliquant un sujet - et objective - car projetant cette subjectivite dans le miroir d’une autre subjectivite, fait que, quelle que soit la visee de la recherche, la question du sujet locuteur occupe une place centrale autour de laquelle toumoient un certain nombre d’autres questions auxquelles elles pourrait foumir des Solutions. Qu’il s’agisse du niveau ontologique, la oii l’heterogeneite est constitutive, appelant la reflexion sur la necessaire presence de l’autre sous peine de releguer l’activite langagiere dans la zone du pathologique, ou du niveau linguistique - la ou l’on poursuit un jeu d’images autorisant une remontee vers la complexite enonciative, ce n’est plus seulement le sujet qui est mis en discussion, mais un sujet dont l’unicite est mise en cause par l’autre, lui-meme sujet, possible source de l’eclatement du moi enonciateur. Le probleme philosophique de l’autre, des Other Minds’, trouve son correlat en linguistique du discours. C’est cette relation moi - autre, locuteur - interlocuteur, qui nous semble utile â reconsiderer. 75 Comme nous l’avons deja mentionne, la theorie de l’enonciation s’est penchee sur l’emergence de la subjectivite du locuteur dans ses enonces par le biais des «traces» dont l’acte individuel et occurrentiel d’enonciation marque toujours et â jamais l’enonce qu’il produit. L’impossibilite qu’il y a â remonter â l’acte meme d’enonciation, phenomene qui echappe â toute inscription dans un systeme de regles, est postulee ; on y pallie donc en decrivant le systeme des formes linguistiques deictiques, dont on n’a pas manque de souligner la specificite au regard des autres entites linguistiques. Benveniste (1966) postule egalement l'implication reciproque du tu et du je, construisant le champ de la personne comme une dualite â laquelle s’oppose l’unicite de la non personne: cette dualite n’est pourtant que la possibilite d’acceder, â tour de role, â la position enviee du sujet de l’enonciation23 : le je, comme le tu, etant la vacance, forme vide en attente de la fonction locutoire. Le sujet de l’enonciation est ainsi un devant un autre qui ne lui est que momentanement different et dont, par consequent, le chercheur n’a pas â se preoccuper. Si, comme l’affirme Ricceur (1990, chap. II), la theorie de l’enonciation a deplace l’accent sur la problematique du rapport enonciation - enonciateur en reconnaissant que : - la reference est un acte des sujets parlants et non de l’enonce ou de l’enonciation - chaque situation d’enonciation met en place une situation d’interlocution, il s’ensuit un statut paradoxal du sujet de l’enonciation : le je est â la fois un terme vacant, simple position de sujet que des enonciateurs virtuels peuvent occuper et point d’ancrage de chaque enonciation â un enonciateur effectif actuel; en tant que point d’ancrage le sujet est â la fois « point de perspective » singulier sur le monde, limite de ce monde, mais aussi entite du monde â laquelle, en lui assignant un nominal referentiel on peut substituer un objet ainsi construit24. Le sujet perd ainsi 23 Position enviee, car c’est le sujet qui detient le pouvoir, c’est lui qui exerce son intention de « modifier 1’autre » qui devint ainsi l’instance assujettie, subordonnee. 24 Culioli propose une operation de reperage qui situe le contenu de la pensee par rapport â la situation du sujet parlant (apud Danon-Boileau , 1987). 76 de sa solidite ontologique, epistemologique et fonctionnelle et une nouvelle problematique d’un sujet eclate se constitue â laquelle linguistes, philosophes du langage et meme sociologues devront faire face23. C’est sans doute la realite des discours analyses autant que les considerations d’ordre philosophique sous-jacentes qui ont introduit dans ce sujet parlant (autant que parle) des clivages, des «debrayages» mettant en doute l’unicite et la solidite du je cartesien. II n’est plus un devant un autre, le tu, mais l'autre se glisse, de plus en plus et sous diverses formes, dans ce je. Le retour en force du discours rapporte, en linguistique comme en didactique, la recuperation de la distinction proposee il y a deja longtemps en narratologie - voix vs point de vue, le sujet comme lieu des rapports intertextuels et interdiscursifs et, enfm, la polyphonie bakhtinienne, relancee autant par la narratologie que par la pragmatique integree de Ducrot, mettent en doute la singularite et l’homogeneite de ce sujet parlant. L’heterogeneite enonciative est perque â un double niveau : elle est constitutive du sujet et de son discours ; toute parole ne saurait etre produite qu’au sein du champ de forces enonciatives, si bien qu’â nouveau le sujet « est parle plutot qu’il ne parle ». Que ces voix soient celles de la passion, des pulsions ou, au contraire les voix de l’ordre social dans lequel elles fmissent par se fondre, l’effet est le meme. Le sujet parlant risque d’eclater en autant de voix enonciatives que l’on per^oit de visions d’univers de discours irreductibles s’exprimant par ces voix26. Pour les linguistes, l’heterogeneite est montree : des moyens conventionnels inscrivent le discours de l’autre - cet « autre » pouvant etre une autre instance du soi-meme - au sein meme du discours du sujet. Celui-ci prend ainsi la precaution de marquer les limites de l’engagement et des responsabilites qu’il assume. La parole se construit 25 La discussion des approches visant â decrire ce « sujet eclate» sera proposee dans le chapitre consacre au dialogisme. 6 La these de V heterogeneite discursive â laquelle nous renvoyons ici est due â Authier-Revuz (1982, 1984, 1995); citons comme exemple prototypique de cette position, caracteristique de la linguistique francophone, Beacco et Moirand (1995) qui manifestent leur «mefiance â l’egard des theories pragmatico-communicatives qui semblent considerer le sujet parlant comme maître de ses intentions et de ses representations, excluant de fait le role de l’inconscient et de l’interdiscours ». 77 explicitement, â la fois ă l’intention de et avec l’autre dont on vehicule le dire sans en assumer le contenu. Se fait jour ainsi la question de la projection de l’image, du simulacre de l’autre que le locuteur construit en construisant l’image de soi qu’il soumettra â la sanction de l’autre. La distinction entre l'etre empirique - producteur du discours, soumis aux pressions des lois psycho-sociales - et l'etre de discours, image que le premier construit dans/par le discours (la scission operant concomitamment dans le champ du pole recepteur) est un theme qui traverse actuellement des recherches par ailleurs differentes quant au choix de l’objet et des methodes (Greimas, Courtes, 1979, s.v. Debrayage ; Charaudeau, 1983 ; Ducrot, 1984 ; Martin, 1987). Cet etre de discours peut etre locuteur, voix responsable et/ou enonciateur (chez Ducrot), point de vue vs voix en narratologie, image d'univers (Martin, 1987), simulacre (Maingueneau, 1983). Des phenomenes linguistiques aussi banals que l’assertion negative, la question, la presupposition, la concession, le ne expletif, le discours rapporte, la plupart des connecteurs pragmatiques prevoient, de par leur valeur au sein du systeme dans lequel ils introduisent ainsi la marque d’une heterogeneite, la necessite qu’il y a â tenir compte de l’autre tel qu’on l’imagine et â l’intention duquel le locuteur fait montre de son image27. Les approches sociologiques du sujet parlant oscillent entre deux positions opposees : d’un cote nous retrouvons la theorie du sujet - etre social defini par sa position au sein de nombreuses interactions dans lesquelles il est engage, agissant sous la pression de son statut janusien de face privee, souvent en conflit avec sa face sociale, representations symboliques du soi et de l’autre et qui adopte dans son comportement un principe de cooperation assurant le mieux possible l’equilibre relationnel28. 27 On trouvera diverses analyses de ces phenomenes in Ducrot et al. (1980), Berrendonner (1981), Anscombre et Ducrot (1983), Ducrot (1984), Martin (1987), Authier-Revuz (1982, 1984, 1995). 28 II s’agit evidemment de la theorie exposee par E.Goffman dans ses nombreux ouvrages (cf en particulier 1974) qui furent â l’origine d’une problematique sociopragmatique considerable et donc d’un elargissement des cadres de la pragmatique linguistique classique. On peut ici noter la coincidence avec la pensee de Bally, manifeste dans la citation precedente. 78 Au pole oppose, dans une vision parfois marxisante, le sujet sera un, mais le je n’est plus l'individu, libre de formuler et de realiser ses intentions ; le je cache le on, un champ de lois oppressives auquel le je ne peut echapper sous peine d’etre frappe de sanctions. C’est un champ ou le on lutte pour l’autorite linguistique, ou l’on marque sa place par la manipulation de la langue legitime et ou la competence linguistique devient un capital sur le marche (Bourdieu, 1987) ; c’est une formation discursive regissant les conditions d’exercice de la fonction enonciative, sorte de competence qui permet de rejeter l'autre comme appartenant â un champ d’incompatibilites (Foucault, 1966, 1969, 1971 ; Maingueneau, 1984 ; Pecheux, 1990) A ce point de la discussion, on remarquera que, dans la plupart des approches que nous avons mentionnees - et de fa^on paradoxale sans doute - il est peu question de la relation moi - autre comme participants egaux â un acte de parole. Et l’autre est la dans la mesure oii il sert de repoussoir au je, et en tant qu’individu attendant, en vertu d’un principe d’altemance, son tour dans l’interaction verbale. Si bien que l’attention de la theorie se focalise sur le sujet - locuteur qui assume dans sa totalite l’acte de communication « expediant» vers l’autre un sens â dechiffrer. On pourrait parler, surtout dans la pragmatique « continentale » d’une evolution vers un « trop de sujet», â laquelle la pragmatique anglo-saxonne, en particulier la theorie des actes de langage, oppose une reduction du sujet aux seules proprietes postulees qui en font un sujet d’action : la rationalite et l’intentionnalite (communicatives) manifestees par les conventions du systeme de signes utilise. La problematique du sujet parlant cede la place, par ce biais, â celle qui est centree sur le rapport intention - convention. Deux positions se font face : les intentionnalistes et les conventionnalistes revendiquent pour leur part la preeminence dans la problematique langagiere - et plus exactement dans la constitution de la signification - de l’un ou de l’autre de ces phenomenes. Mais dans les deux cas, la perspective se situe egalement du cote du locuteur, d’un je qui parle et qui construit â lui seul une representation vraie ou fausse d’un etat du monde qu’il offre â la reconstruction plus ou moins analogue par l’autre. 79 1.1.2. L'agent discursif Par rapport â ces preoccupations centrees sur le sujet parlant, ayant par ailleurs abouti â une subtilite remarquable et â un raffinement analytique particulierement evident dans la description de bon nombre de faits langagiers, une perspective praxeologique fait deplacer l’interet sur l’action discursive et sur les participants â cette action en tant qu’agents. Dans la question du sujet la perspective praxeologique devra en particulier identifier les proprietes generales de l’agent discursif ainsi que celles qui en font un agent de type particulier qui se sert dans son action de moyens specifiques : les signes. L’approche praxeologique, visible dans la philosophie du langage (analytique ou de nuance phenomenologique), occupe pourtant une position marginale dans le champ des investigations linguistiques. Elle domine l’oeuvre d’Apostel, mais celle-ci est tres peu mise â profit par les linguistes. Elle est egalement implicite dans les recherches sur la conversation qui prennent leur source dans les hypotheses formulees par l’Ecole de Geneve.  l’encontre des preoccupations de nuance socio- ou psycholinguistique que nous avons constatees dans l’evolution de la linguistique vers une sorte de philosophie du sujet parlant, dans la direction de type praxeologique que nous avons citee, le locuteur est une donnee empirique qui ne fait pas l’objet d’une attention particuliere. L’interet pour l’action langagiere met en valeur la relation interlocutive etablie par l’acte de discours. Un retour au sujet parlant ne nous semble pas depourvu d’interet : la perspective praxeologique fera surgir, aux cotes du sujet parlant - individu empirique, un etre de discours, l’agent discursif dont les proprietes constitutives s’averent riches de consequences pour l’ensemble du modele descriptif. Cette hypothese fait recours â la distinction methodologique (et metatheorique) que nous avons introduite entre la pragmatique et la theorie de la performance, reservee â l’etude des mecanismes psycho- sociaux qui regissent par exemple le jeu des places, les decalages entre la place que se donne(nt) le(s) locuteur(s) et sa(leur) position reelle au sein de l’echange discursif. La distinction permet d’introduire une serie de limitations et de presupposes theoriques. 80 Un premier postulat restrictif est l’idealite de 1'agent discursif. Remarque. Nous avons deja rencontre le locuteur-auditeur ideal, en particulier dans l’approche generativiste : modele au moyen du concept de competence linguistique, susceptible de produire toutes les phrases et seules les phrases correctes en L, ce locuteur s’efface derriere les conventions - regles du systeme de L. Or, etudier les phenomenes discursifs comme action oblige â prendre en consideration le sujet dans sa fonction agissante, et non pas tout simplement comme un savoir. En revanche, une mauvaise comprehension de ce statut est tout aussi dangereuse : comme les ecrivains l’ont souligne depuis longtemps, l’individu qui parle n’est pas â identifier â l’individu empirique constitue d’un ensemble de donnees biographiques : il est le constructeur de discours, qui se donne plus ou moins â voir dans son discours. Cet etre de discours que le sujet parlant construit dans et par son discours forme l’objet d’une approche praxeologique ; seul cet etre de discours permet de postuler l’idealite de l’agent discursif et d’en degager les consequences theoriques et pratiques. Cest ce que souligne par exemple F. Jacques (1983, p. 83) lorsqu’il soutient que les instances enonciatives ne sont que des termes techniques, depourvus de toute portee psychologisante. II s’agit d’ « instances suscitees dans et par le discours, plutot que des individus concrets, fussent-ils secondairement assignables â la realite ». L’agent discursif en tant qu’entite ideale postulee par le modele peut etre decrit comme un ensemble de savoirs sur la langue utilisee, sur le monde, y compris sur la situation de communication et sur les conventions d’usage de cette langue. L’idealite de l’agent discursif est une contrainte que le modele se donne afin de pouvoir inscrire de faqon homogene cette instance dans 1’ensemble descriptif29. 29 Putnam (1981/1984, p. 43) par exemple affirme : « dans l’ideal les sujets possedent les uns sur les autres ce que les economistes appellent une « Information parfaite », alors chaque sujet connaîtra la structure formelle de la theorie T, l’histoire passee du programme de recherches d’oii elle est issue, les croyances precedentes qu’elle preserve et ainsi de suite ». 81 Postuler l’idealite de l’agent discursif est une condition sine qua non pour pouvoir decrire l’agent comme un systeme d’etats mentaux intentionnels, un systeme de croyances, de savoirs, de desirs, etc. Ce qui signifie lui attribuer un certain savoir, un certain pouvoir et, correlativement, un vouloir. • Le savoir de l’agent discursif concerne principalement trois zones epistemiques: - le savoir linguistique, relatif â la structure du code linguistique utilise (instrument de l’action discursive). Ce savoir inclut les regles syntaxiques et semantiques du systeme linguistique qui assurent qu’une phrase produite par un locuteur est correcte dans Ie systeme L d’une langue naturelle ; ceci correspond â la competence (linguistique) chomskyenne ; - le savoir encyclopedique : il s’agit d’un « vaste reservoir d’informations extra-enoncives» (Kerbrat-Orecchioni, 1982, p. 16) concemant le monde (reel - concret ou abstrait - ou fictionnel) qui est propre â une communaute sociolinguistique donnee. Ce savoir encyclopedique, que Eco (1976/1982) avait introduit â travers sa theorie du sememe comme encyclopedie30 au coeur meme du systeme linguistique, assure la possibilite d’assigner une valeur de verite aux enonces, puisque, comme l’a souvent soutenu Searle, il n’existe pas d’enonce, meme le plus simple, dont l’interpretation n’impose le recours â ce savoir, qu’il appelle l’information d’arriere-plan (the background of meaning)31. 30 Nous avons esquisse une critique de cette conception qui est une autre voie de reduire le pragmatique au semantique dans Măgureanu (1984a, p. 25-26, 1986a); il nous semble essentiel de distinguer le sememe, produit de la configuration structurante du systeme linguistique (et constitutif du representamen peirceen) du referent, ensemble de predications qu’une communaute socio-culturelle a pu assigner â un denotatum et qui correspond â Vobjet immediat de la triade de Peirce. 31 Searle (1980, p. 226-227) soutient que le verbe couper, par exemple, determine des conditions de verite differentes lorsqu’il apparaît dans des enonces tels que : Bill coupe l’herbe ; Le bărbier coupe la barbe â Tom ; Sally coupe le găteau, etc., car « en tant que membre de notre culture nous 82 Dans notre modele ce savoir est represente par l'ensemble des mondes possibles que le locuteur est susceptible d'evoquer ou de convoquer lorsqu’il produit et/ou interprete un enonce : il comprend, outre le savoir relatif au monde immediat (actuel) - auquel le locuteur a un acces direct (praxeologique et/ou epistemique), ce que le locuteur peut penser, ce qu’il a su mais a momentanement oublie, ce qu’il peut inferer de ce qu’il sait deja, ainsi que ce qu’il espere, deșire accomplir ou voir accompli, en un mot ce que Martin (1987) designe par univers de croyance32. • Le pouvoir^ de l’agent est ici envisage comme l'ensemble des conventions34 (regles, normes, principes, contraintes) qui prescrivent un emploi adequat du systeme linguistique par rapport â l’intention et faisons porter aux enonces litteraux et ă la comprehension d’un enonce un ensemble d’informations d’arriere-plan sur la faqon dont la nature et notre culture fonctionnent». 32 Cf. infra, chap. 1.2.1. 33 Envisager le locuteur comme agent discursif nous dispense de prendre en consideration les capacites/dispositions ă utiliser les facultes de la parole, un agent se caracterisant par definition par ces capacites. L’idealisation de l’agent locuteur exclut donc du champ des preoccupations le domaine, par ailleurs fort interessant, de la pathologie du langage. j4 Convention est utilise ici avec le sens que lui accorde Lewis (1969/1974) : est convention une regularite R (un ensemble de normes) dans l’action d’une communaute P (linguistique ou autre) qui satisfait aux conditions suivantes : (1) tout membre de P respecte R ; (2) tout membre de P s’attend â ce que tous les autres membres respectent egalement R ; (3) les membres de P ont un interet commun qui leur fait preferer respecter R plutot que ne pas s’y conformer ; (4) tout membre de P connaît les conditions (1) - (3). L’extension de ce terme ainsi defini recouvre aussi bien la categorie des regles (constitutives, telles les regles de la grammaire ou celles des actes illocutionnaires) que celle des normes, ou de principe regulateur ou de contrainte. D’autre part, le concept de convention linguistique donne une replique â l’idee de la nature inneiste de la « competence » chomskyenne (une langue L est utilisee par une communaute linguistique si tout locuteur possede une representation interne, innee, d’une grammaire de L) et, par consequent, lui est superieur. 83 â la situation discursives. Ce sont des conventions constituees en ensembles et sous-ensembles, selon l’objet qui forme leur domaine d’action : acte (simple, compose, complexe) ou acte global (interaction verbale). Le pouvoir de l’agent represente donc le savoir- faire que l’agent met en ceuvre au cours de son activite discursive. II concerne plus particulierement ce que le locuteur est oblige de faire, ce qu’il lui est permis ou interdit de faire, ce qu’il est libre de faire, tout ceci en rapport avec le but qu’il poursuit quand il agit en tant que locuteur. Si ce savoir-faire suppose la connaissance du code linguistique, il concerne plus particulierement les regles (constitutives, donc obligatoires) de performance des actes de langage qu’il accomplit, les normes discursives - telles les « lois du discours » (Ducrot) ou les maximes du Principe de Cooperation (Grice), les principes reunis sous le titre de code de la politesse, les regles, normes et principes qui regissent 1’interaction verbale en general ainsi que les regles et les normes qui caracterisent tel ou tel type d’interaction, etc. II en decoule que ces conventions devant etre connues pour etre observees, le pouvoir de l’agent discursif est â envisager comme une troisieme zone du savoir: le savoir-faire langagier ou savoir praxeologique. • Le vouloir discursif sera interprete comme intentionnalite discursive. Si, comme nous l’avons note, la redecouverte de 1’intentionnalite est au coeur meme de l’approche phenomenologique, sa fonction constitutive de l’action lui confere une place equivalente dans une perspective praxeologique. Comme toute action, le faire langagier sera donc â decrire comme la mise en ceuvre d’une intentionnalite assignable â un agent discursif35. II n’est pourtant pas facile d’introduire dans un modele homogene la problematique de 1’intentionnalite, definie comme une propriete des etats ou des evenements mentaux ; aussi avons-nous cru possible de reduire cette problematique aux seules proprietes qui font 35 En 1923 dejâ, H. Delacroix notait: « les mots ne se produisent [...] dans notre esprit qu’â partir de situations et d’intentions », apud Germain, 1973. 84 la specificite de V intentionnalite discursive, ce qui permet d’eviter le risque de se retrouver dans le champ de la philosophie de l’esprit ou des approches cognitivistes. Le programme de la theorie de l’enonciation, qui avait fait des marques de la reflexivite enonciative son objet, inscrit l’intention du sujet locuteur parmi les aspects enonciatifs dont les traces sont â rechercher dans l’enonce. Rappelons la defmition du discours par Benveniste, qui semblait annoncer un programme de recherche : Toute enonciation supposant un locuteur et un auditeur et chez le premier l’intention d’influencer l’autre par des indices specifiques (1966, p. 241-242)36. Pourtant, dans la recherche appliquee, le marquage linguistique de Tintentionnalite du discours a rarement constitue un objet de reflexion. Par contre, 1’intentionnalite devient une preoccupation constante dans les directions de recherche dominees, de fapon plus ou moins explicite, par une pensee praxeologique, telles la philosophie du langage ou la theorie des actes de langage. Un nouveau paradigme est fonde, le paradigme intentionnel qui, prenant ses sources dans la redecouverte phenomenologique de 1’intentionnalite, se developpe en linguistique grâce au toumant marque dans la description du sens par Grice (1957/1971 ; 1968/1989). Le sens n’est pas une sorte d’objet cognitif produit par le discours des locuteurs, mais c’est une intention - ou plutot un complexe d’intentions - signifiante qui vise â produire un effet sur l’auditeur : L a l’intention de signifier (de faqon non-naturelle) quelque chose en enonțant une expression linguistique x peut etre reecrit comme : 36II est interessant de citer egalement l’opinion tres approchante de Breal qui, dans son Essai de semantique de 1897 ecrivait: « l’expression, pour celui qui parle, se proportionne d’elle meme â la chose, grâce â l’ensemble des circonstances, grâce au lieu, au moment, â / 'intention visible du discours, et parce que chez l’auditeur qui est de moitie dans tout langage. l’attention, allant droit â la pensee [...] la restreint ou l’etend selon l’intention de celui qui parle » (apud Germain, 1973 ; nous soulignons) 85 Soit un auditeur A et L a l’intention que son enonciation de x produise chez A un effet (reponse) E, grâce â la reconnaissance par A de cette intention ou encore comme : L a l’intention de produire chez A 1’effet E grâce â la reconnaissance par A de cette intention (1957/1971, p. 58 ; nous traduisons) Grice ajoute que « 1’effet intentionne doit se trouver sous le controle de 1’auditeur ». Cette description du mecanisme de production du sens, rediscutee et amendee par de nombreux auteurs (dont Searle, 1969/1972, 2.6 ; 1983/198537) a fini par s’imposer en pragmatique38. Elle fonde le sens dans ce rapport constitutif de la pragmatique : intention - convention. Ainsi se dessine un concept d'intention/ intentionnalite propre â la praxeologie/pragmatique discursive: l’intentionnalite discursive ne se realise que grâce â la reconnaissance par 1’auditeur de l’intention du locuteur de produire un effet. Parret (1980) precise que l’intentionnalite releve de la praxeologie langagiere dans la mesure ou : (i) elle est envisagee uniquement sous son aspect actionnel (debarrassee de tout mentalisme); (ii) elle determine le type d’acte discursif effectue ; (iii) elle est conventionnellement investie dans les fragments discursifs. L’intentionnalite pragmatique est le resultat, selon Parret, d’une double reduction : 37 Notons que Searle non seulement propose un reamenagement de la formule du sens non naturel, mais encore il rejette l’idee que les intentions significatives (meaning intentions) visent â produire des effets sur l’auditeur (1983/1985, p. 204); c’est une position qui determine la description de l’acte de langage que nous allons discuter au chapitre 1.4.1.6. 38 Citons comme exemple une formulation percutante de Levinson : « La communication est un type complexe d’intention qui ne peut etre realisee ou satisfaite que si elle est reconnue » (1983, p. 15 ; nous traduisons). 86 - de Vintention â Vaction intentionnelle marquee conven- tionnellement (premiere etape dans l'elimination de l'approche mentaliste); - de Vaction intentionnelle aux actes-type intentionnels (ce qui assure la possibilite de decrire le systeme d’actes discursifs, admettant 1’idee des universaux du discours). Parret souligne les avantages de la reduction de l’intention - epiphenomene mental, â l’action (discursive) intentionnelle : une intention peut etre « privee », couverte â l’observation, et consideree ainsi comme une entite mentale; une action est ouverte et conventionnellement « marquee ». La pragmatique, debarrassee des questions specifiques de la philosophie de l’esprit ou de l’action, pourra, grâce â une taxinomie des marques specifiques des actions intentionnelles, atteindre le niveau des actes de discours - type. La problematique de l’intentionnalite pose donc un ensemble de questions concemant d’une part qui est le sujet-siege de l’intention discursive, et, d’autre part, quel est le rapport entre intention et convention au sein de l’acte de discours. La premiere question releve d’une theorie generale des signes ; elle touche â la nature meme des phenomenes : naturels et/ou conventionnels qui sont ou qui peuvent fonctionner comme signes. Dans quelle mesure un phenomene est signe puisqu’il est produit et/ou interprete comme signe ? L’intentionnalite signifiante se trouve-t-elle du cote du locuteur ou de l’auditeur ou encore des deux ? Et l’intentionnalite signifiante est-elle ou non constitutive du signe ? La conception triadique du signe peut faire pencher la balance du câte du recepteur puisque le rapport substitutif, definitoire du signe, est destine â etre saisi (etabli, compris, interprete) par quelqu’un. Dans la theorie semiotique bon nombre d’auteurs conferent â l’acte interpretatif du recepteur ce pouvoir fondateur de signes: qu’une manifestation quelconque, produite intentionnellement ou pas, par un emetteur humain ou non humain, peut etre signe pour celui qui le per^oit comme tel39. 39 En decrivant les divers modes de production des signes, Eco utilise la formule « un objet ou un fait - produit par la nature ou par l’action humaine (intentionnellement ou non intentionnellement) [...] est compris par un destinataire comme expression d’un certain contenu » (1976/1982, p. 288 ; 87 Nous pensons toutefois que le concept & interpretant chez Peirce, neutre â l’egard de l’opposition emission vs reception, implique en egale mesure les deux poles, ce qui restreint le domaine des signes aux signes conventionnels et aux langues/langages (non) naturels. La perspective praxeologique revele un deuxieme groupe de questions autour du probleme du « marquage » de 1’intentionnalite discursive puisque, en effet, beaucoup, peut etre meme la plupart des intentions humaines sont, en fait, realisees par des moyens linguistiques (Searle, 1983/1985, p. 194) Si l’on considere la description de 1’intentionnalite proposee par Searle et citee ci-dessus : INTs = (CRO + DES) la croyance et la volition sont ă interpreter comme 1’aspect motivationnel40. L’equivalence intention - motif laisse prevoir qu’au niveau de la manifestation conventionnelle de 1’intentionnalite on decouvre une concurrence disjonctive entre deux classes de marques/indices dans l’enonce : les marques de la performativite et les marques modales (attitudes propositionnelles). II sera donc possible de decrire les motifs et/ou les intentions de l’agent locuteur par le biais d’un meme «instrumentaire » semantico-logique, et notamment des propositions modalisees ou les enonces performatifs41 (cf. infra, 1.4.1). Postuler l’idealite de l’agent discursif est la condition d’une description de cet agent comme une competence praxeologique nous traduisons); on remarquera au passage que la description porte sur les modes de reception et aucunement sur la production des signes. Se referant plus specifiquement â l’activite langagiere, Berrendonner estime qu’il suffit pour que la communication ait lieu qu’un recepteur reconnaisse 1’intentionnalite de l’emetteur en tant que signe (1981, p. 82). 40 C’est parce que je veux, j'espere, je crois, y'ai l'intention de faire p que je vais accomplir l’acte afin de realiser l’etat de chosesp. 41 En linguistique on parle de modalite d’enonce et modalite d’enonciation (â titre d’exemple, Parret, 1976). 88 sous-tendue par une competence epistemique : ceci definit V agent rationnel2. Dans la description de Searle (2001, p. 95-96), l’agent rationnel se definit par les proprietes suivantes : II existe un x tel que (i) x est conscient (ii) x perdure dans le temps (iii) x a des raisons pour agir et agit en respectant les contraintes de la rationalite (iv) x, agissant avec raison, est capable de decider, initier, mener â bonne fin des actions, en supposant qu’il est libre (v) x est responsable, du moins pour certains de ses comportements. La rationalite de l’agent discursif est une hypothese forte, pourtant defendable ; trois conditions sont requises par cette propriete : (1) les systemes d’entites formant la competence de l’agent sont consistants ; (2) l’agent agit intentionnellement; (3) l’agent obeit aux principes de la rationalite. La condition (1), de consistance, a pu sembler une hypothese trop forte ; elle suppose : (i) dans le plan epistemique, la consistance de l’ensemble propositionnel formant la competence epistemique de l’agent locuteur, ce qui veut dire : 42 La necessite d’attribuer au locuteur la propriete de rationalite afin de rendre possible l’analyse des actes qu’il accomplit a ete plus recemment soulignee par Sperber et Wilson (1986/1989, p. 248) : «Pour identifier l’intention informative que le commmunicateur communique rationnellement, autrement dit, que le communicateur a de bonnes raisons de penser que le stimulus produit aura les effets voulus. Une telle presupposition de rationalite est essentielle non seulement ă l’Identification de l’intention informative, mais aussi â 1’Identification inferentielle des intentions en general. On identifie les intentions d’un agent en presupposant que cet agent est rationnel et en tentant de trouver une interpretation rationnelle de ses actions ». 89 - que le locuteur est â tout moment conscient de ce qu’il sait, croit (autrement dit, A sait/croit que p et A sait que A sait/croit que p, et - qu’il est â meme de connaître toutes les implications logiques des propositions qu’il connaît et qu’il enonce, ce qui n’est evidemment pas le cas lors du discours quotidien ; (ii) dans le plan praxeologique. la consistance des etats intentionnels (y compris epistemiques) fonctionnant comme motif(s) et respectivement intention(s) de l’acte. Dennett (1987/1990) estime que la consistance praxeologique se decrit comme la non contradiction entre les motifs et les intentions de l’acte, ce qu’il stipule sous le nom de Principe de sincerite43. II est evident que dans la situation concrete d’un discours quotidien actuel les sous-conditions (i) et (ii) ne sont pas satisfaites. Searle (2001) propose un modele plus faible de la rationalite humaine, par rapport â ce qu’il appelle le « modele classique». II considere que : (i) un etat intentionnel (CRO + DES) ne cause pas directement l’acte44 ; (ii) la rationalite n’est pas affaire de respect des regles syntaxiques (logiques ou grammaticales) puisque «le contenu semantique garantit la validite de l’inference ; (iii)la rationalite n’est pas une faculte independante, elle se manifeste dans l’intentionnalite et le langage ; (iv)notre volition n’est pas illimitee, mais sujette aux contraintes contextuelles (arriere-plan cognitif, limitations biologiques ou culturelles); 43 On pourrait rapprocher ce Principe de sincerite formule par Dennett de la regie (constitutive) de sincerite figurant dans le modele de l’acte illocutionnaire construit par Searle : accomplir un acte illocutionnaire qui presuppose un etat psychologique d’un certain type c’est eprouver effectivement cet etat. Or, une modification s’impose lorsqu’il s’agit d’action discursive : l’agent discursif se presente comme eprouvant effectivement un ensemble non contradictoire d’etats psychologiques. 44 Entre raison et acte, trois types d’intervalles (gap) s’interposent: la prise de decision, le passage â l’acte sur la base de cette decision, le deroulement temporel de l’acte. 90 (v) il existe des raisons independantes de la volonte ; (vi)un agent peut etre caracterise par un ensemble inconsistant de raisons. Pour rendre compte d’une telle rationalite «faible», sans accepter pour autant la rationalite « forte » du modele classique, des restrictions s’imposent: la premiere definit la competence de l’agent comme un systeme consistant (de propositions modalisees) dans une situation donnee (relativement â un intervalle de temps et â un theme de discours donnes)45. Une seconde restriction sous-tend l’operation d’idealisation de l’agent : ce systeme propositionnel qui represente l’agent ideal, configure pour et par une situation precise, ne subit aucune influence modificatrice exterieure â l’echange discursif46. On peut egalement proposer avec Fr. Jacques que l’agent discursif soit apte â obvier â toute constatation d’inconsistance : Dire qu’un locuteur adhere â l’obligation de consistance, c’est dire qu’il s'engage ă remedier ă toute instance revelee de sa violation. En d’autres termes, chaque fois qu’il sera confronte par son partenaire â l’inconsis- tance de l’une de ses croyances, il s’efforcera de la reviser. (1979, p. 219) Cette condition decrit principalement ce qu’on pourrait appeler la rationalite epistemique de l’agent. La condition (2) affirme le caractere conscient de l’agent, dont toutes les actions (discursives) sont intentionnelles. Considerer le sujet locuteur comme un systeme intentionnel c’est le traiter, comme nous 45 Nous avons decouvert la meme restriction chez Dennett (1987/1990, p. 71): « Dans le sens fort un agent rationnel qui croit que p, et si p implique q, doit croire egalement q ; [...] Cette definition de la rationalite peut sembler et a semble trop forte; elle doit etre postulee â propos d’un univers thematiquement circonscrit, et pour un etat de conscience precis, celui qui est « active » au moment du comportement agentif (production/interpretation) ». 46 Parmi les nombreux modeles de description de l’action linguistique on retrouve cette idee de l’idealisation de l’agent; citons l’« interpretation radicale » de Lewis (1974) qui reduit egalement la personne (l’agent) â un systeme de croyances, de desirs, de sens qui obeissent ă une serie de principes (de charite, de rationalisation, de verite, d’exprimabilite). 91 l’avons vu, comme un individu doue de croyances et de desirs susceptibles de devenir motifs - raisons de l’acte, et d’etats intentionnels responsables du passage â l’acte. Pour Dennett c’est la premisse meme de la possibilite d’interpretation des actes puisque « la strategie de 1’interprete » consiste â traiter l’objet dont on predit le comportement comme un agent rationnel dote de croyances et de desirs et d’autres etats mentaux manifestant ce que Brentano et d’autres appellent l’intentionnalite. (1987/1990, p. 27) Une action est intentionnelle par sa nature meme ; l’action linguistique l’est aussi, avec la particularite, que nous avons plusieurs fois soulignee, que cette intention se donne ă reconnaître comme telle : c’est le propre des actions discursives de se menager le succes au travers des conventions dont la reconnaissance par 1’auditeur constitue un motif suffisant pour attribuer â l’agent locuteur une certaine intention discursive. Ainsi, non seulement le systeme de croyances et de desirs auquel l’individu agissant a pu etre reduit doit etre consistant, mais il doit etre possible de considerer de tels motifs et croyances comme les motifs - raisons de son comportement. Or ce qui rend comprehensibles l’action c’est Ia raison de l’acte. Ajoutons que l’intentionnalite et la rationalite de l’agent ont pour corollaire sa responsabilite, son engagement dans l’acte. Tout acte accompli par un agent discursif le place dans le systeme de droits et d’obligations prevu par les conventions langagieres et sociales et qu’il est tenu observer : leur violation peut entraîner des sanctions morales ou meme juridiques. Remarques. 1. Cette condition exclut du champ de la pragmatique linguistique les “accidents", meprises, cafouillages, malentendus, effets ludiques, dus parfois â l’interference de niveaux intentionnels differents47, tous phenomenes autrement 47 C’est ainsi que decrit Freud (1904/2004) le lapsus linguae par exemple ou les autres « actes manques ». 92 interessants, mais qui se definissent par leur ecart vis-â-vis des conventions pragmatiques ordinaires. 2. Le caractere conscient de nos actions (discursives) n’exclut pas que les composantes de cette action, telles les operations, ou meme l’action dans son ensemble, puissent etre realisees de fa^on automatique, c’est-â-dire apparemment de faqon inconsciente: accomplir quelque chose automatiquement c’est ne pas etre conscient - mais pouvoir toujours le devenir - des motifs et intentions de l’acte ; le faire de faqon inconsciente c’est le faire pour des raisons et intentions « refoulees » au niveau de l’inconscient. La condition (3) pose le principe de la rationalite praxeologique. La tradition cartesienne considerait la rationalite comme une propriete du sujet relative â la cognition ; la perspective praxeologique elargit le champ de la rationalite dans le plan de l’acte. Etre rationnel dans son action (discursive), c’est choisir l’action qui, selon le systeme de connaissances de l’agent, est censee realiser avec un maximum d’efficacite et d’economie un certain but (une certaine intention). Or, la voie la plus sure d’etre efficace et economique, c’est observer les conventions. A. Kasher (1976) place le Principe de Rationalite parmi les fondements philosophiques de 1’activite humaine et dont decoulent les normes specifiques de l’activite discursive, telles les maximes du Principe de Cooperation. Ce principe, qui regit le rapport but - moyen(s) (intention - convention dans le cas du discours) prevoit que : Etant donne le but vise, on doit choisir l’action qui realise ce but de la maniere la plus efficace et avec le moindre cout, ceteris paribus (Kasher, 1984, p. 577, nous traduisons) Comme Dennett, il estime que l’observation de ce principe permet l’interpretation du comportement: Nous devons assumer que les buts et les croyances du locuteur dans un contexte d ‘enonciation foumissent une justification complete du comportement du locuteur (ibid.) Cette tentative de reduire les maximes du Principe de Cooperation â un principe plus general au nom de l’efficacite de 93 l’action sera critiquee par H.Parret au nom de la nature interactive de l’activite discursive. Pour Parret, l’agent rationnel est, dans la description proposee par Kasher, « un etre egoiste et solipsiste » dont le comportement est justifie par rapport â ses seules croyances. Or, estime Parret, l’economie de moyens â l’egard du but doit etre evaluee, et elle l’est au cours du processus discursif, en rapport avec un savoir commun et mutuel: L’etre ensemble, dans la vie pratique des societes [...] est seulement possible â partir du deșir commun de l’obligation, et c’est ce deșir la que l’on presuppose dans l’autre quand il faut decoder la signifiance de son discours et de son comportement (1990, p. 52) Parret parle, dans le cas de l’agent discursif, d’une raison cooperative : etre intentionnel et rationnel, c’est etre cooperatif Etre raisonnablement cooperați/ c’est etre efficace dans une situation de communication donnee et par rapport â un certain individu interlocuteur; l’efficacite discursive depend de l’observance des conventions partagees par toute la communaute socio-langagiere : c’est la condition meme de la possibilite d’interpreter le compor- tement, le sien comme celui de l’autre, de produire du sens. Cette these est largement acceptee par les philosophes du langage - pour Dennett elle est â la base de la « strategie de 1’interprete », ainsi que par les pragmaticiens : Pour qu’il y ait comprehension, et donc communication, il faut presupposer que le locuteur joue les regles du jeu comme norme ; s’il ne les joue pas, on ne pourra le comprendre qu’en saisissant son comportement discursif comme violant les regles du jeu conversationnel. (Parret, 1990, p. 49) 1.1.3. L’agent intrasubjectif Une fois acceptees ces reductions du sujet parlant â un agent discursif ideal, rationnel, responsable et cooperatif nous pouvons avancer l’hypothese d’un agent discursif intrasubjectif, qui se construit dans et par l’acte de discours en tant que correlation entre 94 deux roles discursifs : destinateur et destinataire, que les individus empiriques participant â l’echange discursif accomplissent dans une situation de discours. L’agent decrit comme un couple de râles discursifs est certes un modele descriptif ici propose afin de rendre compte de la nature particuliere qui nous semble caracteriser l’acte de discours au sein de la vie sociale. Rappelons que dans la theorie de l’enonciation le sujet locuteur est l’unique responsable de son acte individuel ; malgre les presupposes theoriques differents, le sujet de l’acte de langage (surtout dans la version searlienne) est toujours unique responsable de l’acte, meme si l’accomplissement de l’acte observe des regles (constitutives) socialement partagees. Si Austin stipulait parmi les conditions de succes de l’acte l’execution correcte et complete de l’acte par tous les participants au rituel, cette condition a ete peu commentee et exploitee : le locuteur a toujours ete, et l’est toujours, seul responsable de l’acte illocutoire. La these principale que nous soutenons est que l’agent de l’acte de discours ne saurait etre que le couple destinateur - destinataire, sans que pour autant il y ait symetrie ou simultaneite temporelle dans l’execution des roles respectif. Nous proposons d’introduire le concept d'agent intrasubjectif que nous distinguerons d’un agent intersubjectif^. On dira qu’une action est accomplie par un agent intrasubjectif lorsque : 1. le comportement de chaque individu cooperant ă l’action ne peut pas etre decrit comme une action autonome ; 2. les comportements de ces individus peuvent etre subsumes â une seule intention discursive ; 3. le non accomplissement par un des participants du role discursif qui lui incombe produit l’echec de l’acte ; 48 Cette hypothese, avancee dans Măgureanu (1975), est ici essentielle, determinant l’ensemble de la demarche descriptive presentee. 95 4. le but de l’acte de discours est la modification mutuelle des participants en tant qu’agents ideaux, reductibles â un univers de savoir. L'agent intrasubjectif est donc une fonction qui couple deux univers de discours et qui prend l’une des deux valeurs reussi vs echoue. Une action collective sera dite accomplie par un agent intersubjectif ou par des agents differents qui cooperent (consensuellement ou non) lorsque : 1. leur comportement peut etre decrit comme des actions autonomes ; 2. ces actions peuvent etre identiques ou differentes ; 3. si un participant n’accomplit pas son role il ne s’ensuit pas necessairement l’echec de l’acte dans son ensemble ; 4. il n’y a pas de modification mutuelle des univers de discours impliques. On peut penser â un orchestre qui joue une symphonie sous la direction de son chef, ou â un groupe de fideles avec leur pretre qui participent â la celebration d’une messe : chaque musicien execute sa partition qui peut etre identique ou differente de toutes les autres ; chaque fidele peut reciter une priere, la meme ou une autre que celle recitee par les autres ; chacun agit de fa^on autonome, l’execution de son role n’est pas conditionnee par l’execution par les autres de leurs roles respectifs. Les membres de 1’orchestre sont dits « executer la symphonie S » tout comme les fideles « celebrent Ia messe », mais dans ces cas il n’y a ni dependance ni modification reciproque. Remarque. Une distinction quasi-similaire est proposee par F. Jacques, auteur dont la conception du dialogisme est la plus proche de la notre. L’action collective â agent intrasubjectif est chez F. Jacques (1983) une action conjointe, accomplie (i) par tous les participants ensemble, alors que (ii) ce que l’un fait n’est pas la meme chose que ce que fait un autre ; l’action conjointe se distingue d’une action commune (pour nous â agent intersubjectif) realisee par la coordination d’actes individuels et, dirions-nous, autonomes. Nous y reviendrons au chapitre consacre â l’acte de discours. 96 L’idee d’un agent intrasubjectif peut trouver des appuis en philosophie comme en linguistique. On trouve deja chez Hegel l’idee que l’action humaine (et en particulier les actions mentales de penser et de connaître) se caracterise par : un sens double non seulement par rapport â soi-meme et par rapport â autrui, mais aussi parce qu’elle est en meme temps action de l’un sur l’autre (Hegel, 1807/1965, p. 108-109) La philosophie du XXe siecle a beaucoup reflechi sur le role du rapport â autrui dans la construction/deconstruction du sujet: la preoccupation de l’hermeneutique pour la comprehension en tant que voie d’acces â l’esprit de l’autre50 rencontre le (re)decouverte de 1’intentionnalite par la phenomenologie de Husserl51. Au centre, le sujet. On aimerait citer longuement M. Buber dont le texte Je et Tu represente une sorte de commentaire philosophique qui precede la reflexion benvenistienne dans le domaine de la philosophie du langage. Nous nous resignons â remarquer l’apparition dans les textes plus recents de J. R. Searle (1991,1995/2000) de l’idee de l’existence de comportements intentionnels collectifs, qui ne sont pas la somme des comportements 49 Nous avons emprunte le terme intrasubjectif ă L. Goldman qui, decouvrant le sujet constitue par plusieurs individus, qualifiait d’intrasubjectives « les relations entre individus qui sont chacun des elements partiels du veritable sujet de l’action » (1970, p. 102) 50 II suffit de reflechir dans ce sens ă la defmition de l’acte de comprendre chez Dilthey (1900/2001, p. 239): «Le procede grâce auquel, â partir de signes re<;us de l’exterieur par Ia voie sensorielle nous connaissons quelque chose d’interieur [...] nous connaissons un psychique dont l’expression est constituee par ces signes memes ». 51 Chez Husserl l’intersubjectivite fondatrice de la communaute humaine est le theme de la cinquieme meditation cartesienne: «le sens d’une communaute humaine, le sens de l’homme qui, deja en tant qu’individu, porte en soi le sens de membre d’une communaute [...] implique le fait d’exister-reciproquement- l’un-pour-1’autre [...] A cette communaute correspond, certes, dans la realite concrete transcendentale une communaute ouverte de monades que nous appelons intersubjectivite transcendantale » (1977/1994, p. 167); nous nous sommes attardee sur cette citation pour faire comprendre ce qu’il y a de commun mais aussi surtout de different avec le concept ici propose, dans un cadre pragmatique. 97 individuels, ni un comportement individuel influence par la croyance de l’individu â propos du comportement des autres.  la base d’un tel comportement serait un phenomene biologique primitif: 1’intentionnalite collective (sorte de ^oi/^-intention; cette intentionnalite collective ne se definit pas, comme la «connaissance partagee», par l’application recursive d’intentionnalites et n’est pas non plus reductible â des intentionnalites individuelles (/e-intentions). L’intention collective represente la forme primitive, puisque je decris mon intention d’agir comme «j’accomplis l’acte A en tant que pârtie de notre accomplissement de l’acte B». Appliquee au discours, l’hypothese de Searle serait: Nous communiquons au moyen de mon action d’accomplir un acte illocutionnaire et ton action d’interpreter mon acte.  cette vision, quelque peu idyllique d’une communication communiante, H. Parret oppose l’heterogeneite constitutive et/ou montree de la relation de co-subjectivite, en parlant de X’interincomprehension fondamentale reposant sur la conflictualite indissoluble de la relation intersubjective (1991, p. 23). Une distinction peut donc etre faite, parmi les actions «collectives», entre actions ă agent collectif intersubjectif, consensuel ou non, et les actions ă agent intrasubjectif; nous croyons pouvoir deceler cette meme opposition dans la distinction qu’avance Buber, dans le contexte de sa philosophie, entre la relation Je - Cela, et la relation Je - Tu, entre le monde de l’experience et le monde de la relation (Buber, 1923/1969, p. 23). Dans le couple Je - Cela chaque je peut se demultiplier : il y aura autant de relations paralleles Jet - Cela ; Je - Tu constitue un couple indissociable dans lequel chaque entite n’est que ce que l’autre veut bien qu’elle soit. Le developpement de la pragmatique des annees ’80 permet egalement de soutenir notre point de vue : il est implicite dans la particularite de l’intention discursive, derivee de la description inten- tionnelle du sens, et qui est celle d’etre identifice comme telle52 : conse- 52 Cf. Parret (1980, p. 37-38) : « Decrire une action comme intentionnelle c’est mettre en evidence qu’il y a, en dehors des intentions particulieres portees par l’action, l’intention la plus globale - et des lors la plus fondamentale - que l’action soit reconnue comme intentionnelle, comme un ensemble intersubjectif de marques rendant possible la cooperation et la vie communautaire ». 98 quemment, si le role de l’auditeur dans l’enonce du locuteur a depuis longtemps ete pris en compte53, ce role etait et continue d’etre decrit (i) comme influence active qui determine la strategie discursive du locuteur : ainsi le locuteur choisit tel ou tel registre de langue, reformule ses dires, organise la structure informationnelle de son enonce, etc. en fonction de ce qu’il sait sur l’auditeur auquel il s’adresse ; (ii) comme presence du discours de l’autre dans le discours du locuteur, comme dans les nombreuses et tres variees formes de polyphonie. Une troisieme attitude est celle que nous soutenons ici : le recepteur joue son role en construisant avec l’emetteur le sens de l’enonce. Les auteurs insistant sur ce role sont de plus en plus nombreux : les positions oscillent entre un râie du recepteur plutât subordonne54 et l'interdependance totale des râles discursifs impliques55. Cette demiere position est en convergence avec ridee d’un agent complexe, d’une cooperation constitutive â la realisation de tout acte de discours des deux ou plusieurs individus impliques dans un acte discursif et polarises autour des deux fonctions discursives (destinateur, destinataire). • Vagent discursif intrasubjectif se decrit comme un couple de râles discursifs effectuant l’action et respectivement la co-action constitutive du râie de destinataire (co-agent). 53 L’une des premieres etudes consacrees â ce sujet a ete publiee par Marouzeau (1939). 54 Cf. par exemple Kerbrat-Orecchioni (1980, p. 161) : «le recepteur n’est pas le receptacle passif des significations discursives. Mais nous n’irons pas jusqu'â dire avec certains que ‘le texte c’est le lecteur qui l’ecrit’». 55 Citons entre autres F. Jacques (1983, p. 49) qui place â la base de son ceuvre cette these : « une enonciation est signifiante pour autant qu’elle est mise en communaute entre les enonciateurs qui sont par ailleurs en relation interlocutive actuelle » ; ou encore Guespin (1984, p. 65) : « le sens naît dans 1’interaction [...] le questionne, deuxieme personne du dialogue, est co-auteur de la question ». II est ă remarquer le succes dont jouit â la meme epoque dans le champ des recherches litteraires 1’ « esthetique de la reception ». 99 La co-action discursive n’est pas â confondre avec le comportement (linguistique) reactif de l’interlocuteur : replique ou reponse (qui est le fait d’une relation intersubjective). Le terme designe un acte constitutif de l’acte de discours - la comprehension - et sans lequel l’acte de discours n’est pas reussi. C’est un acte constitue de plusieurs operations: le decodage linguistique et V interpretation du sens de l’enonce produit par celui-ci; mais, pour qu’un individu procede â une telle action, il doit au prealable accepter son role de co-agent. II va sans dire que le co-agent discursif (le destinataire) a les memes proprietes que l’agent: il est donc une entite ideale, rationnelle, responsable et cooperative. Selon C. Popa (1984), un agent est teleologiquement engage en regard d’un etat du monde s’il se propose soit de realiser, soit d’eviter que cet etat soit realise. Dans le cas d’un acte de discours cet etat du monde - but de l’action - devient objet de l’intention discursive. L’intention discursive regissant l’acte impose donc au co-agent un certain type d’action : etre interlocuteur c’est etre l’interlocuteur d’un certain acte de discours. Accepter ce role discursif c’est accepter de reconstruire le contenu de l’enonce produit en rapport avec son propre univers de connaissances, preferences, etc. (univers de pensee) ; en consequence, c’est accepter de modifier son savoir en rapport avec l’enonce produit par le destinateur sans que soit mise en cause la propriete de rationalite. Ainsi la co-action a pour resultat un etat de l’univers epistemique de l’interlocuteur qui correspond ou non â l’etat vise par le locuteur et qui est susceptible de constituer un nouvel etat de la situation de discours qui constituera la situation inițiale de l’acte-reaction56. Cette description de la co-action discursive fonde en meme temps le critere du choix d’un destinataire susceptible de co-agir : ne 56 La distinction entre la co-action discursive comme processus interpretatif du sens et l’action reactive est clairement exposee par Wittgenstein : « Faut-il que je comprenne un ordre avant que je puisse agir pour l’executer ? - Certes! Autrement vous ne sauriez du tout ce que vous devez faire. - Mais passer du savoir â l’agir, c’est faire un nouveau bond ! » (1952/1961, § 505) 100 peut etre co-agent d’un acte de discours que l’individu susceptible de partager un ensemble de croyances et de desirs avec l’individu agent, et, sur cette base, de reconnaître l’intention de celui-ci. Remarque. Nous avons precise que se limiter â un cadre pragmatique c’est accepter de faire un certain nombre de reductions; dont celle du sujet locuteur, dans toute sa complexite psycho-sociale, â l’agent discursif, decrit par les seules proprietes pertinentes pour l’accomplissement d’un acte discursif. Nous avons releguee dans le champ d’une theorie de la performance toute la problematique de la relation socio- discursive, le rapport de forces installe au sein du combat que se livrent les sujets parlant afin d’acceder â une position favorisante au sein d’un systeme de places qui les depasse57. Le role discursif conpu ici comme une simple fonction praxeologique n’est donc pas â confondre avec le terme homonyme en sociolinguistique ou il designe l’ensemble des attentes sociales liees au statut social du sujet. • Si les roles discursifs se reduisent dans notre conception au couple destinateur (D) - destinataire (De), les participants â un echange langagier peuvent etre plus nombreux et occuper diverses positions dans une configuration actantielle plus ou moins variable. Cette configuration se construit en fonction de la maniere dont les individus presents participent â cet echange. Une situation frequente est produite par la presence d’une troisieme ou de plusieurs autres personnes. On distingue alors le destinataire (celui auquel le message est destine et qui, dans notre conception, est co-auteur de ce message) et un possible temoin : l’auditeur, qui peut etre present et accepte par le couple D - De ou cache â la vue de ceux-ci, intentionnellement ou non. Cette tierce presence — toujours perturbatrice â notre avis - est susceptible d’engendrer une serie de situations discursives : 57 Pour ce sujet se reporter â Flahault (1978); mais aussi ă Bourdieu (1987), Foucault (1969) et pour une presentation detaillee de la bibliographie Kerbrat-Orecchioni (1990 et 1992). 101 (a) l’auditeur dont la presence est connue du D et du D e peut etre vise par le destinateur comme destinataire reel de son message58; (b) la presence de l’auditeur est tout â fait accidentelle, connue ou non du couple D - De ; elle est donc non pertinente pour l’echange qu’ils sont en train de realiser ; (c) la presence de l’auditeur, cachee ou non, mais connue des actants principaux, est consideree comme perturbatrice, ce qui determine la prise de mesures de precaution : c’est l’origine des argots, jargons, chiffres et autres systemes de signes secrets, ainsi que des strategies discursives du type «induire en erreur», visant â rendre incapable l’auditeur - espion de devenir destinataire (d’effectuer la co-action discursive). Nous allons discuter du role joue par cette tierce instance dans la performance des actes discursifs dans la section consacree â ce que nous appellerons actes institutifs. En resumant, on obtient la configuration actantielle suivante : Participants agent discursif autresparticipants destinateur destinataire (direct) auditeur individu(s) present(s) accidentellement locuteur enonciateur destinataire non indirect destinataire Fidele â notre parti pris restrictif, dans une pragmatique du discours, quel que soit le nombre d’individus presents dans l’espace d’un echange discursif, seuls les râles de destinateur et respec- tivement de destinataire (direct ou indirect) sont â prendre en 58 Situation resumee par les Roumains par la phrase : Bate șaua să priceapă iapa ; Freud (1905/1969) attribue â ce type de configuration actantielle un role productif dans le fonctionnement des mots d’esprit, surtout â contenu sexuel. 102 consideration. Les autres possibles presences (auditeur non destinataire ou intrus) peuvent certes influer sur la strategie discursive des agents discursifs, comme elles peuvent d’ailleurs mettre fin â un tel echange, mais une telle influence, comme d’ailleurs les reactions discursives qu’elle peut produire, forment â notre avis l’objet d’une etude de la performance discursive. • Au point de vue du statut reciproque des participants â un echange discursif susceptible d’instituer une hierarchie des râles discursifs, plusieurs situations sont â envisager : (a) l’existence de normes (conventions, regles ou reglements) fixant le statut reciproque des participants et qui assurent en meme temps la distribution des roles discursifs : ainsi, dans l’echange discursif didactique, les prises de parole sont rigoureusement soumises aux reglements des institutions scolaires, l’eleve qui «repond» (â un moment non prevu par le destinateur-professeur) etant trăite d’« insolent» (Kerbrat-Orecchioni, 1980, p. 230) ; dans le cas d’une conference, d’une interview, d’un interrogatoire, d’un colloque scientifique, etc., l’accession des participants â la parole est egalement reglee, allant jusqu'â la creation d’un role de « distributeur de parole » rempli, dans le cas des reunions scientifiques ou autres, par le president de seance, ou par un « moderateur ». (b) â l'oppose se situent les echanges discursifs ou les participants se soumettent aux convenances sociales, acceptant une distribution alternative et â peu preș equivalente comme etendue des roles discursifs : ce serait le cas des echanges sans theme precise, du type «parler de la pluie et du beau temps » ou « echange de politesses » ; ces interactions sont caracterisees par un enjeu qui n’est pas d’ordre discursif, mais social. (c) au cours des echanges discursifs quotidiens visant â la transmission d’un savoir â des fins informatives ou factitives, mais, souvent autant, â l’instauration d’un certain type de relations sociales l’acces â la parole est le resultat des agissements des partenaires en vue d'occuper la position privilegiee de destinateur et de « monopoliser » la parole. 103 Ces deux principes de l'activite humaine : ludique59 (l’acceptation par les participants de «jouer le jeu » et de se conformer â des regles extra-discursives - cas (a) et (b)) et agonal (la lutte pour acceder â la parole - cas (c)) nous semblent caracteriser toute activite discursive. Pourtant chaque type de pratique discursive privilegie l’un ou l’autre de ces principes. La creation des normes, regles, etc., regissant le deroulement de certains echanges discursifs apparaît comme une strategie d’attenuation des effets du principe agonal. • La relation discursive designe le rapport qui s’etablit au sein du couple destinateur - destinataire, relation constitutive donc de l’agent intrasubjectif. A la difference du role discursif et de la configuration actantielle, qui sont des parametres extemes sous le rapport du modele ici choisi, la relation discursive s’inscrit dans ce modele comme une relation entre les univers de discours respectifs du D et du De. Cette relation est orientee et asymetrique, ce qui exprime le « privilege » dont jouit celui qui detient la parole. Le privilege de la position inițiative du destinateur a une double raison : (i) le D a l’initiative thematique : c’est lui qui choisit le domaine (theme) du discours, par rapport auquel se constituent les univers de discours respectifs (Ui et Uj); (ii) le D a l’initiative pragmatique : c’est lui qui est responsable d’une certaine intention discursive par rapport â laquelle le De se voit assigner un certain type de co-action discursive, qu’il est libre d’accepter ou pas60. La relation discursive peut se decrire comme une relation semantique d’accessibilite (ou d’altemativite) entre les descriptions possibles du monde appartenant â Ui et â Uj. Elle explique egalement 59 Ou consensuel, ou encore irenique. 60 Cette asymetrie synchronique est neutralisee par la necessite qu’il y a â ce que le De effectue une co-action pour que l’acte de discours ait lieu. «Si le locuteur a l’initiative temporelle de prendre la parole, il partage avec son partenaire l’initiative semantique » (Jacques, 1983, p. 62). 104 la constitution d’un univers commun de discours qui nous permettra de decrire, au chapitre suivant, la situation discursive. 1.1.4. Conclusions • Le sujet parlant est, dans une perspective praxeologique, agent du discours : l’investissement psycho-social dont il est porteur est ici deliberement reduit aux proprietes praxeologiques de tout agent, quel que soit le domaine d’action. • Ceci est une idealisation du sujet parlant. Ainsi con^u, l’agent discursif est caracterise par : - une competence : le savoir encyclopedique et le savoir-faire langagier; - une intentionnalite discursive, dont le specifique est le fait de se signaler moyennant des conventions linguistiques afin de pouvoir etre reconnue/identifiee par l’individu vise. • L’agent discursif obeit aux conditions generales de la rationalite qui visent en principal l’efficacite et l’economie de moyens. • L’agent discursif est ici decrit comme un couple de râles discursifs < D, De> (agent intrasubjectif). • Quel que soit le nombre des participants â l’activite discursive, la configuration actantielle polarise les participants autour de ces deux roles discursifs. • Une troisieme position est possible : si cette position est occupee par un agent, cette complexification est le fait d’une pratique discursive specifique. • La relation discursive est constitutive de l’agent discursif intrasubjectif ; elle est une relation semantique entre univers de discours. • L’idealisation du sujet parlant et la construction sur cette base du concept d’agent discursif permettent de proposer une reduction de l'agent discursif ă V univers de pensee / de discours qui le caracterise, avec l’avantage d’aboutir â un modele descriptif ou le concept de proposition - commun â la logique et â la linguistique - occupe une position centrale. 105 1.2. [/univers de discours L’idealisation de l’agent discursif, par sa reduction â un systeme d’etats mentaux intentionnels, impose la discussion d’un concept qui jouera un role central dans notre reflexion, â savoir le concept ^univers de discours. 1.2.1. D^finition La perception, la communication et le raisonnement engendrent un ensemble d’etats mentaux, c’est-â-dire de contenus (representant des etats de faits ou des cours d’evenements) que l’individu sait, croit, espere, prefere, estime obligatoires, permis, evalue comme bons ou mauvais, etc. Ces contenus peuvent etre actuellement actifs ou passifs ; ce demier cas correspond â ce que l’individu a su mais a pu oublier, et qui peut encore devenir actif, c’est-â-dire etre convoque par un processus de raisonnement. Une pârtie seulement de ces contenus sera explicitee au moyens d’enonces en langue naturelle que l’individu produit au cours des echanges verbaux dans lesquels il se trouve engage. Nous designerons cet ensemble intentionnel â caractere ouvert, non fini, en continuei devenir par le terme ^univers de pensee : il va sans dire que 1’univers de pensee n’est pas un concept operatoire dans l’analyse du discours. En sui vânt Searle, nous dirons qu’un etat intentionnel est la jonction d’un mode psychologique et d’un contenu representatif. On peut utiliser la notion plus familiere pour la linguistique de proposition modalisee. L’univers de pensee est donc un ensemble ouvert de propositions modalisees. Afin d’eviter l’ecueil d’une diversification â rinfini â laquelle aboutirait une telle description des participants au discours, des criteres peuvent etre utilises pour reduire 1’ « univers de pensee » â un ensemble fini de propositions: La logique a utilise un premier critere en proposant le concept de domaine du discours (note A) pour designer l’ensemble des referents thematises au cours de l’echange discursif ; cet ensemble 106 forme le domaine de validation des operations de reference et assure le succes de ces operations (la co-reference)61. Le processus de reference discursive en langue naturelle est plus complexe que le lien semantique qui fonde en logique la relation â la realite et cette complexite s’explique par l’interposition de ce referent entre le signe et l’objet ‘reel’ ; l’objet devient ainsi objet discursif, « mode par lequel un fragment d’experience est donne en discours sous la forme d’une expression nominale» (Borel, 1991). L’ensemble des expressions referentielles utilisees par les locuteurs au cours d’une interaction verbale constituera un ensemble de «representations cognitives publiquement partagees par les interlocuteurs » (Kleiber, 1997) qui forment la « memoire discursive» (Berrendonner, 1990), « l’espace de reference des noms, mais aussi de l’ensemble de ce qui a ete dit ou aurait pu etre dit avant ce texte, ailleurs que dans ce texte, et qui constitue la ‘memoire’ » (Seriot, 1986, p. 12). Rappelons quelques theses bien connues et generalement acceptees sur la reference : si le nom tout seul a une reference virtuelle, nous dit J. CI. Milner (1982, p. 10 sqf l’addition d’un determinant actualise la reference (on pourrait dire V accomplitf2. Le substantif, tel qu’en lui-meme, n’a pas pour autant une vocation exclușivement 61 Les logiciens et certains semioticiens utilisent le terme â'univers de discours dans Ie sens attribue ici au domaine du discours ; cf. par ex. Prieto ^1966, p. 19 sqq). 2 Chez Peirce la selection « thematique » incombe â 1’aspect indiciel du signe (de l’enonce, qui en tant que signe contient donc toujours un tel aspect; par ce biais l’attention de l’auditeur est dirigee vers le ‘sujet de l’assertion’ (2.334 - 2.336). Citons egalement, avec Deledalle (2002, p. 27): « Sans [symboles]; il n’y a pas de generalite dans les enonces, car ce sont les seuls signes generaux ; et la generalite est essentielle au raisonnement [...] Mais les symboles seuls n’enoncent pas ce qui est le sujet du discours ; et cela ne peut etre qu’indique ? Aucune description ne permet de distinguer le monde reel [actual] du monde de l’imagination. D’ou le besoin de pronoms et d’indices » (Peirce, 3.363). Dans la perspective de la theorie des categories, Deledalle discerne l’existence de trois univers: 1’univers du possible (contenant des fonctions propositionnelles), l’univers des existants (II existe au moins un x, tel que x est a), l’univers du discours ou de la pensee (Pour tout x, si x est P, alors il est Q). La convergence avec la perspective linguistique sur la reference est notable. 107 referentielle : ainsi Donnellan (1966) propose, dans un premier temps, l’opposition entre fonctionnements attributif (predicatif) et referentiel; recuperant les suggestions de Kripke (1977) sur la distinction entre reference semantique et reference du locuteur, il rediscute cette distinction comp te tenu du role determinant de l’intention du locuteur, qui, lorsqu’il emploie une expression referentiellement, se propose de creer « un contexte referentiel » (equivalent du domaine du discours) par rapport auquel l’auditeur soit capable de reconnaître cette intention et de proceder â l’identification du referent; ce qui n’a pas lieu dans un « contexte attributif». Le fonctionnement predicatif ou referentiel ne sont plus defmis selon la capacite â effectuer le lien (semantique) expression nominale - objet de la realite, mais implique un certain type d’intention langagiere et l’effectuation d’un acte intentionnel de referer ou respectivement de prediquer. Dans le contexte de la theorie des actes de langage, Searle decrit l’acte (propositionnel) de referer au moyen de regles constitutives : le locuteur reussit â referer â un particulier s’il existe un objet x (i) tel que ou bien R (1’expression referentielle) contienne une description identifiante de x, ou bien le locuteur soit capable de completer R par une telle description de x ; et (ii) tel que le locuteur a l’intention d’isoler ou d’identifier x pour l’auditeur (1969/1972, p. 142). Les deux conditions de la reference sont donc l’existence d’un objet - segment de la realite auquel un locuteur puisse referer et l’intention du locuteur de referer â cet objet, c’est-â-dire â isoler et identifier dans la realite un segment pour en faire l’objet vise par son intention referentielle. On remarquera que cette description de l’acte de referer rate la dimension interlocutive : en effet, pour Searle, enoncer R revient â identifier ou extraire x ă 1’intention de l’auditeur, mais pas necessairement avec lui. Searle ignore egalement la situation discursive dans laquelle l’acte a lieu. Or, la distinction entre premiere reference â un objet et construction d’un objet-referent, d’une part, et reference â un objet deja constitue d’autre part a ete consideree 108 comme pertinente pour les chercheurs qui ont propose une distinction terminologique : on designe un objet dans le premier cas, on denomme l’objet qui a ete deja constitue en referent discursif63. On ne saurait denommer ce qui n’a pas encore ete designe64. La denomination (selon Kleiber), par laquelle un terme descriptif permet de saisir un referent, peut etre ontologique (la description se fait au moyen de parametres categoriels ou substantiels exprimes par des predicats sortaux65) ou phenomenologique, manifestant la source subjective de l’acte de denomination (Kleiber et Riegel, 2003). Selon un autre critere, on peut referer ou identifier le referent individuellement, specifiquement ou generiquement: identifier ce que c 'est (par definition - generique ou specifique, ou par classement) ou identifier lequel est-ce, c’est-â-dire identifier l’individu (O’Kelly, Joly, 2003)66. Une distinction s’impose entre designation et/ou denomination (identifier ce que c’est) d’une part et identification (identifier lequel est-ce) d’autre part. II s’agit de deux etapes et, en meme temps, de deux conditions necessaires et conjointement suffisantes, dans le processus de construction des referents discursifs consideres non plus dans leurs rapports cotextuels, mais dans leur rapport aux individus extralinguistiques. La designation et/ou la denomination etablissent une relation semantique â un objet-referent possible, mais qui ne devient le referent actuel que si l’operation d’identification est reussie. Or, l’existence d’un objet auquel une expression linguistique puisse referer et l’intention du locuteur de referer â cet objet moyennant cette 63 Citons, â titre d’exemple, Prince (1988) pour qui il existe des referents nouveaux, evoques dans le texte ou le contexte et apparemment nouveaux mais inferables. 64 Kleiber (1997), qui reprend une these de Martin (1976, p. 49) pour lequel la denomination repose sur un presuppose existentiel. 65 Kleiber reprend ici une these de Strawson (1958/1972). 66 Les auteurs prennent pour base de leur these la distinction faite par Martin pour qui « Definir c’est [...] dire ce que c’est; determiner, c’est dire lequel c ’est » (1976, p. 45). 109 expression referentielle n’assurent pas le succes de VIdentification. La designation est une operation locutive (relevant d’une perspective semantique); alors que 1’Identification est la condition interlocutive qui assure le succes de 1’operation referentielle. Nous proposons une distinction complementaire dans le plan du refere : on parlera de referent discursif dans l’acception definie par Karttunen (1976) comme d’une entite fonctionnant dans le plan textuel67 - designee et identifiee textuellement, et A"objet ou referent extralinguistique, segment de realite designe et/ou identifie au moyen des expressions linguistiques68. Or, la nature intentionnelle de l’acte de referer au moyen de signes d’une langue naturelle explique le caractere subjectif de la reference, qu’il s’agisse de denomination ontologique ou phenomenologique. Dans le plan de la reference, l’effet est, â notre avis, la constitution d’un plan intermediaire, qui est celui d’une image construite par le discours, representation de l’objet extralinguistique, et appartenant â l’univers de discours du locuteur. Entite conceptuelle, resultat d’un certain mode de se rapporter et de referer â l’objet, on la designera par 1’expression objet discursif Dans le cas de la reference directe (demonstrative) l’objet discursif est court-circuite par la relation deictique referent discursif - objet extralinguistique. Par contre, dans la plupart des situations discursives, la reference passe par la construction d’un meme objet discursif ou plutot d’objets discursifs suffisamment approchants pour permettre d’identifier un meme objet extralinguistique. L’Identification n’est pas toujours l’etablissement de la reference actuelle milnerienne : il est possible de co-referer alors que chaque participant envisage en fait un autre objet extralinguistique (c’est le cas du qui pro quo), ou au contraire de ne pas co-referer tout en parlant du meme individu. 67 Karttunen est preoccupe par l’etude des circonstances linguistiques dans lesquelles un groupe nominal est cense decrire correctement un individu et la perspective est strictement linguistique. 68 C’est l’acception courante en logique, ou referent et denotatum sont le plus souvent synonymes. 110 Deux autre criteres, pragma-linguistiques, doivent etre ajoutes afin de mieux cemer l’univers de pensee du participant â un discours : (i) le positionnement spatio-temporel de cet ensemble en rapport avec le lieu et le moment de l’acte ou de l’interaction verbale, et (ii) le type d’interaction et/ou d’acte verbal(e) qui joue dans la selection d’un ou de certains sous-ensembles de l’univers de pensee pertinent(s) pour la production du sens. On obtient un ensemble fini de propositions, l'univers de discours (note Uf constitue des propositions utilisees par l’agent discursif dans l’enonciation/interpretation/evaluation des enonces produits au cours de l’echange discursif. R. Martin (1987, p. 10) a propose le terme & univers de croyance pour designer : L’ensemble de propositions qu’au moment ou il s’exprime le locuteur tient pour vraies (et consequemment celles qu’il tient pour fausses) ou qu’il cherche â accrediter comme telles, cet ensemble determinant « le champ de validite de ce qui est dit» (idem, p. 39)69 69 L’idee apparaît chez la plupart des logiciens et il serait fastidieux d’en retracer ici l’histoire ; mais deja en 1847, A. de Morgan ecrivait: «Si on considere que dans beaucoup, peut etre dans la plupart des propositions, le domaine de la pensee est beaucoup plus restreint que ce qu’on appelle d’habitude l’univers dans son ensemble, alors l’ensemble du domaine d’un sujet en discussion est [...] ce que j’ai designe par univers, c’est-â-dire un domaine d’idees qui contiennent le sujet en discussion ». Dans le champ de la pragmatique le concept apparaît sous diverses appellations : dans le modele d’analyse textuelle de J.Petofi (1978) sont utilises les faits generalement sus ; Searle introduit pour demontrer l’inexistence d’un «sens litteral» les assomptions d’arriere-plan (1979a); Parret (1980) developpe le concept en parlant de contexte presuppositionnel et de contexte actionnel, Wunderlich (1980) utilise le terme de premisses contextuelles. Ces termes, quasi- equivalents extensionnellement, varient quant â la fațon d’en definir les composantes et surtout quant au role qui leur est assigne dans la production/interpretation des enonces. 111 La limitation de l’univers de pensee sur la base d’un domaine du discours correspond â l’operation linguistique de thematisation. Remarque. II est interessant de suivre, pour comparaison, l’evolution de la conception de R. Martin : V univers de croyance designe dans Pour une logique du sens « l’ensemble indefini des propositions que le locuteur, au moment oii il s’ exprime, tient pour vraies ou qu’il veut accrediter comme telles » (1983, p. 36 ; nous soulignons) ; dans Langage et croyance la definition se reduit â «l’ensemble des propositions qu’au moment oii il s’exprime le locuteur tient pour vraies (et consequemment celles qu’il tient pour fausses) ou qu’il cherche â accrediter comme telles. » (1987, p. 10): dans le premier cas l’univers de croyance correspond â ce qui a ete ici designe par univers de pensee, dans le second, â l’univers de discours. Chez Martin l’univers de discours, « ensemble de circonstances, souvent specifiees sous forme d’adverbes de phrase, dans lesquelles la proposition peut etre dite vraie» (1983, p. 37) se precise comme espace de validation de la reference, limitant la verite â ce qui est dit et circonscrit par diverses conditions exprimees linguistiquement par des « expressions introductrices d’univers de discours »70 ; ainsi, ce qui ici est designe par univers de discours correspond â l’univers de croyance chez Martin. L’univers de discours joue un role central dans les approches cognitivistes. En effet, le cognitivisme accepte comme postulat gnoseologique l’idee que « la connaissance est une representation symbolique du reel» (Rastier, 1991, p. 35); les connaissances sont donc envisageables comme des formes propositionnelles, les processus cognitifs operant sur ces systemes de propositions qui representent nos connaissances. 70 Cette description se trouve â la base d’un developpement par Charolles de la theorie des cadres du discours (cf. Pery-Woodley, 2000). 112 Sperber et Wilson (1986/1985) definissent le sujet - locuteur par un savoir encyclopedique qui reflete sa perception globale du monde (p. 115), constitue de formes logico-propositionnelles qui sont l’objet de differentes attitudes (etats intentionnels) telles la croyance ou le deșir. Le savoir encyclopedique est une pârtie de la memoire encyclopedique qui contient toute representation conceptuelle; il forme le niveau basique sur lequel reposent les inferences interpretatives (la comprehension). Considerons enfin la notion d’arriere-plan {Background) que Searle developpe ă partir de son article « Le sens litteral » et surtout dans ses textes ulterieurs (1980, 1983/1985, 1995/2000). Dans la perspective ontologique adoptee par le philosophe americain, 1’arriere- plan est, a un niveau basique preintentionnel, «un ensemble de capacites mentales non representatives qui est la condition d’exercice de toute representation » (1983/1985, p. 174), « ensemble d’habiletes, de manieres d’utiliser les choses, des modes de comportements, des pratiques culturelles et de know-how biologiques et culturels » (1992, p. 23) ; la supposition qu’il existe une realite independante de nos representations est une composante de 1’arriere-plan qui determine un « espace de possibilites » assurant les conditions d’intelligibilite de nos comportements. L’arriere-plan n’est donc pas un niveau representationnel plus pro fond, un «savoir» dans l’acception classique, mais une sorte de « savoir comment» (faire) par rapport auquel les contenus intentionnels sont interpretes. Cette insistance sur la nature non representationnelle (et donc non cognitive) et non intentionnelle de 1’arriere-plan permet â Searle de contoumer le risque de regression â 1’infim des niveaux cognitifs et de rejeter la conception d’un arriere-plan dont le seul role serait d’assurer les conditions de satisfaction des contenus intentionnels (y compris du sens de l’enonce). Ainsi, Searle modifie sa propre conception exposee dans « Le sens litteral », lorsqu’il parlait encore d’« assomptions ou de presuppositions d’arriere-plan », induisant ce qui maintenant s’avere une interpretation trompeuse, â savoir l’idee d’ensemble de representations (propositionnelles)Zde connaissances utilise dans l’acte de comprehension. A la lumiere de ce nouveau concept, illustrant le ralliement de Searle â la direction biologisante du cognitivisme, « les 113 conditions normales de depart et d’arrivee»- premiere condition pragmatique d’accomplissement d’un acte de langage (1969/1972), sont devenues des conditions d’arriere-plan. Elles determinent ce qu’on pourrait appeler 1’ « agentivite langagiere » du sujet parlant71 . La notion d’univers de discours se retrouve chez Searle dans la definition du Reseau (NetWork), ensemble de ce que je sais, je crois ou je presuppose comme etant vrai. C’est cette acception, qui est par ailleurs la plus repandue parmi les pragmaticiens, que nous utilisons ici. 1.2.2. Description72 L’univers de discours d’un agent rationnel est suppose consistând : p et non p ne peuvent appartenir simultanement â un meme univers. La consistance est une propriete semantique d’un ensemble de propositions. En fait, la consistance est un effet de la capacite de l’individu â assigner une valeur de verite â toute proposition nouvellement consideree par rapport â son univers de discours, c’est-â-dire â cet ensemble de propositions dotees deja d’une valeur de verite. Ne feront par consequent pas pârtie de U (d’un sujet locuteur) les propositions indecidables (inintelligibles, absurdes ou disconvenantes, selon Martin) dont le sujet locuteur est incapable d’evaluer la valeur de verite. Reste la question des propositions indeterminees. Sans insister, disons toutefois que, selon Martin, il y a deux types d’indetermination : par ambivalence et par 71 Selon Searle, le fait que la table qui se trouve devant moi est un objet solide n’est manifeste par aucune croyance, mais plutot par le fait que j’ai envie de poser des choses ou de me hisser lâ-dessus, y laisser mes livres, m’en servir de point d’appui (1991, p. 23). 72 Sur ce sujet, nous suivons l’etude magistrale de Robert Martin, Langage et croyance (1987). 73 Comme nous 1’avons dit, la consistance n’est pas une condition remplie par l’univers de pensee. Selon Martin (1987, p. 35) «la consistance des propositions sans lien direct avec le sujet du dialogue n’a en tout cas pas d’importance pour son efficacite ». 114 suspension. Sont ambivalents les enonces ambigus, dont le contenu peut etre represente par des propositions differentes, mais ayant chacune une valeur de verite precise suite â la possibilite d’un choix contextuel ou situationnel de l’interpretation pertinente. Dans le sens inverse, le «flou»dans le langage nous semble relever de l’interpretation, guidee par la presence d’items generateurs de flou. Une proposition dont la valeur de verite est suspendue (par exemple dans le cas des enonces interrogatifs) pourra toujours integrer l’univers de discours des qu’elle recouvre cette valeur. Donc l’univers de discours est constitue, â chaque moment precis de l’interaction verbale, de propositions que le locuteur estime vraies ou non vraies et exclut toute proposition â laquelle aucun des participants n’est capable d’assigner une valeur de verite. Selon Martin, l’univers de discours est constitue d’une multiplicite de descriptions possibles du monde (plusieurs ) en fonction d’une attitude modale (propositionnelle) specifique. Parmi ces descriptions du monde se distingue le monde actuel (), celui auquel le sujet locuteur a un acces direct74. II existe dans notre univers de croyance /de discours des mondes monologiques (extensionnels) qui comprennent des mondes potentiels (w) ou contrefactuels (non w), ainsi que des images d’univers (par analogie, mondes dialogiques) qui sont les representations d’un univers de croyance dans le discours, que cet univers soit celui du locuteur lui-meme, mais â un autre moment ou celui de quelqu’un d’autre (hetero-univers), ou encore que ces mondes soient modalises (pour R. Martin, epistemiques) ou contrefactuels. Cette description de l’univers de croyance/discours proposee par R. Martin est, sans aucun doute pour nous, une voie particulierement interessante permettant de constituer une sorte de « grammaire pragmatique », autrement dit une description du systeme linguistique (du fran^ais) â partir d’une position pragmatique. Le but 74 Pour la logique, le monde actuel est « le monde de ce qui est». Nous ne croyons pas que, lorsqu’il s’agit de decrire le discours/texte, cette definition soit encore valide: ce n’est pas un monde des modalites ontiques (alethiques), mais le monde de ce qui est cru comme etant ce qui est, donc un monde epistemique. 115 de notre reflexion, concentree sur la problematique de la performance des actes de langage, n’exige pas qu’on s’attarde davantage sur la question de la structure de l’univers de discours. Disons toutefois que la condition de consistance re^oit une autre description dans ce cadre theorique : elle concerne un meme monde, autorisant la presence de p et de non p, mais dans des descriptions differentes du monde. La condition de consistance explique l’anomalie de : (1) ? Je ne sais pas que p. enonce qui ressemble au paradoxe du menteur, puisque dire Je ne sais pas que p presuppose, au meme titre que dire Je sais que p, la proposition Le locuteur croit ă la verite de p Remarque. On aura note que cette description modifie la description d’inspiration logique : savoir que p et ne pas savoir que p presupposent la verite de p. En effet, cette description logique ne met pas en valeur le fait que l’enonce Je sais/Je ne sais pas quep est asserte par un locuteur et que c’est ce locuteur qui presuppose la verite de p, cette presupposition etant une condition d’acceptabilite de son enonce. Dans le cas des enonces : (2) Je ne savais pas que p. (3) II ne saitpas quep. la « normalite » s’explique par une scission entre deux univers de discours (en termes martiniens, provoquee par l’apparition d’une image d’univers): - dans le cas (2), entre un Ui â un moment tț et non p g U^ et Ui au moment z0, auquel appartient p ; - dans le cas (3), les deux univers de discours en question appartiennent â des individus differents : Uj et Ui et p G Ui. Considerons egalement les exemples suivants : (4a) Quand je l "ai rencontre, il m ’a dit qu ’il reviendrait demain 116 (4b) ? Quand je l’avais rencontre, il m’avait dit qu’il allait revenir demain. Les deux enonces vehiculent une meme structure de contenus propositionnels : p : A rencontre B au moment ti dans l’espace (ou A est le locuteur, B un individu dont il rapporte les dires) q : B dit r au moment ti dans l’espace Si r : B vient en sn au moment tn, ou sn = Si et tn > ti. L’emploi du deictique demain introduit dans les deux enonces une rupture, qui semble toutefois acceptable en (4a) et (presque) inacceptable en (4b). Soit l’univers de discours de A au moment ti l’univers de discours de B au moment ti U^0 l’univers de discours de A au moment t0 (ou tQ note le temps de l’enonciation) Selon les regles de la syntaxe fran^aise demain designe un moment temporel posterieur au moment de l’enonciation, place donc dans w c U; dans la mesure ou la premiere pârtie du contenu rapporte r (B vient en s,) est realise par un enonce qui utilise les marques du contrat de fidelite du discours rapporte (la concordance des temps) : l’emploi de demain - qui ne le fait plus - peut marquer soit : (i) le fait que A cite B, l’acte de citer etant marque par des signaux suprasegmentaux, soit (ii) un changement de perspective qui produit un eclatement de l’univers de discours de A en et U[° . Dans la mesure oii dans (4a) rien n’empeche d’equivaloir tt â demain par rapport â to, cet eclatement, per^u par l’interlocuteur, n’est pas genant : celui-ci infere que le moment du retour de B dans sn correspond (factuellement) â la joumee suivante par rapport au moment ou A lui adresse l’enonce (4a). 117 Dans (4b) l’eclatement est per^u comme un obstacle â l’interpretation de l’enonce : par l’emploi du plus-que-parfait le locuteur laisse entendre que le contenu r s’est avere faux, car tn est un moment anterieur au moment to. Ceci rend l’emploi de demain (un tn posterieur â t0) bizarre. Le destinataire est ainsi oblige de choisir la variante de la citation, si d’autres marques (suprasegmentales) viennent la corroborer. A notre avis, ce genre de mecanismes de dissociation qui font eclater l’univers de pensee d’un sujet parlant en plusieurs sous-univers de discours sur la base du critere de la consistance agissent dans bon nombre de cas ou l’on peut reperer des « fautes », en particulier dans l’usage du subjonctif, oii les regles d’emploi prevues par la grammaire et appliquees de fa^on automatique viennent contredire la valeur de verite assignee â la proposition par le locuteur. Partiellement, ce phenomene se retrouve â la base de la polyphonie discursive, objet d’une attention particuliere de la part des linguistes depuis la decouverte de Bakhtine. Les cas discutes ci-dessus, dont la polyphonie, ne sont en fait que 1’effet de l'emergence dans le discours du phenomene general de l’intentionnalite qui sous-tend la pensee et l’activite communicative : comme nous l’avons deja souligne au chapitre precedent, l’acte communicatif implique un palier motivationnel constitue d’etats intentionnels causant, dans le sens de donnant sens ă, l’intention performative de l’acte. Ce palier correspond â ce qui en logique et, plus recemment, en linguistique - chacune de ces disciplines selon le cadre theorique qui est le leur - a ete trăite sous la categorie de la modalisation 5. 1.2.3. Modalisation et motivation Le concept logique de modalite surprend l’attitude que le sujet parlant adopte envers la proposition par laquelle il represente un etat de faits de la realite. Cette « realite » peut correspondre au monde actuel du locuteur, ou peut etre une realite que le locuteur estime 75 Pour une ample discussion de la modalite en linguistique, cf. Etudes contrastives (1981), Tuțescu (2005). 118 possible, qu’il deșire voir s’accomplir, ou encore il peut s’agir de mondes reperes par des moments divers du temps : les propositions ainsi modalisees forment les diverses descriptions du monde constituant l’univers de discours de l’agent. En logique le concept de modalite definit soit la relation vericonditionnelle entre un contenu propositionnel et la realite representee soit, plus recemment, l’attitude du sujet parlant envers la realite qu’il represente au moyen de l’enonce qu’il produit76. II est bien connu que l’une des premieres approches de la modalite apparaît chez Aristote. La plupart des commentateurs attribuent au philosophe grec une conception purement semantique de la modalite assimilable et assimilee â un operateur modal (cf. Kneale et Kneale, 1962, voi. I, p. 95). II nous semble que cette conception conduisant au confinement de la logique au seul domaine du vrai et du faux, selon le rapport d’ajustement du langage au monde, ne correspond pas tout â fait au texte aristotelicien : preoccupe, sans conteste, principalement des «enonciations» assertives qui correspondent â des formes propositionnelles completes, Aristote ne perd jamais de vue le sujet reflechissant, responsable du jugement de verite. Or, la validation est un acte mental intentionnel, l’affirmation et la negation sont des actes verbaux qui expriment cet acte mental; les expressions modales ou les quantifieurs sont des manieres de prediquer et/ou de referer77. Ces attitudes transpercent dans l’enonce du locuteur au moyen des elements modaux sans qu’il existe toutefois une identite entre ceux-ci et celles-lă. L’application de la logique modale â l’etude du discours a impose l’extension du domaine de la modalite aux attitudes subjectives du locuteur; on parle d’attitude propositionnelle lorsque la valeur modale est indexee sur le sujet parlant : quelque chose est vu, connu, 76 Un echo de cette oscillation est perceptible dans la discussion de Camap sur le concept d’opinion qui, dans sa vision, est un concept pragmatique fondamental (1955/1972, p. 314) 77 Donnons un exemple : « ‘Tout’ ne signifie pas l’universel mais signifie de maniere universelle » (Aristote, 1998, p. 23 ; nous soulignons). 119 espere, voulu, deșire, etc. par quelqu’un (note, par exemple, CROap : l’individu a croit que p\ et les lois logiques doivent en tenir compte. Les linguistes et/ou les logiciens ont adopte deux Solutions altematives dans le traitement des modalites en langues naturelles ; ils ont propose de : a) reconnaître l'ecart entre les lois de la logique et les lois du discours, celles-ci etant decrites en rapport avec celles-lâ, comme deviation (Grice, 1967), ou b) estimer qu’une logique « naturelle » doit etre construite, qui rende compte des lois specifiques de la langue naturelle (G. Lakoff, 1972, 1973). Nous n’avons pas l’ambition, ni d’ailleurs la competence de construire un tel systeme (la possibilite semble d’ailleurs en faire probleme). La difficulte majeure surgit non pas lors de l’application ou de la construction d’un systeme modal quelconque, mais au moment ou il s’agit de decrire un acte de discours dans toute la complexite modale qu’il met en jeu. Pour clarifier la distinction entre mode d’etre des choses dont on parle et le mode de s’y referer, la logique medievale introduit la distinction au moyen des concepts de modalite de re et de dicto. Reconnaître l’existence de ces deux formes de modalite ne se reduit pas â distinguer entre deux niveaux d’incidence de l’operateur modal78 et â en tenir compte dans les calculs logiques (en particulier, dans l’operation de quantification) ; c’est aussi reconnaître qu’â cote d’une logique du reel, le sujet parlant introduit une logique du dire, instituant dans la realite des rapports logiques fdtres par une conscience subjective. II va de soi que la logique, refusant toute immixtion du subjectif - qui echappe aux lois logiques -, a longtemps prefere ignorer cet ancrage subjectif de la modalite de dicto. Ceci explique d’une part le developpement de la logique modale dans la seule direction des valeurs alethiques (possible, necessaire) et, au sein de cette direction, l’interpretation identique de la valeur alethique par rapport aux lois de la logique : la necessite - au niveau de re ou au 78 On a L(x) (px pour la modalite de dicto et (x) (pL pour la modalite de re, ou L = necessaire, x note la variable individuelle, (p un predicat. 120 niveau du dictum - exprimera ce qui est logiquement necessaire (ce qui est vrai en vertu des lois logiques). La proposition de von Wright (1968) de reduire les modalites de re aux modalites de dicto represente une tentative d’homogeneiser le traitement des valeurs modales79, mais souleve une difficulte philosophique de taille, due â l’ignorance de la nature ontologiquement differente des deux types de modalites. Von Wright semble toutefois avoir par moments ete conscient de cette distinction fondamentale, lorsqu’il affirme par exemple : Je pense qu’il existe une certaine presomption en faveur de la these selon laquelle seules les choses qui sont logiquement contingentes peuvent avoir un statut deontique (normatif) (1968, p. 60—61) II est essentiel, â notre avis, de distinguer les modalites ontiques, qui qualifient les etats de choses (par exemple, l’etat de chose ‘il pleut’ est possible) et qui, ă ce titre, ne sont pas dans le champ discursif, et les modalites dites cognitives80, dont le domaine sont les propositions qui representent ces etats de faits : dire que la proposition II pleut est necessaire signifie que la proposition II pleut est necessairement vraie ; elle est possible lorsqu’il est possible qu’elle soit vraie, etc. Une nouvelle distinction s’impose entre : (i) la modalisation objective, lorsque la valeur de verite des propositions est evaluee strictement sur la base du rapport proposition - etat de choses represente : â ce type de modalisation correspond le systeme des modalites alethiques construit autour des valeurs necessaire vs possible. Le rapport semantique semble etre le meme pour tout individu rationnel : il s’ensuit la possibilite d’ignorer le sujet - locuteur qui produit ces propositions ; 9 von Wright (1968, 14) etablit le tableau d’equivalences suivant: E - certains M - possible P - permis ~ E- aucun - M- impossible ~ P- interdit ~ E- -tous —necessaire — obligatoire entre les modalites existentielles (les quantificateurs), alethiques et deontiques ; pour une critique de ce type de tentative se reporter â Hugues et Cresswell (1968) ou encore â F. Nef (1976). 80 Cf. Enescu (1985, p. 205). 121 ( ii) la modalisation subjective que le locuteur, en produisant des enonces dont le contenu sont les propositions, introduit afin d'instituer un certain rapport â la realite et â autrui. C’est la modalisation qui fonctionne dans le discours et que les logiciens tentent de plus en plus de surprendre au moyen de systemes de logique modale : epistemique, deontique, axiologique, de la preference, etc. La modalisation subjective con^oit les valeurs modales comme etant relatives â l’individu siege de l’operation modalisante : une proposition vraie est vraie dans tous les mondes possibles constitutifs de l’univers de discours de l’individu considere (elle est vraie par rapport â ce que cet individu sait). Une proposition possible est vraie dans au moins un monde possible constitutif de cet univers. Remarque. Le concept semantique (tarskien) de verite cede la place â un concept pragmatique de verite, le seul qui interesse l’etude du discours. En effet, la conception du referent discursif comme construction (textuelle) culturelle et la prise en consideration du role du sujet conduisent vers une relativisation de la valeur de verite par rapport â l’univers de pensee/de discours des individus parlants. La verite des logiciens ne fonctionne pas dans le discours ordinaire et il n’est meme pas sur qu’elle fonctionne dans le discours scientifique. Dans le discours ordinaire est acceptee comme vraie la proposition dont les participants au discours acceptent les presupposes, identifient le meme referent, partagent une meme predication pareillement modalisee. Comme l’affirme R. Martin, la verite de ce qui est dit se limite â des sous- ensembles de mondes definis spatialement, temporellement, etc. ou â des « images d’univers » : Le vrai « objectif » n’a pas de realite linguistique, mais seulement une verite prise en charge. (1987, p. 30) Strawson (1949) reconnaît que la verite n’est pas une propriete metalinguistique des propositions : dire p est vrai c’est en fait dire qu'enoncer quelque chose de vrai c’est accomplir un acte d’accepter, de confirmer : « II est vrai que p » signifie « Je confirme /Je garantis que p ». La verite devient ainsi un critere pragmatique de reussite de la communication. L’importance des modalites subjectives dans le fonctionnement du discours permet de conclure sur certaines particularites qui opposent une langue naturelle â une langue artificielle : 122 - une logique â deux valeurs (vrai/faux) s’avere convenable dans la seule description d'un systeme construit (postulats, theoremes, regles de calcul) avec la volonte d’eliminer toute trace possible de l'usager ; c’est le cas des langues artificielles. Le probleme essentiel dans cette demarche est l’evaluation des propositions, la valeur de verite etant assignee uniquement en fonction des regles deja prevues par le systeme, et par un rejet volontaire de tout element exterieur ; - une telle demarche est totalement inadequate, â notre avis, â l’analyse des langues naturelles : la verite ou la faussete d’une proposition enoncee au cours d’un discours ne peut pretendre â l'objectivite d’une verite confirmee ou infirmee par les seules lois du systeme. Les verites echangees par les interlocuteurs sont toutes relatives, resultat d’une evaluation au sein de l’univers de discours qui est par sa nature subjectif. II s’agit donc d’une verite pragmatique qui peut parfois contredire la verite logique ; - dans ce sens nous estimons que si la logique peut offrir des suggestions precieuses pour la description du discours, son utilisation implique du doigte et certaines precautions ; - la notion de verite pragmatique se trouve au coeur d’une zone conceptuelle visant â saisir le propre de l’echange linguistique : elle est â mettre en rapport avec les concepts de comprehension, de signification vs sens, ^'implicite et en particulier d'implicite conversationnel. Dans le cas des langues naturelles, la problematique de la modalisation se complique par toutes les possibilites dont dispose le locuteur pour marquer le degre de prise en charge des contenus propositionnels (ce qui correspond â notre avis â une attitude epistemique). Si les attitudes propositionnelles sont indexees sur le locuteur, celui-ci a le choix d’indiquer linguistiquement la source de son savoir, source plus ou moins determinee ou plus ou moins fiable. Ce phenomene se retrouve dans le champ « classique » du discours rapporte, mais aussi dans la variete de formes de «discours represente » , de marqueurs linguistiques du « point de vue » , notion plus recemment recuperee par la linguistique81. Dans la Presentation 81 On peut consulter ă ce sujet Nolke (1993); Langue franțaise, n° 102, 1994 ; Travaux de linguistique, n° 29, 1994 ; Rabatel (1997, 2003, 2004). 123 au numero 102 de la revue Langue franțaise, Dendale distingue entre la modalite (attitude propositionnelle) et l’evidentialite, « expression des modes de creation et/ou de recolte de 1’Information », marquee par une classe heterogene de moyens linguistiques (adverbes de phrase, groupes nominaux prepositionnels, diathese, valeurs modales des temps, discours rapporte). II est impossible, dans le contexte de notre discussion de developper ce sujet qui, bien que jouant un role important dans l’interpretation des enonces, n’est pas directement implique dans ce que nous comprenons par la structure dialogique de l’acte de discours. Notons toutefois que, s’il est interessant de distinguer ces deux categories, de l’evidentialite et de la modalite, il est egalement possible de les considerer comme deux formes de marquages du phenomene scalaire de la prise en charge par le locuteur du contenu propositionnel. Le concept d’attitude propositionnelle integre les deux types de modalite (de dicto vs de re, ou, en linguistique, d’enonciation vs d’enonce) et reduit cette distinction â une mise en forme linguistique. Dire : (5) II est possible qu ’ils pleuve. (6) II pleuvra, probablement (7) Je crois qu "il pleuvra. c’est exprimer la meme attitude face au phenomene meteorologique considere dans p=Il pleut. La difference releve de la maniere dont le locuteur manifeste cette attitude comme une possibilite tenant des lois physiques ou comme evaluation subjective de cet evenement dont l’intervention est jugee possible. Si l’on revient au modele searlien de l’action (1979b/1982, 1983), nous rappelons les deux paliers de l’intentionnalite pour decouvrir au premier palier, celui des intentions prealables, la description d’un etat intentionnel S developpe en (CRO + DES) qu’on peut reecrire comme [(CRO + DES)ap} (l’individu a croit et/ou deșire que p, toutes les combinaisons etant possibles, comme le propose Searle (1983). Cet etat intentionnel occupe donc dans la structure de l’action la position des attitudes propositionnelles (modalites) - motifs/raisons de l’acte. Exemplifions : 124 II existe dans l’univers de discours du destinateur une proposition pi representant un etat du monde â l’egard duquel il a une certaine attitude : il a des preuves pour croire que cet etat existe (ou que la proposition pi est vraie), il deșire que quelqu’un - lui-meme ou un autre - produise cet etat de faits (faire que pt soit vraie), il regrette que cet etat de faits se soit produit, etc. II existe donc une proposition modalisee Mph appartenant ă l’univers de discours du destinateur (Ud) qui peut constituer le motif d’un acte futur (intention prealable), motif qui determine, dans une certaine situation d’acte, l'intention d’agir (intention en action). Ainsi, par exemple, le destinateur sait qu’il existe un etat de choses decrit par pt (note Kd Pi), autrement dit que p^ est vraie (par rapport â ce qu’il sait). Ce savoir peut constituer pour lui un motif pour faire savoir au destinataire que pi est vraie ; il accomplira donc un acte de type assertif qui, s’il reussit, aura comme resultat l’enrichissement de l’univers de discours du destinataire par une nouvelle connaissance (K^p^. Ce nouvel etat de l’univers de l’interlocuteur peut constituer le motif qui determinera â son tour une intention d’agir ou de reagir - verbalement ou physiquement - compte tenu de la nouvelle situation ou pt g U dC . Aucune confusion ne doit etre faite, â notre avis, entre la lexicalisation des modalites, telles qu’elles sont decrites en linguistique â la suite des logiques modales et la modalite con^ue comme constituant motivationnel de l’acte. On decrit l’enonce Je crois qu’il pleuvra comme ayant la structure Vb aux modal + p (CROap). Mais cette description ne doit pas masquer la structure de l’acte d’asserter quep : [CRO (+ DES)] ap —> Asserter ap [1] qui est une proposition appartenant au metalangage praxeologique decrivant une action82. Toutefois, on doit reconnaître avec Searle (s.d., p. 14) que : 82 Nous allons revenir sur ce sujet et sur la position de Searle â cet egard au chapitre consacre â l’acte. 125 That there is a close connection between speech acts and Intențional States is at least strongly suggested by the parallel syntactical forms of speech acts verbs and the corresponding Intențional verbs that name the sincerity conditions of these speech acts. For example, in English, both the verb ‘state’ and the verb ‘believe’ take ‘that’ clauses as sentential complements. Both ‘I state that it will rain’ and ‘I believe that it will rain’ are permissible. II est evident que, dans le cas particulier des actes de langage, l’intention (en action) pour se realiser, doit etre signalee (verbalement). Ces marques contribuent â l’etablissement de la configuration de l’univers de discours que le locuteur propose au moment ou il accomplit l’acte. 1.2.4. Conclusions • L’univers de pensee d’un agent discursif, ensemble ouvert de propositions qu’il connaît, deșire, prefere, etc., se reduit â un univers de discours, T ensemble de propositions qui constitue le champ de validation d’un contenu propositionnel effectivement produit/compris par l’acte de discours ; • Cette reduction est consecutive â un complexe d’operations : la reference â un objet discursif, le reperage spatio-temporel ainsi que les contraintes exercees par le type d’interaction verbale sur le choix d’une certaine description possible du monde ; • L’objet discursif est une image discursive de l’objet, et non l’objet du monde reel; • Cette reduction assure la consistance de l’univers de discours ; • La consistance de l’univers de discours suppose que toute proposition appartenant â cet univers est susceptible de validation ; • Le contenu propositionnel d’un enonce produit est marque intentionnellement par une attitude propositionnelle (modalite subjective); • La modalisation subjective differencie le discours en langue naturelle du discours utilisant une langue artificielle ; • II est necessaire de distinguer entre attitudes propositionnelles, constituant la raison de l’acte et modalites praxeologiques, impliquees dans l’accomplissement de l’acte. 126 1.3. La situation discursive Dans le chapitre precedent nous nous sommes propose de surprendre les particularites de l’agent discursif par rapport â tout autre type d’agent et d’en presenter une description - moyennant la reduction â l’univers de discours - qui puisse utiliser les moyens offerts par un systeme linguistique ; en faire donc une sorte de texte produisant â son tour un texte. Le role joue dans l’accomplissement de toute action par la situation d'acte explique qu'on ne saurait eviter de faire intervenir dans la description tout element situationnel susceptible de contribuer â, ou par contre, d’empieter sur la performance de l’agent. Ce chapitre est consacre â l’analyse et â la description de la situation discursive (situation de l’acte de discours) visant - ici encore - â identifier les traits specifiques qui viennent s’ajouter aux particularites de l’agent de discours pour assurer â l’action discursive, en tant qu’exercice de la fonction symbolique, une place de choix parmi les attributs de l’espece humaine. 1.3.1. Historique du problâme. Une analyse detaillee, precise et quasi-exhaustive du concept de situation en linguistique (jusqu’en 1973) a ete faite par C. Germain (1973). Les premieres mentions du sujet datent - selon l’auteur cite - de la fin du siecle demier83. Au-delâ des fluctuations terminologiques : contexte, situation, contexte situationnel, contexte de (la) situation, situation de communication, etc., la pensee structuraliste s’est evertuee â dissocier le contexte linguistique de la situation extra-linguistique, afin de pouvoir assigner des frontieres precises â son objet d’etude. Le refus d'aborder la question de la situation est conscient et motive dans l’etape historique respective. Sous l’influence en particulier des recherches en psycholinguistique84, en sociolinguistique et en 83 II est peut-etre significatif que le premier â avoir parle de la situation dans la litterature francophone fut Bally, qui reprend l’idee de M. Breal, celui-ci preoccupe du sens, celui-lâ des effets de sens produits par l’utilisation des mots dans le discours (par des sujets parlants). 84 Soulignons ici les merites de la recherche de Slama-Cazacu (1959). 127 ethnographie linguistique, plusieurs tentatives ont ete faites en vue d’analyser et de classer les elements qui constituent l’environnement (de la production) d’un enonce. A peu d’exceptions preș, on s’accordait â considerer qu'au point de vue ontologique on peut distinguer entre (apud Germain, 1973): • le contexte linguistique • la situation extra-linguistique : - d’origine linguistique : la situation contextuelle (dans le code ecrit) - d’origine non linguistique o la situation physique o la situation non physique. II est interessant de remarquer l’insertion de cette demiere categorie : la situation non-physique. II s’agit d’un ensemble de faits connus referant â ce qui est dans l’esprit des sujets parlants ainsi que dans la realite physique exterieure telle qu'elle estpergue. Firth {apud Germain, op.cit.) soutient d’ailleurs que dans la conversation la plus banale les mots sont moins importants que « le contexte de situation per Intention en action FAIRE -> RESULTAT (-► consequences) (univers commun de discours) a ete decrite au moyen d’instruments communs â la logique et â la linguistique, le concept de base etant la proposition : - L’agent discursif est constitue des rapports praxeologiques institues par et dans la parole entre deux sujets qui occupent les râles discursifs respectifs de destinateur et destinataire dans un acte de discours. - Chaque sujet parlant est reductible ă son univers de discours, ensemble de propositions modalisees decrivant ses representations, ses motifs, etc. - II est possible de concevoir la situation d’acte sous la forme d’un ensemble de propositions que les individus participant â l’echange acceptent, autrement dit par l’intersection (non vide) des ensembles propositionnels que sont les univers de discours respectifs des participants ; cette intersection non vide a ete appelee univers commun de discours. - Un certain univers commun de discours constitue la situation inițiale de chaque acte de discours ; il est â la fois condition et objet de cet acte : (i) l’univers commun de discours doit contenir les propositions qui constituent les conditions de succes de l’acte ; (ii) l’acte est destine â modifier cet univers commun de discours dans une direction qui, dans l’espace de deroulement de cet acte, doit etre acceptee par les deux participants. 141 C’est dans cette meme perspective que sera ici analyse le faire langagier - ce que nous avons appele Vacte de discours. 1.4.1. L’acte de langage. 11 est actuellement unanimement accepte de considerer que l’« unite de communication linguistique» (Searle, 1969/1972, p. 52) est l’acte de langage. Mais l’unanimite a eu son revers : l’assimilation du concept â des orientations theoriques parfois assez differentes en a modifie le sens de fa^on â le rendre inoperant dans une theorie du discours. Ceci justifie un examen critique de ces directions de recherche, afin de marquer les points de contact que notre approche maintient avec la theorie des actes de langage, autant que les divergences qui nous en eloignent. La question qui semble donc se cacher au coeur de la problematique du langage, quelle que soit l’approche proposee, est celle de comprendre dans quelles conditions utiliser un systeme de signes pour produire un objet semiotique : l’enonce, c’est en meme temps agir, produire un changement dans le monde. « Faire des choses avec les mots » semble relever d’un pouvoir magique que certains conferent au rituel (qu’il soit simplement linguistique ou socio-culturel), alors que d’autres le transferent sur l’objet (symbolique) ainsi produit. On aura reconnu deux directions principales qui se sont fait jour dans l’approche du phenomene discursif: le conventionnalisme et V ascriptivisme^. 96 La serie assez riche de couples terminologiques (constativisme vs performativisme, Stampe, 1975 ; conventionnalisme vs intentionnalisme; descriptivisme vs ascriptivisme, Ducrot et Schaeffer, 1995) temoigne - au- delâ de divergences parfois marquees - d’une meme Identification de deux positions differentes reiati ves â l’acte de langage. Le terme d’ « ascriptivisme » a ete propose par P. Geach (1960) qui definit - et critique - cette position qui consiste â stipuler que « dire qu’une action x a ete volontaire et intentionnelle de la part d’un agent A ce n’est pas decrire l’acte x comme etant cause d’une certaine maniere, mais c’est l’attribuer â A, qui en est responsable ». Le terme d’ascriptivisme souligne donc le rapport entre l’acte intentionnel et la responsabilite de l’agent. 142 Les deux directions prenant leur source dans le meme texte austinien, il nous semble opportun de souligner les etapes d’une reflexion dont le trajet a pu susciter des interpretations aussi nombreuses que diverses. La theorie des actes de langage97 prend corps autour de la pensee de John L. Austin et de son livre How to Do Things with Words, publication posthume des conferences que le philosophe donna â l’Universite Harvard en 1955. Des priorites, ou des convergences, ont pu etre depuis decouvertes : notons en particulier les theories de Reinach, dont la conception de l’acte de langage comme acte « social» createur de droits et obligations semble annoncer Ducrot, ou encore Gardiner98, les theories sur les fonctions du langage, dont les plus connues sont dues â Biihler et â Jakobson ; on pourrait ajouter dans l’espace francophone le contexte positiviste dans lequel se developpe la pensee de Saussure : A. Comte en premier lieu qui souligne la nature d’institution sociale de la langue, Sechehaye et Bally qui publient le Cours tout en developpant une linguistique de la parole99. Ces preoccupations pour la langue comme institution sociale en font un instrument d’interaction. La prise en consideration de la parole, de l’enonciation, du discours semble donc se justifier par un changement de la perspective sur la place et le role de la langue « au sein de la vie sociale », pour faire echo â une these celebre de Saussure. 97 La theorie des actes de langage, dans la version classique Austin - Searle etant bien connue, seuls les points d’interet pour notre demonstration sont pris en consideration. 98 Pour une etude detaillee de l’histoire du concept cf. Smith (1990) ou encore Reboul et Moeschler (1994, chap.l). 99 « La linguistique de la parole s’interesse [...] aux phenomenes concrets, aux actes dans lesquels la langue est mise au service de la pensee avec tout ce qui fait de chacun d’eux un phenomene occasionnel different de n’importe quel autre phenomene», annonțait A. Sechehaye des 1908 (apud Chiss, J.-L. et Puech, C., Le langage etses disciplines. Paris, Bruxelles, Duculot, 1999, p. 66). 143 L’acte de langage, de parole, de discours ou encore d’enonciation100 recevra donc non seulement des noms divers, mais aussi des definitions variables en fonction des perspectives theoriques dont ces concepts formeront le pivot. II serait impossible de retracer ici l’histoire deja riche de la litterature sur ce sujet, elle est d’ailleurs bien connue ; nous proposons un parcours rapide qui s’arretera sur un aspect, fondamental, de la pragmatique, suggere par le titre austinien (faire avec les mots) et qu’asserte le titre bien connu de l’article de Strawson (1964/1971) : le rapport entre intention et convention dans l’acte de langage. De ce point de vue nous faisons l’hypothese qu’Austin se situe plutot dans la lignee d’une pensee inauguree par Peirce, et ceci en depit des allegations de l’auteur meme, alors que la demarche de Searle semble orientee, du moins dans la periode de l’elaboration de sa version de la theorie des actes de langage101 - que nous allons designer par le premier Searle - vers la construction d’une representation semantique (logique) de l’acte de discours. Le texte austinien reconstitue sous les yeux du lecteur le parcours de l’investigation menee par l’auteur sur des problemes classiques dans la philosophie du langage ordinaire et en particulier dans la philosophie de l’Ecole d’Oxford : le rapport entre langage, sens et verite. 1.4.1.1. Performatif vs Constatif. Pour Austin, le postulat fondateur est qu’enoncer une phrase (et on peut dire d’autant plus, un texte) c’est «executer une action » definie comme « un evenement physique precis, effectue par nous, et distinct â la fois des conventions et des consequences » (Austin, 1962a, p. 117) La premiere hypothese austinienne developpe l’opposition entre deux modalites d’enonciation: l’enonciation constative et 100 La traduction franțaise hesitante de l’anglais speech act: acte de langage, acte de parole, nous semble due moins â l’ambiguite du terme anglais et davantage â un parti pris theorique qui explique le trajectoire de cette theorie sur le terrain francophone. 101 Searle, 1965, 1969/1972, 1975a, 1975b, 1979/1982 144 l’enonciation performative. Austin ne fait que reprendre la distinction fondatrice de la logique classique, dont l’objet est l’etude de la verite, concept semantique exprimant une propriete de la relation des mots aux choses ; or, seul l’enonce declaratif (descriptif, representatif) peut etre dit vrai ou faux, ce qu’exprimait deja, en termes etonnamment similaires, Aristote dans De l’interpretation : Orice rostire însă este semnificativă, nu ca instrument firesc al cugetului, [...] ci prin convenție. Dar nu oricare este enunțiativă, ci doar aceea căreia îi revin adeverirea și neadeverirea. Insă nu le revin tuturor ; de pildă, rugămintea este o rostire, dar nu e nici adevărată nici falsă. Așadar cestelalte feluri de rostire trebuie lăsate deoparte, căci cercetarea lor este mai potrivită retoricii și poeticii... (1998, p. 12) L’opposition, reposant sur le critere semantique de la possibilite des enonces de se voir assigner une valeur de verite, soumise ă une serie de tests : logique, syntaxique, lexical, s’avere infirmee par l’usage du langage : en effet, si (1) Luc dort, est vrai ou faux si la personne designee par le nom propre Luc est - ou n’est pas - en train de dormir, (2) Luc, dors! enonce par lequel un locuteur conseille ou encore demande ă la personne designee par Luc (l’interlocuteur) de dormir ne saurait, â premiere vue, recevoir une telle description, sa fonction etant non pas de decrire un etat de faits mais de realiser l’intention du locuteur de donner un conseil ou d’adresser une demande â l’interlocuteur. Cette these implique une double acception de la performativite : P1 : la performativite designe une propriete specifique d’une classe d’enonces qui, â l’encontre des enonces assertifs (constatifs) soumis aux conditions de verite, sont soumis aux conditions de « reussite ». P2 : par une reduction synecdochique, cette propriete est assignee â une classe particuliere d’entites linguistiques, les verbes performatifs qui, par convention ont la capacite de conferer â l’ensemble d’enonces qui le contiennent la propriete PI. 145 Apres une analyse poussee de son hypothese102, Austin estime que, d’une part, en enon^ant (1) le locuteur decrit un etat de faits â l’intention de son auditeur dont il vise â modifier le savoir, il fait donc quelque chose au meme titre que l’enonciation de (2) par laquelle il vise â donner un conseil ; d’autre part, la valeur de verite n’est pas totalement non pertinente par rapport â l’enonciation performative : elle n’est que dependante d’une relation mots - choses suspendue dans le champ conditionnel de l’effectuation de l’acte conseille par l’auditeur103. 102 Austin oppose les deux types d'enonce/d'enonciation : l’enonciation constative (EC) et l’enonciation performative (EP), en vertu des traits suivants : (1) la nature de l’enonciation : EC est un dire, EP est un faire ; (2) la propriete d’avoir une valeur de verite : EC est vraie ou fausse, alors que EP est « heureuse » ou « malheureuse » ; (3) les proprietes logiques : â l’encontre de EP, EC peut contracter des relations d’inference (entailment), de presupposition et de sous-entendu, avec une autre EC ; (4) les moyens de realisation : EP est rendue possible par l’existence de moyens conventionnels, dont le plus approprie est un verbe performatif; (5) les conditions de l’enonciation : une serie de conditions extra- linguistiques doivent etre observees afin d’assurer la reussite d’une enonciation performative. Tous ces criteres ne resistent pas â une analyse plus approfondie, nous dit Austin car (1’) EC est egalement un faire ; (2’) EP peut etre vraie ou fausse (Austin, op. cit., p. 106), alors que EC « semble satisfaire aux conditions de performatif» et, par consequent, n’est plus vraie ou fausse (ibid. p. 53, p. 106 etpassim) (3’) les relations logiques qui caracterisent EC sont analogues - mais non identiques - aux relations que EP contracte avec d’autres EP [idem, p. 78); (4’) EC peut etre envisagee « non comme une phrase (ou comme une proposition), mais comme un acte de discours » (ibid., p. 54), une fois la relation d’une EC avec un verbe performatif de type affirmer etablie ; la reussite de cet acte de discours sera, dans le cas de EC, fondee egalement sur les marques conventionnelles de l’acte. 103 L’opposition constatif vs performatif a suscite de nombreux commentaires, â commencerpar Strawson (1964/1971) qui estime que le 146 Nous avons repris par un resume plus que simplificateur le long travail d’analyse qu’accomplit Austin au cours de sept des conferences et qui aboutit â un constat d’echec qui demande une solution afin d’insister sur un point qui nous semble avoir ete ignore par nombre de chercheurs. Le philosophe avoue la non validite de l’opposition constatif vs performatif et decide que : « II est temps, apres cela, de reprendre le probleme ă neuf. » (Austin, op. cit., p. 107). 1.4.1.2. L'illocutoire. Austin propose un autre modele de l’acte qui sera repris, discute et amende par un grand nombre de chercheurs. « L’acte de discours integral, dans la situation integrale de discours» (op. cit., p. 151) est compose de plusieurs actes: le locutoire - acte de dire, l’illocutoire - acte de faire en disant, le perlocutoire - acte accompli par le fait de dire.  la faveur de cette description, Affirmer, decrire, etc. ne sont que deux termes parmi beaucoup d’autres, qui designent des actes illocutoires [...] Ils n’occupent en particulier aucune position privilegiee quant â la relation aux faits - et qui seule permettrait de dire qu’il s’agit du vrai ou du faux. Verite ou faussete, en effet [...] sont des mots qui designent non pas des relations, des qualites [...], mais une dimension d’appreciation : â savoir comment, de quelle fațon plus ou moins satisfaisante, les mots rendent compte des faits, evenements, situations, etc., auxquels ils renvoient. (idem, p. 151-152) Austin fonde ainsi un rapport entre la «signification», construite par l’acte locutoire et l’usage (acte illocutoire): la choix des exemples d’enonces performatifs : actes essentiellement conventionnels qui «pourraient n’avoir aucune existence en dehors des pratiques ou des procedures gouvemees par des regles ou des conventions dont ils constituent une part essentielle » fausse la discussion. Ces actes appartiendraient selon la taxinomie de Searle â la categorie des declaratifs (1975b): Searle non plus ne leur accorde aucun statut particulier, alors que nous avons propose pour ces actes le statut d’actes « institutifs » dont le fonctionnement est different de celui des actes du discours ordinaire. 147 signification n’est plus une propriete de l’enonce en vertu des regles semantique du systeme linguistique, mais est assignee â l’enonce par l’acte illocutoire. Du meme coup une nouvelle conception de la verite se fait jour : la verite n’est plus redevable de la seule relation entre les mots et les choses, mais depend de l’intention (illocutoire) du locuteur qui indique la fa^on dont l’auditeur doit se rapporter â la realite. La generalisation de la performativite aux actes constatifs affecte la conception de la verite comme correspondance mise en jeu par les actes constatifs. Austin en est conscient lorsqu’il soutient que : II faut se rendre compte que « vrai » et « faux » (...) ne recouvrent absolument pas des notions simples; mais seulement une dimension generale ou ils representent ce qu’il est juste et convenable de dire par opposition â ce qu’il serait mal venu de dire - en ces circonstances, ă cet auditoire, dans ce dessein et cette intention (Austin, op.cit., p. 148 ; nous soulignons) â quoi il ajoute : Cette conception differe beaucoup, en nombre de points, des affirmations pragmatistes suivant lesquelles le vrai est ce qui fonctionne, etc. La verite et la faussete d’une affirmation ne depend pas de la seule signification des mots, mais de l’acte precis et des circonstances precises dans lesquelles il est effectue. (ibid.) La verite n’est pas un simple rapport d’adequation des mots au monde, puisque ce rapport ne saurait etre isole/abstrait de l’intention d’acte d’un locuteur. L’acte de langage est interaction, dans la mesure ou le rapport des mots au monde, situe au niveau du locutoire et impliquant, au-delâ de ce rapport, le rapport du locuteur au monde doit etre considere comme une composante de l’acte communicatif par lequel le locuteur destine â son interlocuteur une representation du monde (verbalisee par et dans son enonce) tout en lui indiquant la maniere de se rapporter â cette representation. La force illocutoire dont sont dotes les enonces realises dans une situation particuliere de discours devient un concept primitif designant 148 la « fonction » du discours, opposee â la « signification » (op. cit., p. 113); Austin rejette ce qu’il appelle rillusion descriptive qui conqoit la langue comme un moyen de representer la pensee et/ou le monde et inaugure la perspective communicative, inter-actionnelle, sur le fonctionnement langagier. Du coup, les deux fonctions de la langue, representative et communicative se retrouvent reunies par le rapport d’implication reciproque des deux niveaux actionnels104 : il ne saurait y avoir de representation (et donc, selon la tradition, de sens propositionnel) en dehors de et en autonomie par rapport â l’acte qui le produit. La seconde these n’est en fait qu’un remaniement et une generalisation de la premiere et conserve la these de la performativite dans sa double acception : P’l : la performativite devient une propriete praxeologique de tout enonce P’2 : le verbe performatif est le marqueur privilegie, mais non unique, de la force illocutionnaire des enonces.  la faveur de cette double acception, l’etude des actes de langage, et de l’illocutoire en particulier, connaîtra un developpement qui changera d’orientation et que nous avons considere comme un glissement du champ de la pragmatique vers la semantique. Le principe d’exprimabilite (Searle, 1969/1972, chap. 1.5), statuant la possibilite d’expliciter toute valeur de contenu visee par le locuteur, se trouve â l’origine de ce glissement. Searle conclut sur l’equivalence entre « les regles qui portent sur la realisation des actes de langage et les regles semantiques regissant l’emploi de certains elements linguistiques » (Searle, 1969/1972, p. 57), ce qui aura pour effet le renoncement au niveau pragmatique oii devait normalement se placer l’etude d’un phenomene praxeologique et l'installation dans le plan semantique de l’etude d’une langue naturelle105. 104 Austin (op.cit., p. 149): «l’acte locutoire n’est en general qu’une abstraction, comme l’acte illocutoire : tout acte de discours authentique comprend les deux elements â la fois ». 105 Plusieurs auteurs remarquent cette position qu’ils reprochent â Searle : Katz (1977, p. 197^.), Wunderlich (1980, p. 297), Recanati (1981, p. 189), Dascal (1992), Sbisă (1992). 149 L’etude des actes de langage se fera donc â travers la description des moyens linguistiques conventionnels qui, dans certaines conditions (emploi â la premiere personne de l’indicatif present, etc.), conferent â l’enonce qui le contient la valeur d’acte. Se fait ainsi jour l'approche conventionnaliste dont les variantes divergent sur un point, â savoir la nature du mecanisme qui declenche la force agissante de l’enonce. La position austinienne, qui nous semble proche de rascriptivisme, a pu donc se trouver â l’origine d’une position contraire, conventionnaliste, et ceci sur la base de similarites qui, pour nous, ne sont qu’apparentes. En effet, une nuance, mais fort importante, distingue ces deux positions : Austin reconsidere l’opposition constatif vs performatif qu’il evalue depuis la position de l’illocutoire : a) Dans l’enonciation constative, nous negligeons les aspects illocutoires [...] de l’acte de discours. [...] b) Dans l’enonciation performative, nous tenons compte, au maximum, de la valeur illocutoire de l’enonciation, et laissons de câte la dimension de la correspondance aux faits. [...] L’affirmation, en effet, n’est qu’un acte de discours, parmi ceux, en tres grand nombre, qui appartiennent â la classe des illocutions. (Austin, op.cit., p. 148-149) et finit par integrer l’enonce assertif vericonditionnel â la classe des actes illocutoires pour lesquels il a propose une reevaluation de la valeur de verite. En revanche, Searle emprunte le chemin inverse lorsqu’il propose une reduction de la pragmatique â la semantique : Tout acte de langage, realise ou realisable, peut donc, en principe, etre determine de fațon univoque â partir d’une phrase donnee [...] Et c’est en cela qu’une etude de la signification des phrases ne se distingue pas en principe d’une etude des actes de langage (Searle, 1969/1972, p. 54) D’autres similarites apparentes peuvent etre identifiees entre les deux theories. Searle plaide pour une reduction des conditions pragmatiques de la realisation d’un acte illocutoire, la promesse, â quatre types de regles semantiques constitutives «gouvemant 150 l’emploi du marqueur de force illocutionnaire» (Searle, 1969/1972, p. 105)106. Rappelons que le concept de convention discute par Lewis pour designer une regularite de comportement que les membres d’une communaute adoptent afin de coordonner leurs interactions recouvre aussi bien les regles constitutives (grammaticales) que des normes de comportement (langagier ou autre). Le conventionnalisme de Searle refere donc â des conventions - regles semantiques d’emploi des expressions linguistiques - dont la violation produit toujours un echec de l’acte et un enonce prive de sens. Dans ce meme sens, pour Austin l’acte illocutoire est un acte conventionnel : un usage conventionnel, « en ce sens qu’on pourrait l’expliciter par une formule performative » (Austin, op. cit., p. 115). Mais lorsqu’il parle des conditions de succes de l’acte il invoque l’existence d’une procedure : (Al) II doit exister une procedure, reconnue par convention, dotee par convention d’un certain effet, et comprenant l’enonciation de certains mots, par certaines personnes dans certaines circonstances (Austin, op. cit., p. 49, nous soulignons) procedure que tous les participants â l’acte doivent observer correctement et integralement. Convention doit, sans aucun doute â notre avis, etre compris ici dans son second sens. 1.4.1.3. Que reste-t-il de la performativite ? C’est la question que l’on peut se poser eu egard aux deux acceptions PI et P2 de Ia performativite: dans le sens large (P’l), il s’agit de la propriete d’une langue naturelle de fonctionner comme instrument dans l’accomplissement par un locuteur de son intention de modifier le 106 A travers cette reduction, le modele searlien des actes peut etre considere comme une grammaire avec son volet syntaxique (la description des actes moyennant des regles constitutives) complete par une semantique - theorie du sens linguistique - developpee, avec Vanderveken, dans leur Foundation of Illocutionnary Logic (description de la forme logique des actes illocutoires); cf. aussi Vanderveken (1988 et 2002). 151 monde, physique ou psychique; dans ce sens, tout acte de langage est performatif; dans son acception restreinte (PI), qu’on rencontre essentiellement chez Austin, c’est un type d’enonciation dont le resultat propositionnel ne peut etre vrai ou faux ; est donc performatif tout acte de langage â l’exception de l’affirmation, domaine de l’enonciation constative. Ces enonciations performatives peuvent utiliser, ou non, un prefixe performatif contenant un verbe en emploi performatif (P2). Les verbes performatifs sont des verba dicendi, mais dont la particularite est leur possibilite de fonctionner dans un «prefixe performatif» : utilises â la premiere personne de l’indicatif present ils ont la force d’accomplir l’acte qu’ils indiquent. C’est donc cet emploi qui est effectivement performatif, et non le verbe. C’est ce phenomene qui sera ici designe par emploi performatif ou, simplement, par verbe performatif. Nous commencerons par remarquer une serie d’ambigui’tes dans le texte austinien qui nous semble expliquer les directions divergentes qu’a pu connaître le traitement du performatif et de la performativite langagiere107. Une premiere dichotomie dans l’approche du performatif prend sa source, croyons-nous, dans l’ambiguite du terme utterance, traduit tantot par enonciation, tantot par enonce^. Austin lui-meme parle â la fois, et souvent indifferemment, d’enonciation performative ou enonce performatif vs enonciation constative ou enonce constatif. Les enonciations (ou enonces) performatives : A) ne « decrivent », ne « rapportent », ne constatent absolument rien, ne sont pas « vraies ou fausses » ; et sont telles que B) l’enonciation de la phrase est l’execution d’une action [...] qu’on ne saurait decrire tout bonnement comme etant l’acte de dire quelque chose. » (Austin, 1962/1969, p. 40) 107 Cf. aussi Măgureanu (2003). 108 Par exemple, le titre de Partide Performative utterances (1956) a ete traduit en italien par Gli enunciati performativi (1956/1972); â ce sujet, voir egalement le commentaire du traducteur fran^ais du livre How to Do Things with Words sur l’interpretation du terme de utterance (Austin, 1962/1969, p. 40, note 2) 152 Le point A refere, dans l’esprit de la tradition logique, â une propriete des propositions - puisque seules les propositions peuvent etre vraies ou fausses - alors que le point B precise de maniere indiscutable o^enoncer c ’est faire une action. D’autre part, l’enonce performatif peut contenir une expression linguistique particuliere, le verbe ou toute autre expression performatif/ve dont l’emploi, dans certaines conditions, compte pour l’accomplissement d’un acte. Or, Austin precise que ces verbes fonctionnent ainsi lorsqu’ils sont utilises â la premiere personne de l’indicatif present: il s’agit donc d’un emploi performatif du verbe et non d’une quelconque nature performative. Toutefois, dans la discussion portant sur la possibilite d’identifier des criteres grammaticaux de « performativite », l’auteur semble attacher moins d’importance â la distinction, pour nous essentielle, entre emploi performatif et emploi non performatif des verbes en question ; puisque dans son emploi performatif le verbe indique l’accomplissement d’un acte que son utilisation realise effectivement, il doit admettre l’adjonction d’adverbes ou autres expressions d’un etat intentionnel. On a donc (Austin, 1962/1969, p. 99) : (3) Je me suis deliberement excuse. (4) Je veux bien m’excuser. ce qui marque une certaine indifference du philosophe, par rapport â sa propre defmition du verbe performatif, conformement â laquelle 5 ’excuser est ou plutot pourrait etre « performatif» dans (4) mais absolument pas dans (3). 1.4 .1.4. Le verbe performatif. Comme tout signe linguistique, le verbe performatif est conventionnel, c’est-â-dire defini par une con- vention (regie) arbitraire ; en tant que moyen de realiser l’acte illocutoire, il confere â cet acte sa nature conventionnelle, « en ce sens qu’on pourrait l’expliciter par la formule performative» (idem, p. 115). Mais l’acte est egalement conventionnel dans une seconde acception, puisque sa reussite est assuree par la satisfaction des regles conventionnelles prevues par une procedure arbitrairement etablie (idem, p. 61). 153 En l’absence d’un verbe explicitant, et comme « la meme phrase est employee, selon les circonstances, des deux faqons : performative et constative » (idem, p. 89), seule la procedure semble assurer le succes d’une enonciation performative : l’emploi performatif est donc doublement fonctionnel : Nous pouvons maintenant poser qu’une formule performative comme « Je promets » indique clairement comment il faut entendre ce qui a ete dit ; on peut meme avancer que cette formule « affirme qu'» une promesse a ete faite. (idem, p. 91 ; nous soulignons) Indiquer comment et affirmer que defmissent, â notre avis, deux modalites distinctes de produire du sens. A lire ce passage, on pourrait en conclure qu’un performatif indique la for ce de l’acte, c’est-â-dire l’intention avec laquelle le locuteur parle, tout en affirmant qu’il accomplit cet acte. Le verbe performatif a donc un double statut semiotique : â la fois indice et symbole, il indique l’acte tout en le prediquant â propos du locuteur, assurant ainsi la realisation effective de l’acte. La recherche pragma-linguistique et philosophique s’est polarisee autour de cette question, en privilegiant l’un ou l’autre des termes constituant les dichotomies que nous avons decelees chez Austin. Les conventionnalistes estiment que le sens du verbe performatif ou d’une autre formule performative est constitue des regles regissant l’emploi performatif de ce verbe (par exemple les quatre types de regles constitutives proposees par Searle); utiliser un verbe performatif dont le sens est constitue de ses regles semantiques d’emploi c’est affirmer vrai qu’on accomplit l’acte prevu par les regles. J. J. Katz (1977, p. 136) propose, par exemple, de decrire le sens du verbe demander comme un ensemble de conditions qu’on peut resumer par : un agent produit un evenement communicatif avec l’intention de communiquer â un auditeur un contenu propositionnel qui decrit partiellement un acte C de A, acte qui aura lieu dans un moment t, avec le but d’amener A â faire C. et Tasmowski-De Ryck (1980) identifie le sens du mode imperatif au moyen d’un ensemble de traits semiques qui representent les 154 conditions d’accomplissement des divers actes de langage que Ton peut realiser en utilisant un imperatif - par exemple : /soumission de 1’auditeur au locuteur/, /le locuteur et/ou l’auditeur veut/desire l’accomplissement de l’acte/, etc. Ces formules «representationnistes» font de l’enonce, quel qu’il soit, une sorte de miroir, de signe iconique de l’enonciation qui l’utilise. Un locuteur accomplit un acte illocutoire puisqu’il dit qu’il l’accomplit: un rapport iconique se trouverait donc â la base de l’efficacite langagiere. Le verbe performatif est descriptif: il predique de faqon sui-referentielle. En disant Je promets le locuteur predique â propos de lui-meme qu’il promet, et en vertu du Principe d’exprimabilite formule par Searle, il le fait. Dans cette direction, dont les representants sont majoritaires dans le domaine, s’inscrivent les modeles syntactico-semantiques de 1’«analyse performative». Vendler (1970), Ross (1970), Sadock (1975), Katz (1977) decrivent la structure profonde/sous-jacente, syntaxique ou logico-semantique, des enonces performatifs comme dominee par un nceud occupe par un predicat performatif abstrait (chez Ross, un SAY qui, chez Sadock, est domine â son tour directement par un hyper-predicat FAIRE) : le sens « performatif» (ou illocutoire) est ainsi inclus dans le sens de l’enonce et les enonces Je viendrai et Je te promets que je viendrai ont le meme sens, ce qui, de toute evidence, ne saurait etre vrai. Ces modeles ont donne prise â plusieurs critiques, etayees surtout par des arguments syntaxiques ; dans la perspective ici adoptee, on remarquera une certaine confusion entre le traitement du performatif comme verbe appartenant â une langue naturelle et un statut de concept appartenant â une meta-langue qui decrirait l’acte de parole109. On ajoutera aux nombreuses objections que ces modeles ont pu susciter110 la remarque, pour nous fondamentale, que ce type d’analyse 109 La description que donne Ross du verbe performatif de la structure profonde des phrases comme sememe constitue des traits /+Performatif/, /+Communicatif/, /+Linguistique/, /+ Declaratif/ semble suggerer cette interpretation. 110 Nous renvoyons, â titre d’exemple, ă la discussion critique de 1’ « analyse 155 propose moins une description de la structure profonde, semantique et/ou syntaxique des enonces d’une langue naturelle contenant un verbe performatif que le modele de la structure de l’acte meme (â ce titre, la formule F(/?) appartient â la meta-langue praxeologique). En tant que signe appartenant â une langue naturelle, le verbe performatif partage avec les autres unites du systeme linguistique une serie de proprietes : (1) Les verbes performatifs ont le meme type de comportement semantique que les autres signes d’une langue naturelle. a) Comme toutes les classes de mots, les verbes performatifs sont polysemiques ; une source de cette polysemie est reperable dans leur fonctionnement: - comme le soulignent Bach et Hamisch (1979, p. 122) : des verbes tels que ‘informer’ ou ‘ordonner’ transgressent la distinction illocutionnaire/perlocutionnaire et des verbes tels que ‘dire’ ou ‘suggerer’ transgressent les limites des categories communicatives (etant â la fois constatifs et directifs); - la polysemie de ces verbes explique, selon Conein (1987, p. 42), fambiguite d’un enonce ayant la forme d’un discours rapporte, tel que Pierre m'a invite â dîner, signifiant (1) « Pierre a realise l’acte de parole ‘inviter’ », ou (2)« Pierre a accompli l’activite non linguistique ‘reception’ ». b) La possibilite de substitution synonymique ou hyperonymique dans un contexte neutralisant: - emploi non performatif : en contexte oblique (incise du discours rapporte), les performatifs sont facilement substitues par des verbes ‘locutoires’ hyperonymiques (dire ou faire) ou meme des verbes comme balbutier, marmonner, etc., decrivant l’acte phonetique ; - emploi performatif : dans le discours, ils peuvent etre substitues par d’autres marqueurs de force illocutoire : syntagmes figes (s'il teplaît), toumures conventionnelles de phrase (Veux-tu te taire?), verbes modaux. (2) Le sens des verbes performatifs est constitue d’un ensemble de traits semantiques referant â l’intention discursive, mais aussi â performative » in Gazdar (1976). 156 d'autres parametres de la situation, tels que le rapport interlocutif, l’intensite du sentiment motivant l’acte, la fonction meta-discursive de l’acte, etc. Dans les exemples : (5a) Je vous demande de m’aider. (5b) Je vousprie de m’aider. (5c) Je vous supplie de m ’aider. c’est la perception que le locuteur a de la relation interlocutive et la strategie qu’il adopte qui determine en premier lieu le choix des verbes performatifs respectifs, l’intention d’acte directif (faire faire â qqn. quelque chose dans l’interet du locuteur) etant la meme ; si seule une relation symetrique ou de legere superiorite du locuteur permet l’acte de demande, la priere, et d’autant plus la supplication, instaurent un rapport asymetrique, oii le locuteur se presente comme occupant une position nettement inferieure dans une quelconque hierarchie. De plus, si l’on peut demander l’execution de n’importe quel acte, l’acte requis au moyen d’une priere est presente comme un acte dans l’interet du locuteur. Une difference d’intensite s’etablit entre (5b) et (5c) : intensite affective (le deșir de voir se realiser l’objet de la priere/supplication) ou « intensite » / gradualite de la distance au sein de la hierarchie mentionnee111. La difference entre : (6a) II est ă prevoir donc que p. (6b) J'en conclus que p. releve de l’explicitation du rapport logique que le locuteur etablit entre un contenu q, precedemment asserte et le contenu p asserte par l’acte denomme metadiscursivement acte de conclure (6b). Si le verbe performatif fonctionne donc principalement comme marqueur de l’intention d’acte, il contribue egalement - grâce â ses proprietes semantiques - â la structuration de la relation interlocutive et/ou du discours. (3) Le fait que le verbe performatif est doue d’un sens par les conventions semantiques d’une langue naturelle rend problematique l’equivalence semantique postulee par Searle (1969/1972) et bien 111 L’intensite avec laquelle l’acte est accompli est pour Searle un critere qu’il utilise dans sa taxonomie des actes. 157 d'autres entre F(pJ et p. II nous semble en effet malaise de soutenir que le sens des enonces a et b dans les exemples suivants : (7a) J'asserte qu'il devra partir. (7b) II devra partir. (8a) Je promets de venir demain. (8b) Je viendrai demain. soit equivalent, sinon identique. La presence du verbe performatif dans les exemples (7a) et (8a) ne saurait rester sans consequence sur le contenu propositionnel ; en effet, les structures sous-jacentes respecțives seraient: (7’a) ASSERTER (je, tu,px) Pi = asserter (je, tu, p’) p' = devoir (partir, il) (TW) ASSERTER (je, tu,P2) p2 = devoir (partir, il), et p2 = p' (8’a) PROMETTRE (je, tu, p{) pi = promettre (je, tu, pj p'= demain (venir, je) (8’b) PROMETTRE (je, tu, p2), et p2 = p’ Notons que la difference de contenu propositionnel (piîpl) due â la presence/l’absence du verbe performatif qui remplit, selon nous, - outre la fonction de preciser l’intention d’acte (indiquee egalement par d’autres elements : type de phrase, contenu propositionnel) - d’autres fonctions : marqueur d’emphase, indice de la satisfaction d’une condition importante de la situation interlocutive qui habilite le locuteur â accomplir un certain type d’acte, etc. S’il y a donc equivalence, elle releve du plan discursif, limitee par ailleurs au seul critere de l’intention discursive. Si les enonces (7a), (7b), (8a) et (8b) peuvent realiser la meme intention discursive, l’analogie s’arrete la, car ils le font dans des conditions interlocutives differentes. Pareillement, le rapport ontologique motif - intention - acte explique l’equivalence discursive des enonces contenant un verbe performatif et respectivement une expression modale decrivant ce que Searle (1975) appelle l’etat intentionnel prealable. 158 (9a) J’asserte qu ’il vapleuvoir. (9b) Je suis sur qu ’il va pleuvoir. (1 Oa) Je promets de venir demain. (10b) J ai effectivement l’intention de venir demain. (11 a) Je demande qu ’on ferme la porte. (11 b) Je veux que la porte soit fermee. (4) En tant qu’element du systeme d’une langue naturelle, le verbe performatif ne saurait detenir ce pouvoir magique que lui accordent les conventionnalistes. II lui reste la double nature de « signe» indiciel et symbolique, source de son double fonctionnement discursif : «performatif» et/ou descriptif - caracteristique qu’il partage avec les autres signes indiciels. La distinction performatif - constatif se ramene ici â une distinction concemant le rapport semantique referentiel : dans tous les cas, le verbe performatif represente une action (linguistique) ; dans son emploi « performatif » on peut parler de sui-representativite. (5) La reintegration du performatif parmi les autres entites du systeme linguistique avec lesquelles il partage des proprietes telles que la complexite sememique, le polysemantisme, l’appartenance â des paradigmes synonymiques, creuse la distance entre le verbe performatif en tant que lexeme d’une langue naturelle et le verbe «performatif» abstrait, element d’un metalangage decrivant le « langage » des actes discursifs. Cette analyse du verbe performatif comme unite semantique descriptive appartenant â une langue naturelle permettrait de conclure sur : a) la dissolution de la notion de performativite P’l dans le fonctionnement semantique de la langue ; b) la non necessite d’une notion de verbe performatif caracterise par des proprietes distinctives (P2)112. 112 En effet, certains auteurs plaident pour la non necessite d’un verbe performatif ayant des proprietes particulieres, puisque l’accomplissement de l’acte se fait en vertu du semantisme verbal. Citons, â titre d’exemple, Blakemore (1990, p. 45, 39) qui, considere que, les verbes performatifs « ne nomment pas du tout des actes de langage mais fonctionnent plutot comme 159 L’approche ascriptiviste, que nous defendons, maintient la distinction necessaire entre le palier de la description linguistique de l’enonce et le palier pragmatique (praxeologique) de la description des actions discursives. La question qui attend encore une reponse est celle du mecanisme qui met en rapport un sens conventionnel avec une intention d’acte, rapport signale tres tot dans l’histoire de la philosophie analytique. Une lecture plus attentive â l’esprit du texte austinien fait emerger un point de vue plus proche de l’ascriptivisme. La presence d’un verbe en emploi performatif dans l’enonce indique â l’auditeur que toutes les conditions pragmatiques sont reunies pour l’accomplissement d’un certain acte : l’auditeur peut en inferer que l’intention du locuteur est d’accomplir cet acte. Dans son emploi performatif, le verbe ne predique rien : le je - sujet grammatical de la preface performative ne refere pas dans l’acception courante du terme puisque son emploi constitue le sujet locuteur113 ; en consequence, le verbe performatif ne predique pas, mais, utilise en emploi performatif, constitue l’acte au meme moment ou il constitue l’agent^. II reste que la nature indicielle du verbe en emploi performatif n’a pratiquement pas ete discutee, et encore moins dans ce que l’indexicalite peut avoir de particulier dans ce cas. Sur ce sujet encore, les deux positions divergent : pour les defenseurs d’une approche semantique, le potentiel performatif d’un enonce est une consequence du sens de cet enonce, plus precisement du sens du verbe performatif, qu’il soit ou non manifeste dans la structure superficielle de la manifestation linguistique: ce sens represente iconiquement l’acte de langage accompli. Dans la direction opposee, nous rejoignons ceux qui, comme le sociologue des contraintes sur l’interpretation pragmatique» : du point de vue du cognitivisme, il n’y a aucune necessite d’ « adopter la machinerie de la theorie des actes de langage ». 113 These fondamentale chez Benveniste. 114 La presence facultative d’un morpheme specifique indiquant la personne dans plusieurs langues ou le lexeme verbal porte egalement la charge personnelle peut constituer un argument en faveur de cette hypothese du ‘prefixe performatif constitutif de l’acte de langage. 160 Bourdieu (1987, cf. infra, 1.4.3.3.), mais aussi, dans notre lecture, Austin, estiment que la performativite du langage est due au contexte extra-linguistique. Une variante faible de cette position est exprimee par les pragmalinguistes qui, invoquant le couple type - occurrence, distinguent entre le potentiel performatif inscrit dans le sens de l’enonce et la valeur performative effective et occurrentielle de l’enonce realise, declenchee par une exteriorite extra-linguistique (representee ici comme univers commun de discours), et que l’emploi performatif du verbe a pour mission d'indiquer/de convoquer, sinon de contribuer â sa construction. Dans la perspective que nous avons choisie, qui rejoint selon nous la le^on austinienne, on parlera d'emploi performatif pour designer cet emploi particulier d’un verbe illocutoire â la premiere personne du present de l’indicatif. Or, les caracteristiques de cet emploi rapprochent le verbe en cette position des deictiques, d’une part, et des verbes d’attitude propositionnelle, de l’autre. Nous considerons que ces rapprochements sont de nature ă eclairer le statut particulier de l’emploi performatif des expressions linguistiques. Rappelons que la categorie de la deixis designe, dans une acception restreinte, l’ensemble des unites linguistiques, les «deictiques», dont la propriete est de referer â des entites individuelles (personnes, sequence temporelle, sequence spațiale) presentes dans la situation ou, selon certains auteurs, constituant la situation de l’acte de communication, ainsi qu’â d’autres individus reperes en fonction de ces individus. Dans 1’acception etendue, la deixis pourrait etre conque comme la relation que la parole - l’enonciation - etablit entre un contenu (de l’enonce) et le contexte d’enonciation, decrit comme l’ensemble des propositions constituant l’univers commun de discours ou contexte interpretatif sur lequel se fonde l’activite interpretative. Reprenant la distinction de Russell entre connaissance directe et connaissance par description (Russell, 1912/1972), A. Kasher propose d’ajouter aux deictiques directs - «purs» (je, tu, ici, maintenant) une categorie d’unites linguistiques qui contiennent un element indiciel dans leur sens, et qu’il appelle deictiques descriptifs, « impurs » : l’annee passee, mon dernier oncle (le seul 161 qui me reste), l’auteur mentionne ci-dessus, etc. Nous avanțons la these que le verbe en emploi performatif fonctionne comme un deictique descriptif: le sens d’un verbe - illocutoire - en emploi performatif est un complexe constitue des morphemes deictiques ‘directs’ de temps : present et de personne : je. S’il est convenu que ce present est la seule valeur de present « reel », ajoutons que, pour ce qui est de la valeur du je, la description classique devrait etre modifiee : la premiere personne, de par la logique communicative, implique la seconde, et donc la relation interlocutive qu’elle permet d’instaurer. Comme les autres deictiques directs, cette composante deictique du verbe en emploi performatif contribue â l’institution des frontieres du contexte interpretatif: elle institue donc un rapport entre les univers de discours individuels en vue de la constitution de l’univers commun de discours. La composante descriptive du verbe en emploi performatif qualifie cette relation, la specifie, resserrant ainsi les frontieres du contexte interpretatif. Dire : (12) Je (te) promets de venir c’est : a. selecter un univers interpretant (l’intersection de l’univers du locuteur avec celui de l’interlocuteur present et vise) b. restreindre cet univers aux seuls contenus desires de l’autre et introduire la proposition p : Le locuteur vient dans un espace Si et â un moment Ti c. prediquer la relation causale entre l’acte d’enonciation par le locuteur et la valeur de verite du contenu p dans le contexte interpretatif constitue115. Le double statut fonctionnel que nous venons de decrire est du â 1’emploi performatif dont il constitue la particularite : employe â une autre personne que la premiere et/ou â un autre temps que le present de l’indicatif, le verbe fonctionne simplement comme predicat attribuant des proprietes ou des relations â des entites- 115 Precisons que cette description est encore tres approximative : elle demande â etre elaboree par la recherche ulterieure. 162 arguments116. En paraphrasant une remarque de Ducrot â propos de l’enonciation, on pourrait dire que la fonction deictique du verbe en emploi performatif est l’engagement du locuteur â propos d’une phrase (d’un contenu propositionnel) qu’il fait sienne en l’adressant â un destinataire » (Ducrot, 1980, p. 519) ce qui signifie la mise en place par le locuteur de l’operation de validation de ce contenu propositionnel dans le contexte interpretatif cree par le verbe performatif La composante descriptive est une « specification » qui induit le type de modalite de validation du contenu propositionnel. Remarquons enfin que les verbes performatifs partagent avec les verbes d’attitude propositionnelle l’aptitude â apparaître en emploi performatif: en effet, utilises â la premiere personne de l’indicatif present, les verbes d’attitude propositionnelle remplissent la meme fonction deictisante de selection du contexte interpretatif (univers commun du discours) et ont la meme capacite â proposer le mode de validation du contenu propositionnel. L ’explication est â chercher dans la structure intentionnelle de l’acte de langage qui, comme tout acte, procede d’un complexe motivationnel constitue d’etats intentionnels. Dans le modele configure par Searle, les intentions prealables causent les intentions en action. Les indices linguistiques de l’intentionnalite, qui sont essentiellement des indices modaux, peuvent donc apparaître, en vertu de la causalite structurelle, â la place du verbe performatif. Dire : (13) Je crois, j ’espere qu ’ilpleuvra c’est introduire le contenu propositionnel ilpleuvra dans l’univers des croyances ou dans celui des attentes communes, par rapport auxquelles la proposition doit etre validee. Le contenu descriptif du verbe presente ce contenu comme « â discuter », ou « â evaluer ». On 116 De meme, comme dans le cas des deictiques, la performativite s’efface dans les contextes obliques. Ainsi, par exemple, dans le discours rapporte au style direct : II m ’a dit: Je te promets de venir le verbe promettre est interprete par l’interlocuteur dans sa fonction predicative, comme le montre la paraphrase en discours indirect: II m 7lui a promis de venir. 163 decouvre une interpretation approchante de la croyance et du prefixe «quasi-performatif» Je crois que chez E.Grillo (2000) : l’auteur conclut en soutenant, comme nous le faisons, qu’un verbe d’attitude propositionnelle indique la fonction communicationnelle de l’enonce, c’est-â-dire « la nature et l’etat d’une relation » interlocutive. Cette fonction, qui est egalement celle du verbe illocutoire en emploi performatif, explique l’equivalence fonctionnelle117 du verbe indicateur de force illocutoire et du modal d’attitude propositionnelle. On peut dire : (14) Je sais qu ’il pleuvra. ou Je t ’avertis qu ’il pleuvra. (15) Je veux que tu partes. ou Je te demande de partir. mais non : (14’)* Je sais (qu ’ilpleuvra) et je t’avertis qu ’ilpleuvra. (15’)* Je veux (que tupartes) et je te demande que tupartes. Si le verbe d’attitude propositionnelle ne se reduit pas â un indicateur de force illocutoire c’est grâce â sa dimension descriptive specifique, qui precise le mode de donation du contenu propositionnel induisant le mode de validation auquel l’interlocuteur est convie. En fait, 1’hypothese sur la deictisation du contenu descriptif de l’enonce, opere par et dans l’acte de langage, peut s’appliquer, dans des modalites differentes, â un grand nombre sinon â l’ensemble des expressions linguistiques constitutives des enonces. Ceci grâce aux diverses categories â"operateurs pragmatiques, tels les predeter- minants nominaux, effectuant, en termes milneriens, le passage de la reference virtuelle â la reference actuelle. Des suggestions dans ce sens se trouvent chez plusieurs auteurs, par ailleurs situes sur des positions assez divergentes. Ainsi, Culioli (1999, p. 8) decrit le mode imperatif comme un signal (type de signe proche de l’indice) «que l’on souhaite faire passer [...] 117 Cette equivalence fonctionnelle est une autre hypothese, mais qui nous semble interessante â approfondir. Austin la suggere clairement lorsqu’il propose l’equivalence entre ce qu’il considere etre des performatifs primaires : Je suis desole ou Je suis heureux de vous recevoir et les performatifs explicites : Je m ’excuse ou respectivement Je vous souhaite la bienvenue (Austin, 1962/1969, p. 101). 164 d’un etat de choses oii p n’est pas le cas â un etat de choses oii p sera le cas». De faqon encore plus approchante, Recanati (1971) definit le mode comme un symbole indexical. Plus surprenant encore, Ducrot fait valoir la fonction contextualisante des connecteurs : la description argumentative de mais, par exemple, en fait « une sorte de ‘pronom’ »118. Le predicat meme de la proposition enoncee peut contribuer â la construction referentielle, comme l’ont demontre Kleiber (1977) ou Culioli (1999). Toutes ces analyses nous permettent d’affirmer, avec Parret (1987), que «l’enonciation est partout oii il y a signification». Le performatif n’est qu’un des moyens de « deictisation » (ce qui confirme l’hypothese P’2) et on pourrait parler, dans ce cas de predication deictisante, qui prend comme argument un contenu propositionnel dans son ensemble et sa valeur dans le contexte interpretatif. Une demiere remarque: 1’analyse du fonctionnement performatif semble confirmer l’hypothese semiotique de Peirce pour qui les signes ne sont pas icânes, ou indices ou encore symboles : la logique interne du systeme des classes de signes fait qu’un phenomene interprete comme symbole implique toujours un element iconique et un element indiciel. On trouvera plus loin d’autres suggestions que la perspective peirceenne permet de mettre â profit sur le sujet des actes de langage. 1.4.1.5. Le perlocutoire : une theorie des effets. Le troisieme constituant qui participe â la realisation de l’acte integral de langage n’a pas jusqu’ici ete discute : il s’agit de l’acte perlocutoire, acte de produire des consequences « denuees de tout element conventionnel » qui sont: certains effets sur les sentiments, les pensees, les actes de l’auditoire, ou de celui qui parle, ou d’autres personnes encore. (Austin, 1962/1969, p. 114, nous soulignons) 118 « Si je designe celui qui parle, le r impose par mais designe la conclusion par rapport â laquelle l’enonciateur situe sa parole ; or cette conclusion, comme le referent du pronom, doit etre specifie [...] et ne peut l’etre qu’en tenant compte de la situation du discours » (Ducrot, 1980, p. 490) 165 La conception du perlocutoire n’est pas exempte d’ambiguîte puisqu’elle pose la question des criteres de delimitation entre le resultat et les consequences d’une action119. Lorsque le professeur profere « Silence ! » dans la salle de cours, en elevant la voix pour attirer l’attention d’un etudiant en train de manipuler son portable il effectue l’acte illocutoire de commande avec l’intention de produire comme effet que les etudiants turbulents obeissent â cette demande, ou - second effet illocutoire - il avertit l’etudiant vise qu’il a une conduite inacceptable dans la situation « cours academique » ou encore, consequence de la realisation de l’acte locutoire (dans son aspect phonetique120), il interrompt l’activite de l’etudiant en attirant son attention. La situation n’est pas differente du cas des actes de langage indirects, lorsque dire : (16) II fait froid ici c’est viser un effet illocutoire descriptif et/ou directif (demande adressee â l’auditeur de « fermer la fenetre »). Dans le domaine des actes de langage, comme nous l’avons vu, Austin et Searle proposent la distinction entre effets-resultat et effets-consequence, sur la base de la nature conventionnelle des effets illocutoires. Toutefois, Austin nous met en garde : d’une part, Parler de 1’ « emploi du langage pour soutenir, arguments â l’appui, ou pour avertir », semble etre du meme ordre que parler de l’« emploi du langage pour persuader, exciter, alarmer » (Austin, op. cit., p. 115) d’autre part: il est difficile de dire ou commencent et ou finissent les conventions : c’est ainsi que je peux avertir quelqu’un en agitant un bâton [...] ; or, 119 C’est un theme important dans la philosophie de l’action (cf. Anscombe, 1956-57/1968). Austin, insiste sur la distinction entre les effets illocutoires et les consequences « au sens d’entraîner normalement tel ou tel etat de choses, c’est-â-dire un changement dans le cours habituel des evenements » (Austin, op. cit., p. 124-125) 120 Rappelons que l’acte locutoire est la production de sons (acte phonetique) qui constituent des vocables d’un vocabulaire, (l’acte phatique) ayant un sens et une reference (acte rhetique) (Austin, op. cit., p. 109) 166 si je l’avertis en agitant un bâton, agiter mon bâton est un avertissement et l’autre saura fort bien ce que je veux dire : mon acte lui apparaîtra - sans meprise possible - comme un geste de menace (idem, p. 126) Un acte de langage total produit, pour Austin, differents types d’effets : - Veffet illocutoire, constitue d’un ensemble d’effets selon que l’on distingue entre : (1) «la comprehension de la signification et de la valeur de la locution ». L’execution d’un acte illocutoire inclut donc l’assurance d’avoir ete bien compris (« the securing of uptake »); (2) 1’effet (conventionnel) specifique de l’acte en question, â ne pas confondre avec les consequences de cet acte sur les etats de choses reels ; (3) une « reponse » ou une suite conventionnellement suscitees. - V effet perlocutoire constitue de : (1) effets conformes â un objectif (convaincre, persuader) ; (2) suites121. Une vraie theorie des effets est ainsi mise en place par Austin : - la parole produit un ensemble d’effets - il n’est pas toujours possible de tracer une limite precise entre ces divers types d’effets - ces types d’effets sont intimement lies par des rapports qu’il reste encore â definir. Searle se pose lui aussi des questions au sujet de la distinction illocutoire vs perlocutoire lorsque, analysant la description de la 121 La question de la conventionnalite ou non conventionnalite du perlocutoire devient en ce moment manifeste: « Ce qui constitue l’objectif perlocutoire d’une illocution peut etre la suite d’un autre perlocutoire : l’objectif perlocutoire d’avertir [...] peut etre la suite de l’acte perlocutoire d’effrayer quelqu’un [...] Certains actes perlocutoires ont toujours des suites plutât que des objectifs : ce sont ceux qui ne disposent pas d’une formule illocutoire .» (Austin, op.cit., p. 125-126) 167 production du sens non naturel (produit au moyen d’expressions symboliques) dans le modele de H. P. Grice (1957), il constate que, selon Grice : la signification de la phrase «Sortez» la rattache â un effet perlocutionnaire particulier que l’on a l’intention de produire, â savoir, faire sortir l’interlocuteur. (Searle, 1969/1972, p.87) Searle se voit oblige, pour retablir l’illocutoire dans ses droits, de corriger le modele intentionnel de la signification propose par Grice : Le locuteur L a l’intention (i-1) de produire chez 1’auditeur A un certain effet (pour Searle : perlocutoire) par la reconnaissance par A de cette intention (i-2) Dans la version de Searle un troisieme niveau intentionnel est ajoute : L a l’intention i-1 de faire connaître â A que la situation specifice par les regles de la phrase (equivalent de la procedure austinienne ou des regles constitutives de l’acte chez Searle) est realisee (effet illocutoire) L a l’intention i-2 de produire cet effet par la reconnaissance de i-1 L a l’intention i-3 que i-1 soit reconnu en vertu de la connaissance qu’a A des regles gouvemant l’emploi de la phrase (cf. Searle, 1969/1972, p. 90-91) Par ce biais, il devient possible de distinguer entre effets illocutoires et effets perlocutoires, eliminer le perlocutoire et affirmer une position conventionnaliste qui est celle que Searle developpe en 1969. En effet, un acte de langage produit: (i) un effet illocutoire qui « consiste simplement pour l’auditeur â comprendre ce que dit le locuteur » (la comprehension), et dont la realisation est assuree grâce â la reconnaissance par l’auditeur de l’intention du locuteur de lui dire quelque chose, et (ii) un effet perlocutoire, qui serait la modification que la comprehension de l’acte illocutionnaire peut produire sur l’auditeur (ce serait donc une consequence de l’effet illocutoire qui est le resultat de l’acte). 168 Searle affirme : Si nous pouvons foumir une analyse de tous les actes illocutionnaires (au moins de la plupart d’entre eux) en termes d’effets perlocutionnaires, les chances de pouvoir faire cette analyse sans faire reference aux regles en seraient grandement accrues. La raison de ceci est que la langue serait alors consideree comme un moyen conventionnel d’obtenir des reactions ou des effets d'ordre naturel [...] Les actes illocutionnaires seraient alors des actes (optionnellement) conventionnels, et non plus des actes regis par des regles. (Searle, 1969/1970, p. 114). Devant une alternative descriptive : illocutionnaire vs perlocutionnaire, Searle, fidele en ceci â son option conventionnaliste, focalise son argumentation sur l’illocutionnaire, puisque : (i) tous les actes illocutoires n’ont pas d’effet perlocutoire associe ; (ii) dans le cas des actes illocutoires auxquels un effet perlocutoire est generalement associe, l’acte illocutoire peut etre realise sans l’intention de produire cet effet; (iii) l’effet perlocutoire n’est pas realise conventionnellement, autrement dit il n’est pas realise par l’emploi de certains moyens doues par convention du pouvoir de faire reconnaître par l’auditeur mon intention de produire une signification.  ceci on peut repondre que : (i) la possibilite d’associer â tous les actes illocutoires un effet perlocutoire n’est pas exclue. Considerons l’exemple choisi par Searle pour illustrer sa these : Ainsi il n'y a pas d’effet perlocutionnaire qui se rattache au fait de saluer. Lorsque je dis «Bonjour» en attachant â ce mot sa signification, je n’ai pas forcement l’intention de creer chez mon interlocuteur ou d’obtenir de lui une reaction, autre que la simple Identification par lui de mon salut. Cette Identification consiste simplement pour lui â comprendre ce que je lui dis (Searle, 1969/1972, p. 86). Or, lorsque je salue quelqu’un, mon intention n’est pas seulement de lui faire comprendre le sens de 1’expression « Bonjour », ni meme de lui faire savoir que je le salue, mais bien de lui montrer 169 que je me conforme â une relation sociale deja existante entre nous ou que j’institue par mon comportement, et par la meme, de l’amener â en faire autant. Si l’autre ne repond pas â mon salut, bien qu’il connaisse la signification du mot « Bonjour », de meme que les regles de son utilisation prevues par le systeme linguistique, peut-on considerer que l’acte illocutoire a reussi? Pour notre part, nous estimons que cet engagement dans une relation sociale d’un certain type peut etre envisage comme la valeur de l’acte de ‘saluer’, distincte de la valeur illocutoire semantique de l’emploi du mot «Bonjour». II en est de meme pour d’autres exemples d’actes illocutoires que Searle caracterise comme etant depourvus d’effets perlocutoires122. (ii) le cas ou le locuteur accomplit un acte illocutoire sans pour autant viser la realisation de l’effet perlocutoire qui lui est associe suscite un certain nombre de questions. On peut se demander si lorsque quelqu’un asserte quelque chose, le fait qu’il puisse refuser d’assumer - si besoin est - l’intention de convaincre l’interlocuteur change en quoi que ce soit la nature de l’acte qu’il accomplit (que ce soit un illocutionnaire ou un perlocutoire). On peut invoquer, d’autre part, le cas de Voffense qui peut etre visee ou, au contraire, non intentionnelle. Si on peut facilement soutenir qu’une etude pragmatique n’a pas â prendre en charge les phenomenes non systemiques, il reste que le mecanisme qui engendre l’offense intentionnelle - qui doit trouver sa place dans la description pragmatique - ne peut etre different de celui qui produit l’offense non intentionnelle. Ces exemples prouvent, â notre avis, la non pertinence du critere de l’autonomie des deux «actes», pourtant conven- tionnellement associes. (iii) le fait qu’il n’y ait pas de verbe ou d’autre marqueur de l’intention perlocutoire peut etre du â des conventions autres que linguistiques. 122 Au sujet de l’acte saluer on peut consulter Recanati (1981, chap. IV) qui discute la nature delocutive du performatif ‘saluer’. 170 L’impossibilite que le systeme linguistique prevoie l’existence de moyens conventionnels - verbes ou autres moyens lexicaux - pour designer/accomplir l’acte perlocutionnaire est â chercher du cote des conventions sociales : comme on le verra ci-dessous (1.4.2.4), donner â comprendre quelque chose c’est proposer â quelqu’un non un simple decodage du sens et de la signification, mais aussi l’acceptation de toute modification de son propre univers de discours qui decoulerait de ce decodage. Or, modifier la pensee et, consequemment, la fa^on d’agir d’autrui n’est pas un but avouable et susceptible d’etre signale â autrui. Si, comme le soutient Goffman, tout acte de langage est « menaperation performative [3] (mise en relation des univers de discours) Si l’acte de discours est con^u dans le contexte dialogique qui lui est constitutif, ces deux niveaux correspondent â l’intention significative, niveau auquel contenu descriptif et contenu modal fusionnent et, respecțivement, â l’intention en action. La premiere condition de reussite de l’acte de discours est donc la mise en place d’une relation discursive, interlocutive, constitutive de l’agent intrasubjectif, moyennant l’operation performative : est ainsi selecte, dans l’univers de croyance du destinataire l’ensemble des propositions pertinentes, susceptibles de produire une description possible du monde alternative â la description proposee par le destinateur. Ainsi definie, l’operation performative foumit la ele d’une conception dialogique de l’acte de discours qui suppose la constitution de l’agent, de la situation et de l’objet de l’acte comme univers commun de discours ; pour comparaison, 1’illocutoire propose la production en autonomie, par un locuteur, d’un sens « offert » â l’interlocuteur qui doit le reconstituer. Cette hypothese suggere que le faire discursif produit deux types de modifications dans l’univers de discours : a) une reorganisation de la composante cognitive de Ui et/ou de Uj, par une modification de l’attitude d’un/des participant(s) vis-â-vis de la realite decrite (ce qui etait, par 192 exemple, «su comme possible»devient «su comme probable », ou encore ce qui etait «su comme probable » devient une certitude, etc. ; ce qui a ete considere comme l’insertion / le retranchement d’une (nouvelle) proposition nous semble relever toujours d’une modification d’attitude propositionnelle (ce qui n’etait pas su devient une croyance ou au contraire une croyance est invalidee); b) cette reorganisation a lieu dans une zone de(s) univers de discours configuree par l’acte de discours (et representant des sous-ensembles qui determinent le champ de validite de • • 138 ce qui est enj eu . II est â supposer que : (i) le contenu produit par le destinateur est compatible avec son univers de discours139; (ii) il existe un contenu descriptif appartenant â l’univers du destinataire qui peut etre mis en rapport avec le contenu de l’enonce produit par le destinateur. Ces deux conditions sont exigees pour qu’un rapport puisse s’etablir entre les univers de discours respectifs des participants con- formement â une intention discursive donnee et, dans notre perspective, conduire â la constitution de l’univers commun de discours. L’acte de discours peut donc se decrire comme une configuration d’operations discursives. ACTION — operation(s) <-> co-operation(s) — [4] CO-ACTION L J signifiante(s) reference predication modalisee co-signifiante(s) co-reference co-predication modalisee DISCURSIVE operation — performative co-operation performative — DISCURSIVE 138 Nous rappelons ici la description de l’univers de discours comme univers de croyance (epistemique) par R. Martin (1987), qui permet â l’auteur d’analyser par un meme modele des faits langagiers divers, comme par exemple l’exclamation. 139 La verite de cette supposition touche au probleme de la sincerite du locuteur, probleme qui, comme nous l'avons deja affirme, ne concerne pas cette demarche. 193 L’accomplissement de ces operations par l’agent destinateur n’assure pas le succes de l’acte de discours si, â son tour, le co-agent - destinataire n’effectue pas les co-operations correlatives convenables : il est tenu d’identifier correctement le referent vise par D et l’accepter, ainsi que d’accepter de considerer la predication performee par D. II doit, en d’autres mots, reconstituer une description du monde accessible â celle construite par le destinateur, ce rapport (logique) d’accessibilite etant le resultat de l’operation performative. 1,4,2.3. Un exemple. Afin de discuter en detail la co-action discursive, analysons un exemple qui nous permettra d’approcher le rapport indissociable qui unit l’action et la co-action discursive. Soit (1) un enonce produit par un destinateur D : (1) Elle n'apas trouve la ele, elle n'est doncpas entree. Le faire discursif a lieu dans une situation d’acte, situation inițiale, et il consiste en une modification de cette situation dont le resultat est la situation finale d’acte. La situation d’acte, inițiale ou finale, se decrit comme un univers commun de discours Uc etabli par l'acte meme. Cet univers est constitue des connaissances communes, autrement dit des propositions connues des deux participants â l’acte et qui constituent les conditions de satisfaction de la proposition p enoncee par Ie destinateur. La comprehension de l’enonce «actualise»(on pourrait emprunter â Ducrot le terme «convoque») un ensemble de propositions dont la validite conditionne la validation de (1). Plusieurs possibilites sont â envisager : (a) La situation d’acte inițiale se constitue de : Pi : II existe un x, et pi’ : D connaît que pj De connaît quepj D connaît que De connaît que p/ Precision. La structure complexe de pP represente le statut de connaissance commune du contenu p. Pour simplifier Ia description, 194 nous allons renoncer â noter pour chaque proposition p2, etc. les propositionsp2\p3’, etc. qui leur sont attachees. p2: x est une femme, et p2 * p3: x est A, et p3 ’ (ou A designe l’identite de x) p4: II existe un y ety est une ele, et p4 ’ P5: Une ele sert ă ouvrlr/fermer une porte, et p5 ’ P6: Une porte est un moyen d'obstruer l'acces ă une plece, etc., Qtpf P7 • A cherche l’objety, et pf ps : « Entrer » c’estpenetrer dans uneplece, etc. et p8 ’ P9: x veut/doit entrer dans une piece/une maison dont la porte est fermee par la ele y, et p9 ’ pio : On ne peut entrer dans une piece/une maison dont la porte est fermee â ele que si l’on possede cette ele, et p10> Pn : De veut savoir si A est entree dans la piece/la maison, et pn ’ P12 : De n’apprendrapas si A est entree dans la piece/la maison si D ne le lui ditpas, et pl2" Par l’enonce (1) D a l’intention, selon toutes les probabilites, de faire savoir au destinataire que : Pi3 : A n’apas trouve la ele p]4 : A n’estpas entree (dans lapiece/la maison) Pis : Si p13 alors pJ4 Cette intention est visible et visee â la fois. C’est-â-dire, si Uc = (pi P12, Pi’ Pl2) [5] il est possible/probable qu’en enonqant (1), qui est une structure propositionnelle assertive, D veuille/veut realiser cette intention et produire grâce â la co-action de De une situation finale descriptible comme140 : 140 Nous concedons que cette description est quelque peu simplificatrice, car le contenu « compris » et « accepte » n’est pas tout simplement ajoute â un ensemble de connaissances, appartenant deja â l’univers de discours : l’application du modele logique impose que pl5 appartiennent â Ulc, 195 c/cF ...Pi2)p; ,-,p'n,p}i,pu,pA [6] (b) La situation d’acte inițiale peut contenir egalement: P\6z II existe un objet z et p'^ : z se trouve dans le plece / la maison dont la porte est fermee par la ele y, et p'^ Pis : De veut recuperer l "objet z, et p{% P19 : Quelqu "un a charge A de recuperer l "objet z pour De, et p'9 Nous avons donc : Uc =(a Pi2 ,Pi6 ,P^ ,PK,p{v-, PÎ2 ,PÎ6 >p;7 >X8 ) [7] Dans ce cas, l’enonciation de (1), en faisant savoir â De que (pi3, Pi4» P15) “ ce qui est l’intention visible de l’acte - est susceptible de realiser l’intention &avertirA} De que (p}3, p^, p\s) afin que celui-ci en degage une conclusion, par exemple : P20 • doit chercher un autre moyen pour recuperer z L’avertissement ne fonctionne que si le destinataire infere de (P13, P\^ P15) un contenu : q \ A n’a pas recupere Pobjet z (c) Soit la situation d’acte inițiale constituee de : mais avec une attitude propositionnelle differente. Car ce qui forme l’objet de l’acte, comme nous 1’avons deja precise, est un contenu propositionnel modalisee. Cette problematique, peu discutee â notre connaissance, permettrait d’affiner l’analyse et d’expliquer des distinctions telles que celle entre faire savoir et faire que quelqu'un se rappelle. (cf. R. Martin, 1987). 141 La distinction entre faire savoir et avertir nous semble ressortir de la description meme du contenu d’ « avertir » : « informer quelqu’un de quelque chose afin qu’il y prenne garde, que son attention soit appelee sur elle » (PETIT ROBERT, 1969, s.v. avertir). Avertir est sans aucun doute un acte qui vise toujours l’information, mais avec une nuance supplementaire concemant les consequences de l’acte d’informer : le destinataire est place dans l’obligation d’evaluer le contenu dont il a ete informe comme etant mauvais pour lui-meme. Cf. egalement les regles constitutives de l’acte d’avertir definies par Searle (1969/1972, p. 109) 196 Uc (P\’--’P\4’P\(>>--‘> P20’P\>‘"’ P\4’P\6’---> P20) [8] et D a l’intention de faire savoir que pl5. Or, pis est inferable normalement de pX3 et /?14. Pour accepter la pertinence de /?i5 il faut attribuer â donc une double fonction : si donc marque la relation causale (si alors), il marque aussi l'inference que D opere de et pj4. Comme la relation de cause â effet est evidente pour tout individu ayant l'experience d’une maison, d’une porte, d’une ele, etc., il apparaît normal d’interpreter p15 comme realisant l’intention de faire savoir â De que D infere pX4 de p^. Or, une telle Information serait une quasi-tautologie. La pertinence de pX5 par rapport â Uc est assuree par la « convocation » dans p15 d’un contenu : P21 • D s'est charge/a ete charge de s'occuper de la recuperation de z par Pintermediaire de A Dans ce cas, l'inference fonctionne comme un argument constitutif d’un acte de justification, dans un acte complexe de disculpation face â une accusation de la part de De, formulable (ou deja formulee) sur la base des contenus : r : Si x se charge de p, x est responsable de la realisation de p (responsabilite de l’agent) P21 • D s "est charge de p s : D est responsable de non p Ces interpretations ne sont surement pas les seules possibles ; il suffit de modifier U? pour en trouver d’autres142. L’analyse d’un enonce isole ne permet d’ailleurs jamais de choisir parmi plusieurs interpretations possibles. Seul le deroulement ulterieur de l’echange permet de decouvrir quelle a ete l’interpretation de l’enonce, si elle a ete acceptee et, par lâ, si l’acte de discours a reussi, ou bien si elle a ete 142 Nous avons elimine intentionnellement le pronom adverbial y de « elle n’y est pas entree» ; le lecteur pourra calculer lui seul les modifications entraînees par l’introduction de y dans l’interpretation de (1), qui a ainsi de fortes chances d'apparaître dans un scenario de type policier. 197 recusee, entraînant ainsi l’echec de l’acte. Ce probleme touche au rapport fondamental pour la pragmatique linguistique, celui entre intention et convention. Plusieurs phenomenes sont â remarquer : a) II faut etablir la distinction entre l’intention « reelle » du sujet agissant et l’intention conventionnellement exprimee, l’intention visible^\ la seule dont le sujet peut etre tenu pour responsable ; la seule aussi qui puisse faire l’objet d’une description pragmatique. b) Pour etre realisee, l’intention discursive doit etre acceptee par le co-agent qui se soumet ainsi aux « obligations » qui lui incombent en vertu de son role. c) La propriete qui assure la specificite de l’intention discursive est le fait d’etre signalee par des moyens conventionnels : pour etre realisee il faut que le co-agent discursif la reconnaisse. d) II n’existe pas une relation biunivoque entre intention et moyens conventionnels ; il en surgit les difficultes pour l'analyste, mais aussi les facilites offertes au locuteur pour organiser sa strategie discursive. e) Une seconde distinction, au sein de la classe des intentions conventionnellement exprimees s’etablit entre l’intention visible et l’intention visee, entre l’intention qui est signalee par un moyen conventionnel et l’intention masquee par ces moyens, mais effectivement visee et offerte â l’intuition du destinataire qui doit utiliser afin de la decouvrir, des mecanismes inductifs reposant sur des lois (conventions) de la logique naturelle. f) Les strategies discursives produisent dans le plan de la signification une distribution du contenu entre le niveau explicite et le niveau implicite ; une strategie discursive joue sur le rapport intention - moyens - situation d’acte La comprehension de l’exemple (1) implique un ensemble de propositions de nature variee, classifiables en fonction de la modalite 143 La visibilite pourrait etre un correlat de la manifestete dans le contexte cognitiviste. 198 de leur introduction/convocation dans l’univers de discours au moment de l’acte : (i) connaissances encyclopediques liees au contenu semantique de certaines entites lexicales : p^p^p^P^Pw » (ii) presupposes semantiques rattaches aux divers types d’expressions linguistiques presentes dans l’enonce (connaissances liees au code linguistique) : p{,p2,p3,P$,Pi,Pg\ (iii) des contenus inferables â partir d'autres contenus en vertu des lois du systeme semantique : p^r^s ; (iv) presupposes pragmatiques^, representant les conditions de succes d’un acte de discours du type faire savoir (connaissances liees au fonctionnement discursif du code) : pn,Pi2 5 (v) les propositions pn, px4, pX5 peuvent etre rattachees â l’expression d’un constat de fait, representant un etat du monde simple (Pn.Pu) ou complexe (p15) ; (vi) dans l’interpretation (b) les propositions pX6,pmpx^pX9,p2X representent des connaissances communes sur ce que les participants â l’acte savent, sur leurs intentions, sur leurs actes. Ces contenus sont exprimes explicitement, ou bien ils sont inferes, une fois leur necessite pour l’accomplissement de l’acte signalee par une marque linguistique quelconque. Nous touchons la au probleme de V implicitation ou, plus generalement, au rapport qui peut s’etablir entre l’intention discursive et les moyens conventionnels censes la realiser. En produisant un enonce, un destinateur D vise â amener son destinataire De â savoir/comprendre une proposition de telle fa^on que la comprehension de ce contenu ne produise pas - â la suite d’une eventuelle incompatibilite avec un contenu deja existant dans le savoir de De - l’inconsistance de ce savoir (univers de discours). Or, un nouveau contenu, meme compatible avec un ensemble propositionnel 144 Le concept de presupposition, semantique ou pragmatique, a fait l’objet d’un nombre important d’etudes et les references bibliographiques seraient trop nombreuses ; pour la presuppostion pragmatique, cf Stalnaker (1974/1991). 199 (l’univers de discours de l’interlocuteur) produit toujours une reorganisation de cet ensemble. 1.4.2.4. La co-action discursive: comprendre. Comme nous l’avons repete souvent, les actes de discours constituent une classe parti- culiere d’actions ayant la propriete d’etre efficaces (reussies) si et seule- ment si un autre individu - auquel le premier individu propose l’execution d’un acte - accepte d’effectuer l’operation interpretative â laquelle il est convie, devenant ainsi le co-agent de la co-action discursive. En parlant, le locuteur a l’intention d’amener le destinataire â : (i) co-agir, cooperer, afin d’assurer la reussite de l’acte, et (ii) re-agir de maniere adequate, par le biais d’un autre acte, discursif ou comportemental. La reussite de l’acte de discours peut ainsi se mesurer par l’existence d’une relation d’implication entre l’evenement re-action et l’evenement co-action : le resultat de la co-action doit etre pour le destinataire un motif de son comportement verbal ou physique ulterieur (immediat ou eloigne): la reussite de l’acte produit un nouvel etat de l’univers de discours ^qui represente l’ensemble des etats intentionnels pouvant devenir l’intention prealable de l’acte reactif de ce destinataire. Comme l’intention discursive n’est pas une entite linguistique, le probleme est d’expliquer en vertu de quoi comprendre la signification d'un ensemble de signes peut constituer le motif d’un comportement. Ceci nous ramene â la question de la signification et aux approches differentes du rapport dire - faire. Afin de mieux cemer les nuances qui separent les diverses demarches explicatives que nous discutons ici, nous reprenons la description intentionnaliste du sens (dans la version fondatrice mise en place par Grice) : la signification d’une expression linguistique est l’intention qui la produit145 : 145 H. Parret (1976, p. 60) soutient que «la communicabilite n’est d’ailleurs qu'un autre nom de l’intentionnalite, interpersonnelle » ; â son tour, Parisi (1974), caracterisait la communication linguistique comme une communi- cation d’intentions. Cette direction a pour source l'identification de la signification â l’usage, caracterisant la pensee de Wittgenstein (1952/1961) ; on retrouve partiellement l’idee chez Austin. 200 A meant nn something by x is equivalent to A intended the utterance of x to pro duce some effect in an audience by means of the recognition of this intention. (Grice, 1957, p. 58). En utilisant une expression linguistique â l’intention d’un destinataire B, le destinateur A : (1) a l’intention (il) de produire un effet sur B (d’obtenir un resultat r) ; (2) a l’intention (i2) d’obtenir le resultat r par la reconnaissance de (il) ; (3) a l’intention (i3) d’obtenir la reconnaissance de (i2) en utilisant l’expression x d’une certaine fa^on («the utterance of x »). Searle, selon qui la theorie de Grice expliquerait la production des effets perlocutionnaires (non conventionnels), modifie cette troisieme condition (cf supra) : (3' ) a l’intention (i3) que (il) soit reconnue en vertu de la connaissance qu'a le destinataire des regles qui gouvement l'utilisation de x. (1969/1972, p. 91) Searle en conclut: Dire que le locuteur s'est fait comprendre, c’est simplement dire que ces intentions sont realisees. Et ces intentions seront realisees si l’auditeur comprend la phrase en question c’est-â-dire 5 "il connaît les regles auxquelles obeissent les elements de cette phrase. (idem, p. 89 ; nous soulignons) Les mots soulignes mettent en evidence la distance qui separe la solution proposee par Searle de celle de Grice. Celui-ci tend â identifier la signification d’une expression linguistique (x meant something) notamment â l’intention avec laquelle cette expression est utilisee. Reduisant la signification â l’usage, Grice doit reconnaître l’existence de regles praxeologiques qui regissent tout comportement significatif, quel que soit le code utilise. Par contre, Searle introduit la condition (3’) afin d’etablir une relation entre la reconnaissance de certaines conventions linguistiques et l’intention du locuteur ; mais, comme nous l’avons deja constate, il finit par reduire l’aspect actionnel 201 du comportement linguistique â l’observation des regles semantiques gouvemant des entites du code linguistique. Une telle conception de la comprehension permettra â Searle (1983/1985, p. 204) d'affirmer que : Toute theorie du langage doit permettre que quelqu’un puisse faire une affirmation tout en restant parfaitement indifferent â la question de savoir si son auditoire croit â ce qu’il dit ou meme le comprend. (nous soulignons) On retrouve l’hypothese sous-jacente â toute approche structurale du langage selon laquelle l’auditeur n’est qu’une image symetrique du locuteur, un etre mimetique qui est cense « comprendre » si le locuteur a correctement accompli son role ; en demiere instance - et ceci en depit de renrichissement du sens de l’enonce par des elements de nature pragmatique (intentions, force illocutoire) - on revient â l’hypothese de la « lettre anonyme » (Katz, 1972), sans destinataire ni conditions de production. Ces demieres annees une conception differente se fait jour qui, se proposant de rendre compte de toute la complexite des actes producteurs de sens, rejoint la question de l’implicite et se voit obligee de remettre dans ses droits l’interlocuteur, responsable des inferences qui construisent le sens d’un enonce. Le trăit specifique de l’intention discursive, sa «recognoscibilite» par un autre, laissait d’ailleurs prevoir un tel cours de la recherche. Mais reconnaître l’intention discursive et etre â meme de decoder la signification d’un enonce ne suffit pas pour assurer le succes de l’acte de discours. Comme le disaient Bach et Harnish (1979, p. 12), l’auditeur peut reconnaître quel est l’effet vise sans que cet effet soit reellement produit en lui146. Par consequent, l’acte ne prend pas effet, 146 De meme, pour Sbisâ et Fabbri (1980), considerer l’auditeur comme « un participant actif» c’est substituer â « la reconnaissance neutre, passive (’en principe objective) de l’intention communicative du locuteur, un processus plus problematique d'attribuer une intention communicative â ce locuteur et l’en rendre responsable. » 202 puisqu’aucune modification de l’univers commun de discours n'interviendra147. Dans notre approche, la comprehension, designant la co-action discursive du destinataire au sein de la configuration actantielle qu'est 1'agent intrasubjectif, comporte deux phases : (i) Vacceptation (ii) la co-production de la signification En vertu des conventions meta-discursives, participer â un echange discursif c’est accepter d’entrer dans ce type de rapport intrasubjectif accepter de reagir discursivement selon l’intention du destinateur148. Si, comme l’affirme Berrendonner (1981), poser une 147 Voir egalement, sur cette maniere d’envisager l'effet de l’acte, Sperber et Wilson (1987/1989, p. 226 et passim): dans leur modele, si les hypotheses [le contenu] exprimees par un enonce ne sont pas perceptibles dans renvironnement cognitif [pour nous Uc], apparaît le risque qu’un enonce, meme decode, ne prenne pas effet. 148 Sur la necessite que l’interlocuteur accepte son role de co-agent parlent la plupart des auteurs qui, selon une perspective qui leur est propre, s’occupent de la communication. Si les auteurs que nous citons placent leur discussion au niveau du discours (conversationnel), nous croyons que la meme description vaut pour le niveau de l’acte ; ainsi, lorsqu’il definit le Principe de cooperation Grice (1967/1975, p. 45) soutient que : «nos echanges verbaux [...] sont le plus souvent, dans une certaine mesure au moins, des efforts de cooperation ; et chaque participant reconnaît en eux, dans une certaine mesure au moins, un but ou un ensemble de buts communs, ou au moins une direction mutuellement acceptee [...]. A chaque etape, certains choix conversationnels possibles seront exclus comme etant conversationnellement inadequats. Nous pouvons donc formuler approximativement un principe general que les participants sont censes respecter (toutes choses egales par ailleurs) : que votre contribution â la conversation, au moment ou elle intervient, soit conforme au but ou â la direction acceptee de l’echange verbal auquel vous participez. » ; le point de vue du sociologue confirme cette these : « Les participants se servent d’un ensemble de gestes significatifs, afin de marquer la periode de communication qui commence et de s’accrediter mutuellement [...] autrement dit, ils se declarent officiellement ouverts les uns aux autres en vue d’une communication » (Goffman, 1974, p. 33). 203 question c’est placer autrui dans l'obligation de vous repondre, l’acceptation de cette obligation est une condition sine qua non du succes de l’acte de questionnement. Comparons : (2) A. Vous avez l’intention de partir? B. Je ne veux rien entendre, je ne dis plus rien. (variante : silence) (3) A. Vous avez l’intention de partir? B. a. Je ne reponds plus â aucune question. b. Je n ’ai pas l 'intention de repondre ă cette question. (4) A. Vous avez l’intention de partir? B. De quel droit meposez-vous cette question? (5) A. Vous avez l’intention de partir? B. Euh...c'est-ă-dire que...je ne saispas encore. Dans les trois premiers cas, B refuse d’accepter l'echange discursif : il refuse de jouer le role de destinataire en (2), celui du destinataire d’une question/de cette question dans (3) et (4), alors que dans l’exemple (5) B se constitue en destinataire de la question (co- agit), mais ne foumit pas la reponse attendue par A et ne re-agit donc pas de maniere satisfaisante pour le destinateur. De meme, accepter d’etre le destinataire d’un acte representatif c’est accepter de reconsiderer un contenu propositionnel afin de lui assigner une valeur de verite, sans que cette valeur soit imposee par l’acte du destinateur ; accepter un acte directif, c’est accepter de considerer une situation â Ia lumiere de l’obligation pour le destinataire de la realiser, etc. Autrement dit, accepter de s’investir ou d’investir son propre univers de discours et d’en faire l’objet possible d’une transformation149. L’acceptation est le correlat de l’operation 149 La reussite de l’acte de discours ne signifie donc pas un consensus (sur le contenu propositionnel), mais l’acceptation d’effectuer la co-action discursive; il ne s’agit donc pas d’une identification, â travers la comprehension, des univers de pensee des individus participant â l’acte, mais de la mise en place d’un univers commun de discours. C’est dans ce sens qu’on pourrait comprendre l’opinion de Ricoeur : « La difference est liee â l’alterite, et l’alterite est une condition de la reconnaissance reciproque [...] Seul un sens aigu de l’alterite des personnes peut sauver la dimension 204 performative qui incombe au destinateur et que nous allons discuter dans la section suivante. La deuxieme composante de la co-action discursive est la co- production de la signification de l’enonce, ou V interpretation. Plusieurs demarches interferent dans ce domaine, qui se proposent soit d’insister sur les mecanismes psyco-cognitifs mis en marche lors de la comprehension de l’enonce150, soit de decrire la production du sens, en particulier du sens implicite151. Notre intention n’est pas d’entrer ici dans les details des mecanismes cognitifs qui sous-tendent la « saisie » de la signification. La co-action discursive met en oeuvre deux types de mecanismes : le decodage des signaux, acoustiques ou scripturaux perqus et le processus inferentiel qui, â partir du contenu decode et de la situation d’acte, co-produit la signification visee par le destinateur. Remarque. L’etude linguistique n’a pas, comme nous l’avons precise (1.4.2.2), â se preoccuper du decodage des signaux dont les locuteurs peuvent user afin de realiser leurs visees communicatives : La «signification» du mot et la «comprehension» de cette signification par l’autre (ou par les autres) [...] sortent des limites de l’organisme physiologique isole, et presupposent Vinteraction de dialogale de toute reduction au monologue tenu par un sujet non differencie. La singularite, l’alterite et la reciprocite sont les presupposes de la structure dialogique » (1998/2002, p. 153, 154-155 ; nous traduisons). 150 C’est l’objet d’etude pour les cognitivistes, ou encore pour les psycho- linguistes (Bach et Hamish, 1979 ou Caron, 1983) 151 La question de l’implicitation, traitee dans le contexte de la theorie des actes de langage surtout sous 1’aspect de l’indirection, dans un contexte plus linguistique sous la forme de l’opposition pose / presuppose / sous-entendu, le Principe de cooperation, et le grand nombre d’autres principes discursifs qui ont ete proposes, offrant une explication des mecanismes interpretatifs, releve d’un domaine dont l’etendue depasse largement les limites de cet ouvrage. Nous nous limitons ici aux seuls aspects pertinents pour l’objet de la discussion, supposant connues les principales theses du domaine. 205 plusieurs organismes. De sorte que cette troisieme composante de la reaction verbale [apres les actes individuels de phonation et respectivement de perception, n.n.] a un caractere sociologique. (Bakhtine, in Todorov, 1981, p. 50) L’interpretation est un processus complexe comportant, comme premiere etape l’operation d’assignation d’un sens conformement aux lois conventionnelles - donc sociales - du systeme linguistique ; mais cette premiere etape, delimitee par la description analytique, se trouve impliquee inextricablement dans l’acte d’interpretation comprehension. Bakhtine avait deja soutenu cette extension du domaine de la comprehension du niveau potentiel du linguistique au niveau du discours effectif: Dans son interpretation naive et realiste, le mot « comprehension » induit toujours en erreur. II ne s’agit pas du tout d’un reflet exact et passif, d’un redoublement de l’experience d’autrui en moi [...], mais de la traduction de l’experience dans une perspective axiologique entierement autre, dans des categories d’evaluation et de formation nouvelles. (Bakhtine, in Todorov, 1981, p. 39) L’etude du discours se reserve donc le domaine des mecanismes qui forment le processus de production du sens - dans le cas du destinateur - et du processus inferentiel, dans le cas du destinataire, qui n’est plus le destinataire du message jakobsonien, mais un co- auteur du sens moyennant l’evaluation de ce message reiativement â son propre univers de discours. L’interpretation produit une reorganisation de l’univers de discours du destinataire et, tout autant qu’une modification de l’univers du destinateur qui destine son acte de parole â un individu con^u comme agent (et caracterise par un savoir, un vouloir et un pouvoir). II en resulte une modification de l’univers commun de discours. Cette reorganisation concerne le niveau descriptif et/ou modal. Soit les exemples : (6) A. II est arrive ce matin. B. Tiens! (Je ne le savais pas.) 206 (7) A. J'ai entendu dire qu’il est arrive ce matin. B. C’est sur. Dans l’exemple (6) le changement produit dans l'univers du destinataire - dont temoigne l'interjection « Tiens!» - produira consequemment la modification de l’univers commun de discours qui contiendra desormais la proposition p : « X est dans un endroit Y ă partir d’un moment de temps ti». L’acte convoque un Uc constitue d’une presupposition existentielle reliant ces trois objets referentiels : les interlocuteurs connaissent qui est X, quel est l’endroit Y et quel est le moment ti designe par « ce matin » ; dans l’exemple (7) cette modification concerne seulement l’aspect modal dont depend la valeur de verite attribuee â la proposition p, supposee possible ou probable par A152 et confirmee (estimee certaine) par B153. La proposition p appartiendra dorenavant â l’univers commun de discours. L’operation performative qui etablit le rapport entre deux univers de discours a pour resultat la construction de l’univers commun de discours. Ainsi, l’enonciation de la phrase suivante par un presentateur â la radio (â l’intention d’un auditeur ideal) : (8) II pleuvra sur l ’ouest de la France. construit un univers de discours (quel que soit l’individu ayant entendu cette information) centre sur l’objet de discours ‘le temps qu’il fait’ dans l’espace/le pays X, â un moment tn posterieur â t0 (= temps de l’enonciation). La reconnaissance de l’intention discursive et/ou la 152 Comme nous 1’avons dit, dans son discours le locuteur peut indiquer la source de son information par le biais de diverses formes de discours rapporte, plus ou moins explicites, reduites parfois â la seule indication de l’informateur (selon X); ceci permet au locuteur de se presenter comme plus ou moins responsable (committed) de la verite du contenu propositionnel. Dans le cas de fexemple analyse, le changement de locuteur: locuteur autorise, locuteur individuel determine le changement de l’operation de validation. 153II est interessant de remarquer que, si on n’accepte pas que dans l’exemple (7) l’objet de l’echange est la valeur modale meme, il devient difficile d’expliquer la pertinence de la reponse. 207 reconnaissance de l’attitude propositionnelle epistemique circonscrit le theme â une description epistemique du monde. Enoncee par Jean â l’intention de Pierre, lorsque Jean et Pierre connaissent tous les deux que p, est vrai: Pl : Pierre se prepare pour un voyage dans l ’ouest de la France. la phrase (8) permet au destinataire d’inferer (9) par le biais de (10), (H)et(12): (9) II n’est pas permis pour Pierre de ne pas prendre des habits pour le temps_pluvieux. (10) Tout homme veut se sentir bien pendant un voyage. (11) Si Ton veut se sentir bien dans un voyage, il faut etre habille de facon adequate, quel que soit le temps qu’ilfait (12) Pierre veut se sentir bien dans ce voyage. L’univers de discours construit (et modifîe) par cet acte contient les propositions qui decrivent ce qui est permis/obligatoire/interdit pour le destinataire. Dans des conditions normales, un acte de discours realise simultanement les deux fonctions : descriptive et interactive. Une description du monde prend corps, un monde des certitudes, des possibilites, des obligations, des valeurs, etc. - selon l’attitude modale proposee par l’initiateur de cette description et qui, par l'operation performative, est mise en rapport avec une description alternative que l’interlocuteur est en obligation de construire une fois son role accepte. La constitution de l’univers commun de discours exige qu'une relation d’acces sibilite soit possible entre la description du monde appartenant â l’univers du destinateur wz et la description du monde appartenant â l’univers du destinataire Wj. Cette relation d’accessibilite n’est instituee que si le destinataire parvient â identifier correctement l’objet thematise (operation coreferentielle) et si la description du monde â laquelle cet objet appartient dans Uj appartient â un type modal compatible avec celui qui affecte la description respective dans Ui. L’impossibilite de reperer immediatement l’objet referentiel produit l’impossibilite d'etablir l’echange dialogique, comme dans l'exemple : 208 (13) K.Je voulais te parler de Pierre. B. Pierre comment ? ou une mesentente sur l’objet peut conduire â des quiproquo discursifs. La litterature a plus d’une fois exploite de telles situations. Ainsi, dans la scene celebre de Tartufe (acte I, scene IV), l’identite de l’individu designe par le nom propre Tartufe n’est pas la meme dans le monde d’Orgon (pour qui « Tartufe est un devot» est vrai) et dans le monde de Dorine (pour qui « Tartufe est un devot » est faux). De meme dans Sur l'inconsequence du jugement public de nos actions particulieres Diderot construit un dialogue dont le but est d’etablir l’identite du referent, un certain chevalier Desroches. Si les deux interlocuteurs connaissent et utilisent ce nom pour referer â un meme individu, cet individu n’appartient pas au debut de l’echange â des descriptions du monde compatibles. Si les proprietes physiques et certains comportements sont les memes : « personnage long, sec et melancolique, qui s’est assis, qui n’a pas dit un mot... », Desroches est decrit par le premier locuteur comme quelqu’un qui merite le respect, « Victime des caprices du sort et des jugements inconsideres des hommes » , alors qu’il est pour le second interlocuteur quelqu’un qui « s’est fait un nom par la dissipation, ses galanteries »154. Le texte de Diderot se constitue donc comme une sequence prediscursive, dont la fonction est d’etablir un referent commun. On peut, â la limite, trouver des situations ou le referent soit absent: (14) - Dites-le donc, si vous le savez. - Vous pretendez le savoir mieux que moi (Gide, Le Promethee mal enchaîne)X5S Dans cet exemple, le, operateur de referentialisation, ne trouve pas un domaine d’action et l’operation referentielle echoue: le domaine de discours n’arrive pas â etre constitue entraînant l’echec des actes de discours et de l’echange, et ceci en depit de la correction 154 Diderot, CEuvres romanesques, Paris, Eds. Gamier Freres, 1959, p. 814 sqq. 155 A. Gide, Romans, recits et soties. (Euvres lyriques, Paris, NRF, Bibi, de la Pleiade, 1966, p. 319. 209 grammaticale et de la succession parfaitement cohesive des repliques qui le composent. Chez lonesco l’objet referentiel implose â la suite de l’attribution de proprietes contradictoires : dans La Cantatrice chauve156 Bobby Watson est mort recemment, puisque c’est/c’etait ecrit dans le joumal il y a deux ans/ il y a un an et demi/ il y a trois ans, il a l’intention de se marier le printemps prochain, etc. Chaque replique construit un referent « Bobby Watson » incompatible avec les autres. Le dialogue est en fait un faux dialogue car l’echange n’est pas possible vu l’absence d’objet referentiel. L’echec de l’echange peut etre aussi le resultat d’une incompatibilite au niveau de l’operation predicative qui aboutit â une description du monde inaccessible, meme si l’objet thematise y a ete correctement identifie. Ainsi, le moment de verite qui enclenche le drame de Genevieve dans l'Ecole des femmes d’Andre Gide sera la decouverte de la « mesentente » issue d’operations predicatives differentes, cachees sous le couvert de mots identiques. Dans la sequence : (15) (Genevieve) Alors c’est vous qui avez trouve cela 2 [...] (Robert) Oui... en cherchant, j'ai trouve. (Gide, L'Ecole des femmes)X51 Robert utilise l’ambiguîte possible de la predication trouver («decouvrir par un effort de l’esprit» / «rencontrer alors qu’on cherchait») et dissimule le sens ’vrai’ : « en cherchant les enveloppes que j’avais commandees » en jouant sur une autre ambigui'te, celle du verbe chercher en regime absolu, ce qui permet ainsi ă Genevieve d’y assigner le sens « faire des efforts de l’esprit». Ce type d’echec discursif est exploite par Gide dans ses ecrits « ironiques » pour produire un effet comique. Dans le meme Promethee mal enchaîne on peut lire : (16) Que voulez-vous? disait Cocles, nos points de vue sont opposes. - Croyez-vous? repondit Damocle. Je ne demande qu'ă nous entendre. 156 E. lonesco, La cantatrice chauve. Paris, Gallimard, coli. Folio, 1954. 157 A. Gide, idem, p. 1282. 210 - Vous dites cela, mais vous n'entendez que vous seul. - Et vous, vous ne m'ecoutez memepas... (Gide, Le Promethee mal enchaîne)15* On comprend l’importance du role joue par le destinataire en sa double qualite de co-agent (qui accepte d’envisager la possibilite de performer une certaine action discursive) et d’univers de discours, â la fois condition et objet du possible changement vise par le destinateur. Nous retrouvons ici Fr. Jacques (1983, p. 61, 57) pour dire que : en sa qualite de co-enonciateur, le sujet parlant exerce sa force particuliere de proposition, son efficacite, dans l’elaboration conjointe de l’effet de sens, [car] chaque enonce doit etre prononce dans le contexte interlocutif commun. Ceci fait que la comprehension doit aboutir â une « double contextualisation», â une «mise en communaute» du contenu propositionnel de l’enonce. Prenons l’exemple de la phrase inițiale d’une chronique cinematographique parue dans le magazine Elle (n° 2294, 1989) : (17) Don Juan parle le russe. Cette phrase, enoncee par ecrit, s’inscrit dans une configuration interactionnelle in absentia : chroniqueur - lecteur. Le public vise par ce magazine, ainsi que la zone couverte par ce type de chronique, permet de decrire ce lecteur comme un membre de la classe public melomane - amateur d’opera - moyennement cultive. Afin que soit etabli le theme de l’enonce, le destinateur foumira au destinataire des elements paratextuels ; la photo du baryton Ruggero Raimondi, interpretant un role (eventuellement identifiable par les connaisseurs comme le role de Don Giovanni), le nom du baryton sous la photo ; ces « indices » permettront au destinataire de choisir parmi les propositions (18.1-18.3), censees appartenir â l’univers de connaissance d’un lecteur type, la proposition (18.2) comme etant celle qui decrit le referent du nom propre utilise dans (27): 158 idem., p. 319 211 (18.1) Don Juan est un personnage d’une piece de Moliere Don Juan (18.2) Don Juan est le personnage de l'opera de Mozart Don Giovanni (18.3) Don Juan est un personnage apparaissant dans une/deux pieces de Tirso de Molina. Une fois identific le theme, la tentative d’interpreter (17) se heurtera â une incongruence engendree par l’impossibilite d’avoir en meme temps (19) et (17). (19) Don Juan/ Don Giovanni «parle» l’italien/le role de Don Giovanni est chante en italien S’ingeniant â retablir la normalite de (17), le lecteur pourra facilement, grâce â sa competence rhetorique, interpreter « Don Juan » comme « le chanteur d’opera qui est devenu celebre par l’interpretation de ce role », et notamment Ruggero Raimondi. L’absence possible des propositions (20.1) et (20.2) de l’univers de discours du lecteur sera suppleee par la photo et l’insertion du nom de l'interprete : (20 .1) Ruggero Raimondi est un des meilleurs interpretes du râie de Don Giovanni. (20 .2) Raimondi a interprete le role de Don Giovanni dans le fdm-opera realise par Joseph Losey. Le lecteur conclut ainsi â : (21) Ruggero Raimondi « parle » (= chante) le russe dont il infere : (22) Ruggero Raimondi chante un role d’un opera russe. La suite de l’article lui permettra d’identifier ce role comme etant celui de Boris Godounov, â moins que le titre A tsar is born, base sur l’anagramme tsar-star, n’ait deja mis la puce â l’oreille â un lecteur averti. Cette esquisse rapide du processus d’interpretation d’un enonce comme une suite d’inferences suscitees par la comparaison entre les entites constitutives de l’enonce et l’univers de discours que cet enonce circonscrit (en simplifiant, les propositions 18-22), decrit ainsi l’interpretation comme une activite inferentielle considerable fondee 212 sur, d’une part, le decodage des signes visiblement et intentionnellement produits, et d’autre, l’univers de discours que ce decodage selectionne et qui rend possible la chaîne inferentielle. Accepter le role de participant â un acte de discours, c’est accepter d’effectuer cette activite interpretative qui met en cause non seulement un savoir linguistique reductible â la connaissance d’un code, mais surtout son propre univers de discours, qui en sortiră ainsi modifie ; autrement dit, se remettre en cause soi-meme en tant que savoir159. C’est ici qu’il faut deceler la difference entre le decodage, comme identification d’un contenu et d’une intention discursive grâce â la connaissance du code, autrement dit de la valeur des marqueurs de force illocutionnaire, ainsi que des autres entites linguistiques constituant le contenu propositionnel et l’investissement personnel suppose par la comprehension « active », autrement dit la co-action discursive. Citons Bakhtine, l’un des premiers â avoir eu l’intuition du role essentiel de la co-participation interlocutive : Toute comprehension veritable est active et represente deja l’embryon d’une reponse. Seule la comprehension active peut se saisir du theme [du sens de l’enonce], ce n’est qu’â l’aide du devenir qu’on peut se saisir du devenir [...] Toute comprehension est dialogique. La comprehension s’oppose â l’enonce comme une replique s'oppose â l’autre, au sein d’un dialogue. La comprehension cherche un contre-discours pour le discours du locuteur. (Bakhtine, apud Todorov, 1981, p.40 ; nous soulignons) Remarque. Nous croyons pouvoir identifier dans les stereotypes discursifs en roumain : Da..., ou encore Deci, par lesquels debute souvent une replique, comme dans : (23) A. Care credeți că sînt cauzele insuccesului? B. Da/Deci... cauzele se datorează... un signal de la co-reaction interpretative, plutot que d’une hesitation ou, encore moins, de la confirmation. On peut le rapprocher d’autres « comportements paraverbaux » - reactions mimo-gestuelles de l’auditeur au cours de la prise de parole du locuteur - qui seraient, selon Kerbrat-Orecchioni (1980, p. 21), 159 Ceci foumit une justification la these de Goffman sur le potentiel mena enonciation _____________________________________________________j acte de langage L’intention de sens est, â son tour, constituee d’une intention de representer et d’une intention de communiquer. Et, suite â l’attitude solipsiste adoptee par Searle (cf. suprd), on ne saurait formuler une theorie du sens entierement en termes d’intention de communiquer puisque : On peut chercher â representer sans chercher â communiquer, mais on ne peut chercher â communiquer sans chercher â representer. (p. 201) L’intention de communiquer implique donc l’intention de representer, car : L’intention de communication n’est pas autre chose que l’intention qu’autrui reconnaisse necessairement que l’acte a ete accompli avec l’intention de representation. (p. 203) Nous croyons pouvoir identifier l’effet illocutoire dans cette intention de produire la reconnaissance par l’auditeur de son intention de produire un sens representatif. L’intention de representer semble devenir l’equivalent d’une intention prealable et l’intention de communiquer, de l’intention en action puisque : la representation est prealable â la communication et les intentions de representer sont prealables aux intentions de communiquer. (p. 200) On peut se demander alors quelle est la place reservee â « l’etat psychologique exprime dans l’accomplissement de l’acte », â savoir cette condition de sincerite du premier niveau intentionnel165. 165 Le passage sui vânt, que nous preferons citer en anglais, la traduction fran que F (p) [18] 224 (ou marque l’implication egale des personnes constituant l’agent intrasubjectif et le FAIRE CONNAÎTRE designe, par simplification l’action et la co-action discursive) Ainsi, (25) Ferme la porte. ou F est le force illocutoire fondee, selon Searle, par l’etat intentionnel desirer (DES) et p une proposition dont le contenu est [FERMER la porte (ti), TU], et qui peut egalement se realiser par des marqueurs tels : (25a) Je te demande de fermer la porte. (25b) Je veux que tu fermes la porte. (25c) Veux-tu fermer cette porte ? se decrit comme : FAIRE CONNAÎTRE De> que (DESDque p). [19] L’acte de discours est realise au moment ou De connaît (accepte de connaître) que D deșire que p. Pour un acte representatif tel : (26) II fait chaud en ce moment. (ou F est realisee souvent par un marqueur zero, ou par des auxiliaires modaux je crois, j 'estime, etc) nous proposons : FAIRE CONNAÎTRE De> que (SAVOIRD que p) [20] D, sait que p et, en vertu de l’acceptation par le destinataire de la relation discursive, demande â De d’evaluer p par rapport â son propre univers de discours. Une description similaire est possible pour un acte promissif: (27) Je viendrai demain. compris comme une promesse correspond â : FAIRE CONNAÎTRE que (S’ENGAGERD quep) [21] 225 (ou S’ENGAGER doit etre lu comme designant l’engagement du locuteur â effectuer un acte futur) et l’acte est accompli lorsque De accepte de modifier son univers de discours compte tenu du contenu de p. Le cas des actes expressifs, affectifs ou evaluatifs (cf. infra, 1.4.3), n’est pas different de celui des autres actes, apparemment plus dialogiques, car impliquant davantage une reaction de la part de l’interlocuteur. On ne saurait imaginer un acte de discours â valeur purement expressive : un tel acte serait reductible â l’explicitation de l’attitude d’un individu (locuteur) â l’egard de la seule realite qui suscite son etat psychologique. Or, toute manifestation d’une attitude affective ou evaluative nous semble etre egalement dirigee vers l’autre â qui on fait connaître que l’on eprouve cette attitude. On aura donc : FAIRE CONNAÎTRE que APD p [22] (ou AP designe une attitude propositionnelle, affective ou evaluative, quelconque relative ă la proposition p) et l’acte est reussi si D et De finissent par partager ce contenu AP/?. Remarque. Le formule F(p) par laquelle Searle decrit Pacte illocutoire apparaît dans cette description comme decrivant le contenu de l ’enonce et, de ce point de vue, et seulement de ce point de vue, justifie la reduction que le philosophe propose des conditions pragmatiques de l’acte aux regles semantiques de l’emploi des marqueurs de la force illocutoire167. Dans le modele que nous proposons ci-dessous, la composante FAIRE est representee au moyen des operateurs praxeologiques du - TI calcul; la composante CONNAÎTRE apparaît au niveau de la description des univers de discours respectifs des participants et de l’univers commun de discours etabli par l’acte de discours. 167 Une serie de questions trouvent une solution evidente dans ce contexte : ainsi, l’impossibilite d’identifier F(/?) etp ; les actes de langage indirects, qui auraient une double force illocutoire. Le pouvoir « magique » des mots (du performatif) d’accomplir un acte incombe, en fait, â l’acte d’un sujet locuteur qui observe les normes d’un comportement discursif cooperatif. 226 1.4.2.6. Modele logique. Syntaxe. Dans ce qui suit nous proposons une modelisation logique de l’acte de discours (AD) necessaire â la construction d’une logique discursive (en particulier dialogale). L’agent intrasubjectif se represente comme un couple ordonne et oriente de râles : Soit PART l’ensemble des participants â une action discursive : PART = {part^..... partn | [23] Soit D et De les râles de destinateur et respectivement de destinataire. Chaque parti se represente comme : partt = (^.0^ [24] Unparti designe l’agent intrasubjectif de l’acte. La situation discursive (ou situation d’acte) est constituee du moment et du/des lieu(x) ou se deroule l'activite discursive, des normes praxeologiques (socio-communicatives et linguistiques) existant dans la communaute â laquelle appartiennent les participants, les moyens utilises (code), etc. Soit T un ensemble de moments discrets de temps, ordonne par la relation de succession temporelle < = precede : t^ < ti ou t^. ti e T T = [25] Soit un ensemble 2 de lieux disjoints oii les participants â la communication peuvent se trouver : 2 = [26] Les participants peuvent etre decrits par un ensemble de motifs et un ensemble d’intentions d’acte. Sur cette base, il existe un ensemble de relations discursives possibles entre D et De si une relation discursive R e est une relation binaire, reflexive, qui peut etre symetrique ou asymetrique, transitive ou intransitive168. La situation discursive (S) peut etre representee par la relation : 168 Le type de R peut constituer un critere de distinction entre les divers types d'echanges communicatifs (dialogue, monologue, conversation, etc.). 227 S=\PART^,T^} [27] qui decrit l’etat de l’univers commun de discours. Soit E l’ensemble des enonces produits au cours de la communication : E = {e0,■■■,?„} [28] et P l’ensemble des propositions qui correspondent â ces enonces : P = {pQ,...,pn} [29] II existe un ensemble de fonctions F (regles de la grammaire d’une langue) qui permettent d’assigner â chaque p un ou plusieurs enonces et, inversement, de faire correspondre â chaque enonce une ou plusieurs proposition(s)169. Soit P(F) l’ensemble des sous- ensembles de F. Un AD designe l’action conjointe d’un agent intrasubjectif (part^ que l’on peut decrire comme : (i) une relation entre une proposition p et une enonciation e (qui observe les regles F du systeme d’une langue naturelle ; (ii) l’enonciation e par un D avec une intention d’agir (intention prealable et intention en action) determinee en particulier par le type de relation (appartenant â 31) que D veut etablir entre lui-meme et De; (iii) l’operation inverse effectuee par De, qui etablit une relation entre l’enonciation e d’une proposition p’ (en conformite avec les regles de la langue naturelle utilisee ; (iv) la mise en place de la relation R entre D et De Le resultat d’un acte de discours est la modification produite dans l’etat de l’univers commun de discours ; cette modification peut 169 Une theorie de la competence (par exemple, une grammaire generative de type chomskyen) postule un systeme de regles unique pour les operations d’encodage et de decodage. 228 concemer le contenu propositionnel, les attitudes propositionnelles, la co-intentionalite assurant la constitution d’un tel Uc. Un acte de discours (AD) peut etre represente formellement par : ADc{TxZxExPxP(F)xPART^} [30] On appellera ce type de description du discours une description externe™. Semantique: l "evenement discursif. Le volet semantique de cette description externe s’obtient grâce â la reduction successive des entites concernees â des ensembles propositionnels. La definition de l’acte discursif proposee au paragraphe precedent n’est pas exempte de certaines difficultes methodologiques : comment reunir, dans un meme modele, des entites aussi differentes qu’agent, intention, faire, lieu, temps, etc. Par ailleurs, cette maniere d'envisager l’unite minimale du discours donne une description exterieure des actes effectues par les locuteurs, mais ne nous renseigne pas sur la maniere dont ces actes prennent effet, â savoir sur le changement que l’acte de discours produit dans le monde (la situation de discours) et qui explique la possibilite pour un acte de discours de susciter un acte-reponse (discursif ou comportemental). II convient d’autre part de discuter la relation existant entre VAD et le produit de cet acte (linguistique), et ceci sous le double aspect: (i) theorique : expliquer comment, en produisant un enonce (suite de signes), conformement aux regles syntaxiques, semantiques et pragmatiques d’une langue, on produit eo ipso une modification dans le monde, et (ii) methodologique : expliquer comment on peut decrire la relation entre l’unite discursive (AD) et l’unite linguistique (l’enonce). 170 Dans la theorie des systemes, une description externe concerne la relation entree - sortie (input - output) caracterisant le systeme respectif; le type complementaire de description concerne la relation entree - etat interne - sortie (description interne) (Kalman et al., 1963). 229 Rappelons que Ie concept central dans notre description est la proposition, qu’on retrouve aussi bien dans le modele praxeologique, en tant que description d'un etat de faits elementaire, que dans le modele linguistique, en tant que structure logico-semantique d'un enonce. Ainsi une proposition peut constituer l’objet: (a) d'une attitude (ou evenement) mentale, telle que desirer, vouloir, croire, esperer, etc.; (b) d’une intention d’agir (un agent a l’intention de modifier ou de maintenir un etat de faits qu’il se represente comme une proposition). Dans le cas des actions linguistiques, nous dirons que la proposition est l’objet ă la fois d’une attitude propositionnelle et d’une force discursive. Nous proposons de remplacer le concept austinien de force illocutionnaire par celui de force discursive, en concordance avec la substitution du concept dacte de discours â celui d’acte illocutionnaire. Definie comme structure logico-semantique d'un enonce, la proposition represente une fonction dont le domaine est un ensemble de mondes possibles et dont les valeurs sont vrai ou faux : V(p,^) = {0,1} [31] Une proposition est vraie ou fausse par rapport â une description possible du monde On introduit le concept d'univers de pensee (Wj d’un individu, moyennant lequel on representera cet individu en tant qu'agent d’une action discursive ; du point de vue formei, l’univers de pensee d'un individu se definit comme l’ensemble de mondes possibles que l’individu respectif peut decrire au moyen d’une langue L ; cet ensemble est theoriquement infini et pratiquement non denombrable, ce qui rend sa manipulation malaisee. A l'aide du concept de model set (description partielle d’un etat du monde), nous reduisons l’univers de pensee des locuteurs â un model system (ensemble de model sets) ; cet ensemble sera appele univers de discours et sera note Ui: Ui c: Wi [32] 230 L’univers de discours d'un individu est forme d’un ensemble fini de propositions, decrivant des etats de faits (ou de cours d'evenements), auxquelles un individu assigne une attitude propositionnelle. Ui ={w0,...,w„} [33] (ou Wj = description possible du monde) wi = {P/,-■■,Pk’aPk+b---^Pn} [34] (ou a = une attitude propositionnelle quelconque ; p, et pi+[ dans ap peuvent etre une meme proposition) La limite de cet ensemble est imposee par le choix postule d’un domaine de discours A, constitue de l’ensemble des constantes individuelles (designant des personnes, des objets, des evenements) qui forment le sujet du discours. [35] (ou a = une constante individuelle) Le concept d 'univers de discours permet d’integrer dans une description homogene 1 'agent et la situation discursive. Representer l’agent d’un acte de discours par l’univers de discours qui le caracterise c’est le reduire aux seuls traits pertinents au point de vue communicationnel. La situation discursive sera decrite comme un ensemble - soit Uc - de mondes possibles appartenant â l’intersection non vide des univers de discours des participants171 : U^U^Uj [36] (ou Ui et Uj designent les univers de discours du D et respectivement du De) 171 Le lieu et le moment de l’action sont representes par des propositions de l’univers de discours qui decrivent les proprietes de ces entites; dans ce sens, seules les proprietes physiques pertinentes pour le discours seront prises en consideration. Un ensemble de propositions de U est pertinent pour un discours s’il determine la signification des propositions produites par les actes de discours. 231 L’intention discursive a pour objet la modification de cet univers de discours commun (la situation discursive) : modifier l’univers de discours d’un individu c’est aussi modifier ses motifs ou ses intentions d’agir. La relation discursive apparaît dans ce modele comme une relation d’altemativite entre les descriptions possibles du monde appartenant â Ui et a Uj ; elle explique la constitution de l’univers commun de discours Uc. Avec ces elements, il devient possible de decrire un acte de discours â travers l’evenement correlatif et que nous appellerons evenement discursif. Conformement au modele de von Wright (1968), on representera un evenement discursif note E, par : E = U^~} IU(cf [37] (ou n-l, n representent des moments du temps). L’application du modele de von Wright n’est pas sans quelques difficultes lorsqu’il s’agit d’actes de discours. En effet, dans la formule [37] : Uc~X represente l’etat inițial de l’univers commun de discours ; U" represente l’etat final de l’univers commun du discours (ou resultat de l’acte de discours); U^ devait representer, selon la definition de von Wright, l’etat de l’univers commun de discours, independamment de l’intervention de l’agent. Or, afin qu’une analyse soit possible, il est necessaire de poser les restrictions suivantes : (i) le destinataire ne peut recevoir aucune information d’une autre source que le destinateur ; 232 (ii) au cours de l’intervalle de temps < tn.b tn > aucune modification n'intervient dans l’univers de discours du destinateur172. Dans ce cas, ne peut etre qu’identique â . ce qui rendrait la formule [37] inoperante. Nous proposons de representer par l’etat de l’univers commun de discours tel qu’il est evalue par D avant d’effectuer un acte de discours. L'opportunite de l’acte (la relation < >) dependra dans le cas des actes de discours, â l’encontre d’autres types d'actions ou l’objet peut se trouver modifie sous l’action de ses propres lois physiques, de l’evaluation correcte par le D de l’univers commun de discours ; un acte de discours est donc opportun si : (i) le destinateur evalue correctement Uc (ii) le destinateur effectue un AD approprie â la situation d’acte173. La nature (le type) de l’acte depend du rapport etabli entre Vopportunite et le resultat de l’acte. On pourra evaluer 1’intention de l’acte par la formule (u" ,Uc^ qui exprime le rapport entre le resultat de l’acte et l’univers commun de discours evalue par le destinateur. L’introduction du concept d’acte de discours en tant qu’unite minimale du discours permet de : (1) partir dans toute analyse du discours de : - la nature actionnelle du processus discursif; 172 Ces restrictions ont un caractere operationnel (cf. supra, LL2 ou ces conditions ont ete stipulees en raison de la propriete de rationalite de l’agent) ; en fait, il se peut qu'au cours d'un discours (dialogue) reel d’autres sources de signaux interviennent et que l’univers de discours du D en soit modifie ; c’est le cas d'un discours interieur qui pourrait se derouler parallelement au discours enonce. 173 L'opportunite d'un acte de discours se retrouve dans la theorie de Searle (1969) sous la forme d’une condition preliminaire : « II n’est certain, ni pour L, ni pour A, que A sache/ execute,etc. p » ; or, en fait la condition doit etre formulee comme : (i) il n’est pas certain pour L que A sache p ; (ii) A ne sait pas p, ce qui conduit vers l’analyse que nous proposons. 233 - la propriete de l'action discursive d’etre une interaction entre plusieurs individus. (2) defmir l’unite minimale du discours comme l’instauration (ou la modification) de la relation discursive entre deux ou plusieurs individus. La reduction de l’acte de discours â l’evenement discursif traduit l'option d’interpreter l’acte au moyen du changement qu’il produit ; cette option est determinee par la necessite de trouver un concept susceptible de : (1) integrer les entites de nature differente qui forment la structure d’un acte de discours â un seul et meme modele ; (2) rattacher le modele linguistique au modele praxeologique. C’est grâce au concept d’univers de discours que nous pouvons etablir la jonction entre ces deux paliers de l’analyse. 1.4.2.7. Conclusions: acte de discours vs acte illocutoire. La description praxeologique des mecanismes discursifs a conduit vers une redefinition de l’unite minimale du discours : l’acte de discours ; elle vient se substituer au concept d’acte illocutoire, juge ici insatisfaisant, car inapte ă rendre compte de la nature interactionnelle du processus discursif. Un certain nombre de points de divergence distinguent l’acte de discours de l’acte illocutoire que nous resumons dans le tableau suivant: constituants de l’acte Agent Situation d’acte Objet de l’acte Structure de l’acte Marqueurs de l’intention discursive acte illocutoire individuel ensemble des conditions physiques et psycolo- giques preexistant ă l’acte univers de discours du destinataire acte d’enonciation acte propositionnel acte illocutoire ensemble de marqueurs conventionnels (appartenant au code) acte de discours intrasubjectif univers commun de discours construit par l’acte univers commun de discours action + co-action discursives ensemble de marqueurs, conventionnels explicites et implicites 234 Nature des mecanismes regles constitutives regles constitutives et sous-jacents Conditions de observation par D principes interpretatifs observation par D et par succes des regles constitutives De des regles constitutives Resultat modification de et des principes interpretatifs modification de l’univers Acte l’univers de discours du destinataire monologique commun de discours dialogique • Le traitement semantique du concept d’acte illocutoire a fait subrepticement oublier les proprietes praxeologioques du phenomene discursif decrit: au-delâ et en depit des differences au niveau des choix meta-theoriques, la theorie des actes de langage vient rejoindre la theorie de l’enonciation dans l’espace semantique des moyens conventionnels (linguistiques) qui temoignent de l’acte accompli ; • L’hypothese de l’agent intrasubjectif est essentielle pour notre perspective : il en decoule l’importance de l’univers commun de discours, condition et objet de l’acte ; • A l’encontre des comportements illocutoires qui se conforment â l’existence d’une situation de discours convenable afin d’assurer le succes de l’acte, l’univers commun de discours emerge de l’acte de discours meme. Defini comme l’ensemble des propositions constituant les conditions de satisfaction de l’enonce produit, l’univers commun de discours est construit avec/par et en dependance de cet enonce meme : on pourrait dire qu’il est « bricole » de contenus qui, eux, appartiennent deja â l’un, â l’autre ou aux deux univers de discours impliques et dont le rapport cree par l’operation performative produit un univers commun de discours, unique et irrepetable, specifique de l’occurrence singuliere de l’acte de discours accompli; • Si la force illocutoire dispose toujours de moyens linguistiques pour se signaler (conformement au principe d’exprimabilite), l’intention de l’acte de discours peut se 235 trouver frappee de « tabous » relevant des normes psycho- sociales qui regissent le comportement social ; • Notons que si les conventions linguistiques laissent toute la liberte â l’interlocuteur ou, plus exactement, n’exercent pas sur celui-ci de contraintes, les normes praxeologiques obligent l’individu ayant accepte la position de destinataire de co-agir et de re-agir; • Par consequent, un acte de discours ne reussit que si le destinataire effectue convenablement la co-action qui lui incombe (la comprehension); il suffit, dans le cas de l’acte illocutoire, que le locuteur observe les regles du systeme linguistique (parmi lesquelles les regles semantiques de l’emploi des marqueurs de la force illocutoire) pour que l’acte soit effectue avec succes ; • La difference essentielle decoulant du parti pris praxeologique ici adopte concerne le resultat de l’acte : l’acte illocutoire produit un enonce propose â l’interlocuteur, l’acte de discours est accompli uniquement si le destinataire joue son râie interpretatif: un nou vel etat de l’univers commun de discours est ainsi constitue qui deviendra la situation d’acte de l’acte reactif du destinataire accedant au râie de destinateur ; • L’avancee vers l’integration de l’acte dans les sequences discursives est de beaucoup facilitee par la description que nous proposons : alors que la description d’un acte illocutoire (en particulier chez Searle) se ferme sur l’accomplissement avec succes de l’acte par le locuteur puis, avec la modification de la theorie, elle integre l’acte reactif de l’interlocuteur, dans le modele ici configure l’acte est accompli entre l’accomplissement de l’action du locuteur et la re-action de l’interlocuteur: c’est l’espace intermediaire de la co-action (comprehension) qui decide du succes de l’acte. Comme toute action, l’acte de discours produit la modification d ’un etat de faits operee intentionnellement par un agent: l ’acte de discours modifie l ’etat de l ’univers commun de discours et ceci grăce â l’action conjointe des deux participants - destinateur et destinataire. - constituant l ’agent intrasubjectif de l ’acte de discours. 236 1.4.3. Typologie des actes de discours Une fois definie la nature de l’acte de discours, acte conjoint de deux partenaires accomplissant chacun le râie qui lui est assigne, la question d’une typologie de ces unites discursives se pose, d’une part pour permettre I’integration de ces unites â la pratique discursive qu’elles constituent, d’autre part afin de mieux cemer cette nature dialogique de l’acte de discours : tous les actes de langage et en particulier les actes illocutoires decrits dans le champ de la theorie des actes de langage sont-ils, ou non, des actes de discours. Une traversee des propositions de classification des actes permet de constater la diversite, au niveau des criteres dependant des cadres theoriques choisis, et toutefois une certaine convergence quant aux resultats obtenus. Ce sera le point de depart d’une discussion visant â proposer une reponse â cette demiere question. 1.4.3.1. Etat du sujet. La premiere classification est due â Austin qui, apres l’etablissement d’une liste de verbes performatifs explicites, finit par classifier sur cette base les valeurs illocutoires des enonciations (Austin, 1962/1969, XIIe conference). II propose de distinguer cinq classes d’enonciations : • les verdictifs : un verdictif est rendu par un jury, un arbitre ou un juge; exemples : acquitter, condamner, evaluer, classer, decreter que, apprecier, calculer, analyser, etc. (acte «judiciaire »); • les exercitifs : ils resultent de 1’ « exercice de pouvoirs, de droits ou d’influences » ; exemples : designer, effectuer une nomination, voter, commander, exhorter, conseiller, avertir, proclamer, promulguer, declarer ouvert, etc. ; • les promissifs : par ces actes «on prend en charge quelque chose » ; exemples : promettre, entreprendre, etre decide â, faire voeu, epouser la cause, se dire preț â, jurer, parier, favoriser, etc.; • les comportatifs : ces actes sont la « reaction â la conduite et au sort d’autrui, [les] attitudes et manifestations d’attitudes â l’egard de la conduite anterieure ou imminente de quelqu’un » ; exemples : s’excuser, remercier, deplorer, se dire offense, saluer, benir, boire â la sânte de, braver, mettre au defi, etc. ; 237 • les expositifs : « explication d’une faqon de voir, conduite d’une argumentation, clarification de 1’emploi et de la reference des mots » ; exemples : affirmer, nier, remarquer, temoigner, accepter, postuler, deduire, commencer par, illustrer, se referer â, etc. Cette classification en familles se recouvrant souvent, partageant â des degres divers des caracteristiques communes, reposant de toute evidence sur les items lexicaux d’une langue naturelle donnee - ici l’anglais - a souvent ete critiquee174 et vite abandonnee ; elle sert encore peut-etre de « repoussoir » pour tout chercheur qui s’aviserait de commettre l’erreur d’asseoir une classification des actes sur le critere des verbes d’une langue naturelle censes nommer et/ou decrire ces actes. Et ceci d’autant plus que, en depit d’une litterature riche sur le sujet, les concepts de verbe performatif, de verbe illocutoire et de verbe de communication (verba dicendi) ne sont pas toujours clairs175. 174 Citons la critique que Searle fait de cette classification : « Par ordre croissant d’importance : il y a une confusion persistante entre verbes et actes ; tous les verbes ne sont pas des verbes illocutoires ; les categories se recouvrent trop largement; il y a trop d’heterogeneite intracategorielle; beaucoup de verbes recenses dans une categorie ne satisfont pas la definition donnee pour cette categorie ; enfin, ce qui est plus grave, il n’y a pas de principe coherent de classification. » (Searle, 1979/1982, p. 51). Une autre taxinomie fondee sur 1’analyse des verbes performatifs (fran^ais) est proposee par Vanderveken (1988, chap. VI); il nous semble que la critique de Searle se referant â la tentative austinienne est largement valable pour cette autre taxinomie. 175 On a pu remarquer chez certains auteurs une Identification de l’acte au verbe de communication pouvant apparaître dans l’incise d’un enonce au discours rapporte ; ceci peut faire croire â l’existence d’actes realises par des verbes comme balbutier, marmonner; or, pour contenir le trăit semantique /dire/, ces verbes ne sont pas pour autant des verbes illocutoires et encore moins de verbes performatifs. Une confusion encore plus grave, car moins evidente, est due â une approche syntaxique de l’acte â travers la structure profonde de l’enonce integrant une phrase performative: reperant â la place du performatif un verbe d’attitude subjective, certains ont interprete un enonce tel que Je regrette de devoir vous informer que p comme 1’expression d’un regret, ou, pire, comme un acte de regretter (pour une premiere discussion d’un tel exemple, voir Sadock, 1975a). 238  la recherche d’un critere ou d’un faisceau de criteres susceptible de lui eviter les difficultes et les echecs subis par son predecesseur, Searle (1975b) propose un ensemble de criteres, dont la pertinence semble etre plus ou moins evidente : ces criteres, issus de la decomposition de la force illocutoire, sont par ailleurs â mettre en rapport avec les quatre types de regles constitutives qui lui avaient permis de decrire les divers actes illocutoires analyses dans Les actes de langage (1969/1972) : 1. le but illocutoire (« illocutionnary point ») de l’acte, correlatif de la regie essentielle s’avere le critere fondamental de cette classification : il correspond dans notre perspective â l’intention d’acte (en termes searliens, 1’intention en action); 2. la direction d’ajustement entre les mots et le monde ; determine par le but illocutoire, l’ajustement peut se faire des mots vers le monde ou inversement : une assertion se propose d’adapter les mots â un etat du monde (de faire en sorte que la proposition soit vraie); par contre, la promesse est un engagement de faire en sorte que le monde soit conforme aux mots (au contenu propositionnel). Ce critere represente un reamenagement de la regie du contenu propositionnel et devient un concept ele apres 1’Intentionalite ; 3. Vetat psychologique exprime : â chaque type d’acte illocutoire il correspond un certain etat psychologique, exprime explicitement ou non. Cet etat, que nous avons discute precedemment, correspond â l’intention prealable, donc au concept logique &attitudepropositionnelle et/ou au concept pragma-linguistique de modalite. II etait annonce par une regie preliminaire et surtout par la regie de sincerite ; 4. la force avec laquelle le but illocutoire est presente, permettant de distinguer entre : Je suggere qu ’on aille au cinema et J’insiste que nous allions au cinema. 5. le statut mutuel des interlocuteurs : ainsi, pour qu’un meme etat de choses soit realise, il est possible d’effectuer: - un ordre ou une commande, si le destinateur dispose d’une autorite reconnue par le destinataire ; - une suggestion, une proposition ou eventuellement une demande si la relation discursive est symetrique ou si le destinateur est en position inferieure ; 239 6. la relation entre le contenu propositionnel et I7les interet(s) du locuteur ou de l’auditeur : ceci explique la difference entre se vanter et se lamenter, entre feliciter et faire des condoleances ; 7. la relation avec le reste du discours ; ce critere rejoint les criteres 2 et 3 de nos precisions preliminaires. Searle remarque que des expressions telles que Je replique, J’(en) deduis, Je conclus ou J’objecte servent â etablir la relation entre les enonces d’un discours et concement surtout la classe des actes assertifs : une proposition assertee peut etre presentee comme une objection, comme une replique, comme une conclusion en rapport avec une autre/d’autres propositions. Des connecteurs tels que en outre, par consequent, pourtant, etc., remplissent la fonction de constituer et/ou de marquer ces relations ; dans la typologie de Austin, on reconnaîtra la classe des actes expositifs ; 8. les differences de contenu propositionnel determinees par le marqueur de force illocutoire (reprise de la regie du contenu propositionnel dans le modele 1969/1972) ; ainsi une constatation concerne un etat passe ou present, une prediction concerne un etat futur; 9. la possibilite qu’ont certains actes d’etre accomplis par des moyens autres que linguistiques permet de distinguer les actes qui sont exclusivement verbaux (poser une question) des actes qu’on peut realiser sans realiser un acte de discours (Searle cite des actes comme classifier, conclure, estimer). 10. la necessite d’une institution extra-linguistique pour la performance de l’acte : excommunier, donner la benediction, baptiser, declarer la guerre, etc. exigent, pour qu’ils soient effectivement accomplis, le fonctionnement simultane d’institutions telles que l’institution ecclesiastique, l’institution de la guerre, etc. ; 11. la capacite du verbe illocutoire qui nomme l’acte accompli de fonctionner comme verbe performatif : on peut ordonner en disant Je vous ordonne (de faire pf on ne saurait menacer en disant *Je vous menace (pour des raisons d’ordre social, croyons-nous, dont le reflet se retrouve dans les divers principes ou maximes du Principe de politesse176). 176 Plusieurs modeles de ce principe ont ete discutes, dont nous citons R. Lakoff (1973), Leech (1983), Kerbrat-Orecchioni (1992). 240 12. le style de l’accomplissement de l’acte illocutoire : il s’agit de la difference entre annoncer (que p) et confer â quelqu’un (que p) ; une telle difference de style n’implique aucune difference quant au but illocutoire ou au contenu propositionnel. Les deux derniers criteres reposent sur la difference entre verbe illocutoire qui nomme, designe un acte illocutoire et verbe performatif qui, sous certaines conditions, accomplit l’acte de langage ; d’autre part, apparaît la distinction entre verbe illocutoire et/ou verbe performatif et acte de langage, puisque deux actes qui apparemment partagent le meme but et le meme contenu propositionnel peuvent differer par le « style » de leur realisation (dependant â son tour de parametres tels que la relation discursive, la situation d’acte, etc.) Parmi les criteres avances par Searle, certains nous semblent essentiels dans une classification des actes puisqu’ils permettent de constituer des classes disjointes d’actes ; certains autres apparaissent comme secondaires permettant d’introduire au sein des classes ainsi identifiees des sous-categorisations ; certains criteres enfin, peu importants chez Searle, revetent une importance toute particuliere dans notre conception puisqu’ils permettent, comme on le verra, d’apporter des clarifications sur la nature meme de l’acte de discours. La classification de Searle repose fmalement sur le but illocutoire et ses « corollaires » : la direction de l’ajustement mots - monde, Vetat psychologique exprime et le contenu propositionnel; il obtient sur cette base une taxinomie â cinq classes : Types/Criteres But illocutoire Direction de l’ajustement Etat psychologique Contenu propositionnel REPRESENTATIFS l croire P DIRECTIFS i î vouloir A accomplira C PROMISSIFS Pr î avoir 1’ intention L accomplira C EXPRESSIFS E tout etat psychologique propriete de L ou de A DECLARATIFS D n P (ou notent les buts illocutoires, | note la direction de l’ajustement mots - monde et î la direction inverse, C un acte quelconque, L et A le locuteur et l’auditeur.) 241 Remarque. Les quatre criteres relevent de plâns differents : (i) praxeologique : le but illocutoire (ii) semantique : la direction de l’ajustement et l’etat psychologique exprime (que l’on peut assimiler, comme nous l’avons dit, â la modalisation) (iii) syntaxique : la structure de la proposition exprimee, ce qui peut expliquer l’impression de redondance que peut laisser cet ensemble de criteres qui fonctionnent comme un faisceau de proprietes caracterisant les classes d’actes identifies grâce au critere praxeologique. Notons au passage que l’insertion parmi les etats psychologiques de l’intention d’agir (etat caracterisant les promissifs) prete â une confusion terminologique, notamment entre l’intention d’agir commune â tous les actes de discours et une intention specifique d’agir propre â une classe particuliere d’actes et consideree comme etat psychologique. La priorite reservee au but illocutoire - qui est sans doute â l’origine de Ia simplicite apparente de cette classification - temoigne en meme temps d’une evolution de la pensee de Searle vers une conception plus radicalement praxeologique de l’acte de langage. En effet, au debut de son article, Searle prend soin de bien distinguer entre verbes illocutoires et actes illocutoires : «Beaucoup de verbes que nous appelons verbes illocutoires ne sont pas des marqueurs de but illocutoire, mais marquent un autre trăit de l’acte illocutoire » (exemples : « insister », « suggerer », « aviser », « insinuer ») (1969/1972, p. 69) La classification de Searle a ete elle aussi soumise â des critiques plus ou moins justifiees (Katz, 1977 ; Wunderlich, 1980 ; Leech, 1983). D’autres propositions de classification ont ete faites â partir de criteres variables : • les principaux marqueurs grammaticaux, principalement le mode (Wunderlich, 1980). Types d’actes : erothetique, directifs, representatifs, declaratifs. • la structure logico-semantique de la proposition performative (Katz, 1977). Types performatifs : expositifs, permissifs, 242 obligatifs, «requestives» (erothetique et provocatifs), « adviseves» (positifs : conseiller ; negatifs : menace), expressifs et stipulatifs. • le type d’attitude exprimee (Bach et Harnish, 1979). Types d’actes : constatifs (asssertifs, predictifs, retrodictifs, descriptifs, ascriptifs, confirmatifs, concessifs, retractifs, « assentifs », « dissentifs », disputatifs, responsifs, suggestifs, suppositifs), directifs (requete, question, demande, interdiction, permission, conseil), promissifs (promesse, offre), expressifs (« acknowledgments ») (s’excuser, presenter des condoleances, feliciter, remercier, accepter, refuser). • le predicat illocutoire (distinct du verbe performatif, ainsi que des verbes locutoires ou perlocutoires) (Leech, 1983). Types d’actes : asssertifs, directifs, promissifs, rogatifs, expressifs. • 1’intention d’acte (Apostel, 1980), qui determine quatre actions communicatives fondamentales : informer (Inf), ordonner (Ord), demander (Dem), exprimer (Exprim). Remarque. Dans la version d’Apostel, ces quatre types fondamentaux se solidarisent dans toute action communicative qui se presente ainsi comme un faisceau de traits, dont un dominant, assurant la specificite de l’acte. Comme on peut le constater, il existe, malgre la diversite de criteres et les nombreuses questions demeurees sans reponse, certains axes qui permettent de retrouver, dans toutes ces classifications - â des places parfois differentes et sous des designations diverses - certaines classes d’actes : ainsi le REPRESENTATIFS (constatifs, expositifs, informer), les DIRECTIFS, comportant la QUESTION comme sous-type, les EXPRESSIFS. La coi’ncidence de ces trois ou quatre classes avec l’existence dans la plupart des langues naturelles des types de phrase : assertif, interrogatifs, injonctif, exclamatif, ne fait que renforcer l’hypothese qu’il s’agit de quatre classes fondamentales d’actions communicatives. Deux autres classes se retrouvent presque dans toutes les classifications citees : les PROMISSIFS et les DECLARATIFS (stipulatifs). 243 II est ă remarquer egalement que dans toutes ces classifîcations, le critere ultime sera l’intention d’acte, meme s’il n’apparaît pas explicitement formule, comme chez Searle ou chez Apostel : Katz, par exemple, utilise le critere de la structure de la representation semantique d’un enonce, mais cette representation equivaut plutât â la represen- tation semantique de l’acte accompli ; par ailleurs, Katz affirme : « the purposes of illocutionary acts and these alone determine the types of illocutionary acts » (1977, p. 199). Chez Bach et Hamish, exprimer une attitude en enon^ant quelque chose c’est avoir la R-intention (intention reflexive) que l’auditeur utilise l’enonciation d’un locuteur comme raison pour croire que le locuteur a cette attitude (1979, p. 39). Notons d’autre part l’apparition de criteres supplementaires qui introduisent une distinction entre permissifs et obligatifs, entre assertion, prediction, retrodiction, etc., entre avis positif et negatif, etc. Signalons enfin que certains auteurs parlent d’autres types d’actes de langage, comme l’acte depresupposer (Ducrot, 1972). La diversite de points de vue et/ou de criteres reperee dans la conception linguistique au sujet de la classification des actes de langage par types et sous-types n’est pas sans jeter une certaine confusion sur l’identite meme de l’acte de langage. Aussi nous jugeons utile de proposer des clarifications prealables â notre proposition de typologie. 1.4.3.2. Clarifications. a) Si l’on introduit dans la discussion une propriete qui n’a pas ete - â notre connaissance - utilisee dans le domaine, notamment V autonomie de l’acte, il devient possible de reperer comme seul candidat « serieux » au statut A" acte de discours : l’acte illocutoire. D’une part, l’acte locutoire austinien (et les trois actes constitutifs : phonetique, phatique, rhetique) ou l’acte d’enonciation chez Searle ne sauraient etre produits de fapon autonome dans le contexte d’un « emploi serieux » (en termes austiniens) du langage. Pareillement, les « actes » propositionnels : referer et prediquer n’ont pas d’autonomie ; nous avons propose de les considerer comme des operations discursives constitutives de l’acte de discours. 244 D’autre part, sous-entendre, donner â entendre, laisser entendre ou insinuer, faire line allusion sont autant de variantes de realisation indirecte d’un acte de discours produisant un contenu implicite qui est en meme temps le contenu vise par l’intention discursive (pour une conception similaire, cf. Flahault, 1978) Le concept de presupposition, recouvrant des realites differentes, impose quelques precisions. On dit: (i) le contenu pose (explicite) p presuppose le contenu implicite q; (ii) q est la presupposition de p ; (iii) en disant p, le locuteurpresuppose q. Dans les deux premiers emplois, la confusion entre la relation logique de « presupposition » entre deux contenus propositionnels, p et q d’une part et le contenu p en relation de presupposition avec un contenu p d’autre part n’est pas grave. Mais, ainsi defînie, la presupposition n’a pas de râie âjouer dans l’activite langagiere. L’emploi (iii) - par ailleurs utilise souvent dans le sens de « le locuteur suppose q », c’est-â-dire sans qu’aucun rapport logique soit decelable entre le contenu pose et le contenu presuppose - impose la presupposition comme un acte de langage au titre meme d’acte illocutoire ; d’autre part, elle semble partager avec l’insinuation ou l’allusion le statut de « contenu implicite ». Ce serait donc un acte illocutoire qui produit toujours un contenu implicite â statut semantique. La presupposition sera ici traitee comme : (i) un contenu implicite caracterise par un type de relation veri- fonctionnelle avec un autre contenu explicitement produit; (ii) ce contenu est le resultat d’une operation discursive : presupposer, operation constitutive - aux cotes des operations de referer et de prediquer - de l’acte de discours. Cette operation delimite V univers commun de discours, ou la situation d’acte (UJ, cadre de la co-action interpretative. Lorsque ce contenu est egalement le contenu vise par l’intention discursive nous parlerons de realisation indirecte (ou trope illocutoire, selon Kerbrat-Orecchioni, 1994). 245 b) Une approche discursive et/ou textuelle, qui integre l’acte de discours dans une structure discursive et/ou textuelle - monologale ou plurilogale - assigne aux actes des proprietes telles que « la fonction interactive » ou « la fonction illocutoire » (cf. â ce sujet les travaux de l’Ecole de Geneve d’analyse conversationnelle, et en particulier Roulet, 1981 ; Moeschler, 1985). Dans une sequence d’actes produits par un seul et meme locuteur il s’etablit une hierarchie entre un acte directeur et un ou plusieurs actes subordonnes. Des relations diverses s’installent entre les deux niveaux : Moeschler, par exemple, propose les relations de justification, commentaire, consecution, concession, dont certaines figurent â titre d’acte illocutoire (justifier, commenter, etc.) dans diverses classifications citees ci-dessus. Nous pensons, pour notre part, qu’il faut maintenir la distinction entre type A"acte de discours et sa fonction au sein d’une sequence d’actes monologale ou plurilogale. Ainsi, les exemples suivants seront consideres comme etant constitues d’un acte de discours directeur et d’un acte assertif subordonne contractant avec le premier differents types de relation : (1) II a remporte le premier prix ; c "est sa mere qui me l 'a dit. (assertion justificative) (2) L 'accident serait du ă la vitesse excessive ; c 'est ce que soutient la compagnie d ’assurances. (assertion commentaire) (3) II a ete malade, donc/ j'en conclus qu 'il ne pouvait pas etre la la semaine passee. (assertion consecution) (4) Son niveau scolaire a baisse, mais comme c’est un enfant intelligent il parviendra ă surmonter ce moment difficile. (assertion concessive) Dans le cadre d’un discours conversationnel, les interventions successives et altematives des participants s’integrent â des structures de niveau superieur (echanges) grâce aux rapports realises par les « fonctions illocutoires » - inițiative et/ou reactive - de ces interventions. La fonction de reponse par exemple est ainsi une hyperfonction reactive 246 impliquee par les diverses hypofonctions telles accepter/refuser, confirmer/infirmer, nier, denier, dementir, objecter, etc. (5) A. Tu sais ou on peut le joindre? Bl. Oui, il etait tout ă l'heure ă la bibliotheque. (assertion, reponse positive) B2. Non, aucune idee, (assertion, reponse negative) B3. Mais qu 'est-ce que qa peut te faire? (question - replique) (6) A. J’aimerais emporter le livre ă la maison. B. Mais, c ’est interdit. (assertion - objection) Meler des criteres qui agissent â des niveaux differents risque donc de produire des confusions ; risque d’autant plus probable que, en vertu du principe d’economie regissant la structuration du code linguistique, le sens des verbes illocutoires (performatifs ou non) combine des traits semiques referant â ces aspects differents, Ainsi, dans les defmitions suivantes : (7) justifier - 4° Faire admettre ou s’efforcer de faire reconnaître (qqch.) comme juste, legitime, bien fonde. [...] 5° Montrer (qqch.) comme vrai, juste, legitime, reel par des arguments, des preuves. (Petit Robert, s.v. JUSTIFIER) (8) commenter - 3° Faire des remarques, des observations sur (des faits) pour expliquer, exposer. (Petit Robert. s.v. COMMENTER) la reference â l’acte de discours - l’assertion, par exemple - est le plus souvent implicitee (soit par un indicateur perlocutoire («faire admettre», «faire reconnaître», soit par un verbe illocutoire hyponyme : (« faire des remarques », « faire des observations). c) II nous semble diffîcile d’accepter l’existence d’actes tels que : argumenter, narrer, decrire. II s’agit dans ce cas de structures discursives et/ou textuelles complexes, et jamais d’actes isoles (cf. egalement â ce sujet Adam, 1992) d) Certains actes (ou sequences d’actes) ont une fonction metadiscursive, notamment celle de creer les conditions d’un bon 247 deroulement du discours et de l’echange langagier. Ainsi, des actes comme s'adresser et/ou interpeler (yocatif chez Wunderlich, 1980), saluer, presenter un participant â un autre, etc., sont des actes phatiques, visant l’etablissement d’une/de la relation interlocutive ; des actes explicatifs favorisent une bonne comprehension (ainsi les actes domines par la fonction metalinguistique chez Jakobson), alors que d’autres actes contribuent â la structuration du discours (par exemple, les actes preparatoires du type: Je commence par, Je voulais te dire qqch., Voici la conclusion, etc.), consideres par les tenants de l’analyse conversationnelle comme des actes subordonnes au sein d’une intervention. Tous ces actes, s’ils ne contribuent pas â la progression semantique du processus discursif, ont pour fonction de construire un cadre favorisant cette progression. Ceci explique leur position extra discursive ou parenthetique. e) Certains actes, comme le remarquait Searle, ne sont reussis que dans le contexte d’une institution seconde par rapport â l’institution linguistique et langagiere. Cette propriete caracterise les declaratifs parmi lesquels viennent se ranger les premiers exemples de performatifs austiniens. Cette propriete, comme la precedente, permet â notre avis la constitution d’une classe d’actes de nature fondamentalement differente des actes illocutoires/actes de discours discutes dans la litterature. Ils mettent en cause non pas une propriete specifique, au meme titre que les autres proprietes prises en compte (intention, relation semantique entre les mots et la realite, etc.), mais un type de fonctionnement specifique qui sera analyse au paragraphe suivant. 1.4.3.3. Les pratiques discursives. Dans sa critique de l’illocutoire austinien, Strawson (1964/1971) souligne l’erreur commise par Austin lorsqu’il attribuait la propriete d’actes conventionnels â tous les actes de langage. Or, affirme Strawson, si la performance de certains actes implique effectivement une procedure conventionnelle supplementaire par rapport aux conventions linguistiques mises en oeuvre par Ia production de l’enonce, ceci caracterise une classe particuliere d’actes (dont font pârtie les exemples cites par Austin): beaucoup d’autres actes, et en particulier 248 les actes qui utilisent un verbe performatif explicite, ne doivent en rien leur realisation â des conventions autres que linguistiques. Cette distinction sera pressentie et/ou discutee par de nombreux auteurs, meme si la discussion ne sera pas, â notre avis, poussee jusqu’â ses consequences ultimes. Remarquons que la plupart des auteurs, surtout dans les taxinomies et classifications d’actes, reconnaissent l’existence d’une classe particuliere d’actes, en vertu de l’existence d’une institution secondaire qui en assure la realisation177. Sur cette meme base, Leech (1981) elimine ce type d’actes de la discussion. Les positions extremes dans cette question nous semblent etre defendues par Bourdieu (1982), qui refuse au langage toute force d’agir attribuable, selon Bourdieu, aux seules institutions sociales, celles qui assurent le fonctionnement du langage: chercher dans le langage le principe de la logique et de l’efficacite du langage d’institution, c’est oublier que l’autorite advient au langage du dehors, comme le rappelle concretement le skeptron que l’on tend chez Homere â l’orateur qui va prendre la parole. Cette anteriorite, le langage tout au plus la represente... (Bourdieu, 1982 : 103) La position opposee est defendue par Berrendonner (1981) qui refuse d’accepter la distinction entre « performatifs qui requierent un cadre rituel ou institutionnel precis et performatifs offerts â tous par la langue », invoquant la nature identique du mecanisme regissant d’une part la substitution du dire et du dit et, respectivement, la A- substitution du faire au dire « que l’on observe dans des cadres institutionnels definis » . Assimiler tout acte de langage â un acte institutionnel ou au contraire aux actes regis par les seuls mecanismes linguistiques, c’est pecher par une egale attitude reductionniste : d’une part, le langage n’agit pas uniquement dans le cadre d’une lutte pour l’autorite 177 Searle, 1975/1977, 1983 : actes declaratifs ; Wunderlich, 1980 : actes de langage institutionnels, opposes aux actes primaires ; Recanati, 1981: actes qui denotent l’accomplissement d’un acte sanctionne par l’institution sociale ; S.Davis (1979, p.233), Levinson (1983, p.2305^.). 249 symbolique, l’usage de Ia langue n’est pas toujours principalement symbole du groupe qui la parle et l’efficacite symbolique n’est pas toujours et uniquement assuree par les conditions du «marche»linguistique. D’autre part, on ne saurait nier le fonctionnement different de ces actes realises dans le contexte d’une institution seconde. Berrendonner lui-meme est oblige de reconnaître la particularite des enonces A-substitutifs (equivalents â un acte) comme des enonces produits par un locuteur « investi de ce pouvoir par le rapport institutionnel qui le lie â son interlocuteur » et dont la validation est du type ON-verite, qui correspond â une instance institutionnelle (par exemple, l’opinion publique). En second lieu, certains auteurs parlent d’usages metalinguistiques du langage. Levinson (1983, p. 228) par exemple remarquait: it is tacitly assumed that we are not considering metalinguistic uses of sentences, as in linguistic examples, or other special uses in which sentences do not carry their full pragmatic force or interpretation, as in novels, plays, and nursery rhymes. Nous pensons que les deux types d’usages : institutionnel et metalinguistique correspondent â ce qu’Austin etiquetait comme emplois «non serieux » du langage, par opposition aux emplois « serieux ». Un emploi serieux du langage exige que plusieurs conditions soient satisfaites, et notamment: (i) que le locuteur ait effectivement l’intention de signifier ce que l’enonce produit signifie ; (ii) que le locuteur et l’auditeur croient effectivement que les presupposes de l’enonce sont vrais ; (iii) que le locuteur et l’auditeur soient capables d’effectuer les inferences correctes et/ou adequates par rapport â la situation d’acte. Ces conditions, qui impliquent la rationalite de l’agent discursif, reposent donc sur une relation vericonditionnelle entre les mots et les choses, relation qui caracterise principalement une utilisation â visee 250 informative du langage. Ainsi l’emploi mensonger (le mensonge) represente l’echec du locuteur qui, violant insidieusement la condition de verite, se laisse decouvrir. Le code linguistique peut etre utilise toutefois â des fins autres qu’informatives. Ainsi par exemple, la conversation, le bavardage, la jactance sont caracterises generalement comme des utilisations du langage â des fins purement sociales. Ecoutons Flahault (1978, p. 35) : l’echange de formules de politesse [...] et â fonction de bavardage qui peut les prolonger, tout cela n’a rien â voir avec le contact materiei [...] mais avec une serie d’actes de parole qui permettent â ceux qui les accomplissent de ne plus etre exactement les memes l’un pour l’autre que ce qu’ils etaient avant de s’etre parle. De meme Leech (1983, p. 39), commentant un enonce tel que : Cold here isn’t it?, estime qu’il s’agit d’une « piece of chit-chat, of phatic communion, without ulterior goal except the maintenance of social relations » . Dans le cas de ces emplois, il est evident que la relation de veridicite, si elle n’est pas suspendue, comme dans le cas du discours fictionnel, n’est plus pertinente pour un fonctionnement approprie aux buts langagiers. Tous ces exemples seraient donc des emplois « non serieux » du langage. Ces constatations nous permettent d’avancer l’hypothese de l’existence de fonctionnements discursifs de nature differente que nous allons appeler pratiques discursives. En effet, l’acte de langage est un acte semiotique par lequel l’individu humain : (i) construit le domaine de son action comme un monde ftobjets - referents et, (ii) coopere avec les autres individus de la communaute afin de modifier ce domaine d’action grâce aux conventions qui regissent le fonctionnement du systeme de signes qu’est une langue naturelle. Dans cette perspective, les «performatifs» austiniens (ou declaratifs chez Searle, cf. suprd) ne sauraient etre places sur le meme plan que les autres actes illocutoires, tels qu’asserter, ordonner, 251 avertir, etc. Dans l’execution d’un acte declaratif un enonce-type est produit, mais ce qui rend cet enonce efficace ce n’est pas l’institution linguistique, mais une institution seconde avec ses propres regles de fonctionnement. Par rapport au fonctionnement du discours ordinaire, un second niveau de conventions s’avere necessaire. Cette situation n’est pas sans rappeler la theorie hjelmslevienne du metalangage et des langues de connotation. Nous proposons de nommer pratique semiotique toute utilisation par un agent d’un systeme de signes. Ce concept refere donc â une forme de mise en oeuvre de la relation semiotique, â un type de semiosis. Les distinctions que Hjelmslev (1943/1968, chap. 22) etablit entre divers types de semiotiques nous semblent eclairantes. Un agent discursif peut utiliser un systeme de signes dont aucun des plâns (expression ou contenu) n’est constitue â son tour d’un autre systeme de signes : il s’en sert dans l’accomplissement d’un acte de discours qui vise la satisfaction de son intention discursive. On reservera â ce type d’activite semiotique le terme de discours (DO). L’agent locuteur peut exercer sa competence semiotique sur un code de signes deja cree (conformement aux conventions constitutives mises en acte par le discours) qu’il utilise afin de referer â ce systeme meme, qu’il prend pour systeme d’objets-signes (chez Hjelmslev : semiotique objet) ; on parlera d’un metadiscours (MD) dans le cas d’une telle pratique semiotique qui prend pour objet un systeme de signes et/ou le discours qui l’utilise. L’agent locuteur peut egalement utiliser le code de signes afin de realiser des intentions d’acte autres que les intentions discursives : il fera appel aux conventions d’une institution seconde, differente de l’institution linguistique. On parlera dans ce cas de discours institutif (DI) correlatif de la semiotique connotative chez Hjelmslev178. On obtient la configuration suivante : 178 Nous proposons ce terme afin d’en eviter un qui nous semble par trop rebarbatif, tel « discours de connotation ». 252 DO0 MD! Dl! MD2,„ DI2/h MD2c DI2c ou les indices 0, 1, 2,...specifient le niveau d’incidence de la semiosis, et 1, m, c renvoient respectivement â DO, MD, DI afin de specifier la nature du discours de niveau immediatement inferieur par rapport auquel se constitue un metadiscours ou un discours institutif. Ainsi, on peut avoir â la position MD june « grammaire » face â laquelle un discours du type « epistemologie de la linguistique » jouerait le râie de MD2„„ ou encore, face au discours litteraire reperable au niveau DItun discours critique se constitue en metadiscours (MD2c), alors qu’un discours que Genette (1982) appellerait «texte de second degre » serait un discours institutif (DI2c). Theoriquement, les niveaux peuvent se multiplier. Nous soutenons qu’on ne saurait integrer â une meme typologie des actes qui relevent de pratiques discursives differentes. Avânt donc de discuter la typologie des actes discursifs quelques precisions seront faites sur les actes/discours institutifs, ainsi que sur les metadiscours. 1.4.3.4. Les actes / discours institutifs. Dans la discussion precedente nous avons pu constater : • l’echec de la premiere these austinienne (l’opposition constatif vs performatif) du â l’appartenance des actes compares â des types de pratiques discursives differents ; • l’existence d’emplois dits « non serieux », « parasitaires » du langage qu’Austin identifie (1962/1970, p. 55, p. 165 et passim) afin de preserver la theorie des actes de langage d’une extension - selon lui, indue - â de tels emplois ; • l’apparition dans presque toutes les typologies d’actes existantes d’une classe (declaratifs, stipulatifs, etc.) qui recoupe la classe des «performatifs» austiniens et dont 253 l’execution a lieu dans un cadre prevu par une institution autre que l’institution du langage179. Ces premisses permettent d’isoler une classe de pratiques semiotiques que nous avons designee par le terme de discours institutifsx%Q. Ces discours sont caracterises par trois proprietes qui les distinguent nettement de l’exercice langagier courant: 1. ces discours impliquent l’existence d’une institution seconde autre que l’institution langagiere ; 2. ces discours instituent un nouvel etat du monde ; 3. ces discours sont produits par une configuration actantielle specifique, â structure ternaire. Le premier trăit definitoire des discours institutifs concerne leur statut de pratique semiotique seconde : la mise en oeuvre d’un systeme linguistique ne produit pas, dans ce cas, des signes qui inserent le sujet dans un rapport cognitif - et vericonditionnel - â la realite, ce qui est le propre du discours quotidien, mais se sert du systeme linguistique conformement aux regles prevues par une institution donnee, produisant ainsi de nouveaux signes. On peut representer, en simplifiant, ce phenomene semiotique par le schema : 179 Une institution est constituee des individus et de 1’ensemble de materiaux, moyens et autres objets auxiliaires dont se servent les individus qui cooperent au sein du collectif, ainsi que les rapports juridiques ou autres reglements qui regissent cette cooperation (cf. Kotarbinski, 1973/1976, p. 142-143). Berrendonner (1981, p. 29) propose une defmition plus proche de l’institution langagiere : «toute forme de pouvoir exerce par la communaute linguistique sur 1’activite langagiere et, plus largement, sur l’acte semiotique de ses membres, et determinant respectivement la forme de leurs enonciations » ; Searle (1995/2000, p. 97) envisage l’institution comme l’ensemble de regles constitutives (pratiques, procedures) de forme « X compte pour Y dans le contexte C ». 180 Nous reprenons les theses que nous avons exposees in Măgureanu (1981, 1983, 1986c, 1993) 254 Signifîe2 Signifiej = Signifiant2 Referent2 / \ (institution extra-langagiere) Z__A [2] Signifiantj Referent! (institution langagiere) L’utilisation du systeme linguistique dans le cas des discours institutifs exige la connaissance non seulement des regles d’une langue naturelle et des conventions d’usage inscrites dans l’institution langagiere, mais aussi d’un ensemble second de conventions â caractere prescriptif se constituant en reglement institutionnel. Ainsi, la signification d’un enonce comme Bonjour Philippine! echappe â celui qui ignore l’existence du jeu dont une regie prevoit que les joueurs utilisent cette phrase (executant apparemment un acte de salut) â un certain moment du jeu. Pareillement, l’enonce Je declare la seance ouverte serait un non sens hors la procedure rituelle des reunions politiques ou scientifiques, par exemple. Un premier effet de cette caracteristique est la suspension de la regie de veridiction constitutive du discours quotidien181. II s’ensuit une possible de-semantisation des enonces qui, loin de nuire â leur efficacite, semble en etre au contraire une condition. L’efficacite des pratiques cultuelles, par exemple, a ete en pârtie assuree par l’emploi d’une langue incomprehensible en large pârtie pour les fideles, qu’il s’agisse des formules oraculaires, du latin ou du slavon ecclesiastique. Dans une tout autre zone d’experience, la « langue de bois » est largement caracterisee par ce discours non referentiel â caractere rituel, comme le souligne Fran^oise Thom (1987/1993). Les formules ludiques sont tout aussi 181 Cette regie apparaît dans la classification des actes illocutoires proposee par Searle sous la forme d’un critere taxinomique, â savoir la direction de l’ajustement des mots et de la realite. 255 vides de sens : souvenons-nous des comptines enfantines, ou du Pouce! (roum. Piua!). « Parler pour ne rien dire » est egalement, pour Berrendonner (1981, p. 223) une caracteristique des emplois ironiques d’une langue qui devient ainsi «un instrument indispensable [...] â la vie en societe ». Pour beaucoup d’auteurs, la suspension de la relation veridictoire peut etre identifiee au niveau de la conversation con^ue comme un type particulier d’interaction verbale ; en effet, la conversation n’a pas pour but la modification de la relation epistemique etablie entre les participants, mais l’etablissement ou le maintien des rapports sociaux182. Une seconde propriete des discours / actes institutifs est leur capacite â instituer un nouvel etat du monde™3, Ces discours ne viennent pas modifier, influencer en quoi que ce soit un univers de croyance (la situation inițiale d’acte) ; en effet, le locuteur qui produit un tel acte / discours ne s’inscrit pas dans un rapport referentiel au monde reel. L’accomplissement correct de ces actes / discours est redevable - de par le fonctionnement institutionnel - 182 Plusieurs auteurs ont souligne cette visee non communicative de l’interaction conversationnelle : pour Flahault (1978, p. 93-94) «les conversations se deroulent, precisement, pour le plaisir», et, dans le meme sens, Jacques (1979, p. 41) estime que «l’activite symbolique de la conversation a pour fonction de reconstituer sans cesse la realite du moi, de l’offrir aux autres pour ratification, d’accepter ou de rejeter les offres que font les autres de leur image d’eux-memes ». Une description tres juste de ce phenomene est due â Barthes (1975/1990, p. 152) : « au restaurant, ă la table voisine, deux individus conversent [...] tout ce qu’ils disent [...] tout est absolument conforme, prevu : pas une faille dans le systeme endoxal. Accord de cette voix qui ne choisit personne et de la Doxa inexorable : c’est la jactance ». 183 Citons â l’appui de notre these S. Davis (1979, p. 233) qui estime egalement que dans le cas d’actes tels que voter une motion, juger qqn. coupable ou innocent, etc., l’acte illocutoire produit des faits institutionnels ; Searle (1975/1976, p. 37) affirme : « one brings a state of affairs into existence by declaring it to exist » , et dans Searle (1983, p. 171) : « the illocutionnary point of the declarations is to bring about some new state of affairs ». 256 â la capacite de produire un etat du monde appartenant â un monde possible dont l’accessibilite au monde reel est elle-meme regie par des regles : ainsi, declarer la seance ouverte, congedier un employe, leguer ă qqn. qqch., semblent etre des actes qui s’inscrivent dans le monde reel, mais en fait le succes de ces actes ou de ces discours depend de la satisfaction d’un ensemble de conditions qui ne relevent pas du monde « ordinaire » - ou, plus exactement, qui ne sont pas seulement imposees par le seul fonctionnement du langage naturel : d’une part le locuteur n’est pas au moment de la performance d’un tel type d’acte un individu quelconque, mais l’executeur d’une fonction reconnue socialement (president de seance, directeur, legataire, etc.) ; â son tour, le recepteur est egalement inscrit dans cette relation sociale reconnue : les participants â une seance, quelle qu’elle soit, sont habilites prealablement â y participer (un badge attestant souvent cette qualite), 1’employe congedie sera dorenavant inscrit dans une autre categorie socio-professionnelle, le legataire a des droits sur le legs dans les conditions prevues par la loi. Cette capacite qu’ont certains actes / discours â instituer un nouvel etat du monde semble etre partagee par les actes denominatifs (nommer, defmir, baptiser, etc.) qui instituent â la fois le nom et l’objet integre par cet acte â un rapport cognitif et/ou communicatif. Le discours fictionnel est egalement concerne par le type de fonctionnement du rapport «mots - choses» : pour plusieurs auteurs184, il repose sur une suspension tacite mais consensuelle de la relation de veridiction qui est ainsi remplacee par une regie semantique prevue par l’institution de la fiction (dans le cas de la fiction litteraire, par exemple, determinee egalement par les regles du genre litteraire). Selon des chercheurs avises en matiere de pratiques rituelles, le discours rituel institue une relation entre deux situations ressenties comme incompatibles, le profane et le sacre ; elles sont rendues compatibles par l’institution - au moyen du discours verbal et non verbal - d’une relation conventionnelle de ressemblance. II en . 184 Par exemple Searle (1975/1981), Măgureanu (1981, 1983), Toma (1982). 257 resulte, dans la structure textuelle, le caractere egalement conventionnel de la « comparaison » (pârtie fonctionnelle dans un discours de rite magique)185. Les deux proprietes mentionnees en expliquent d’autres : (i) instituant un nouvel etat du monde, et ceci sans egard â la modification des univers individuels de discours, les discours rituels reposent sur un fonctionnement decontextualise de la langue : â l’encontre du fonctionnement quotidien, hautement dependant de la situation communicative (le sens et la signification sont fonction de l’identite des participants, ainsi que des circonstances spatio- temporelles de l’enonciation), la signification produite par le discours institutif ne varie pas en rapport avec le hic et nune enonciatifs ; un espace et un temps sont d’ailleurs institues par le discours, l’espace et le temps sacres, ludique, fictionnel litteraire, etc. ; (ii) il s’ensuit la repetabilite sans modification de ces discours, leur caractere stereotype186. Remarque. Cette demiere affirmation appelle des precisions pour le cas du discours litteraire ; nous estimons toutefois que, meme si des corrections sont possible et meme necessaires, la propriete generale est encore valide pour le discours litteraire, et nous citons â l’appui une reformulation de la these de 1’ « opera aperta» , these qui semble contredire en tous points notre hypothese : « L’oeuvre d’art est un texte qui est adapte par ses destinataires, de sorte qu’elle satisfasse les divers types d’actes communicatifs dans les diverses circonstances historiques et psychologiques, sans pour autant perdre de vue la regie idiolectale qui la regit» (Eco, 1975/1982, p. 349 ; nous traduisons et soulignons). La citation contient un terme ele - la regie, qui suggere que ce qui est institue par cette categorie de discours â/au travers et au-delâ des textes, c’est des codes (de 185 Cf. Todorov (1977) â qui nous empruntons cet exemple de « comparaison » conventionnelle (arbitraire) : Calme ta douleur, comme Judas changea de couleur ă l’entree du jardin des Olives. 186 Sur ces proprietes du discours rituel cf. Micelli (1972) 258 comportement social ou esthetique, ou encore ludique, etc.) ; autrement dit, l’institution meme, qui, comme on le soutiendra ci-dessous, fonctionne comme un agent, induisant â son tour des comportements. La troisieme propriete des discours institutifs est la presence necessaire d’une tierce instance discursive : la configuration ternaire de roles discursifs semble etre une condition du bon fonctionnement de ce type de discours. Dans le cas des discours ludiques (mots d’esprit, allusion, etc.) la presence d’un troisieme individu est indispensable, selon divers auteurs, â la realisation de l’effet comique. Ainsi, selon Sacha Guitry (apud Kerbrat-Orecchioni, 1990, p. 89) : «Pour qu’une plaisanterie humoristique ait son plein rendement, il convient d’etre trois : celui qui la profere, celui qui la comprend [...] et celui â qui elle echappe - le plaisir de celui qui la goute etant decuple par l’incomprehension de la tierce personne». Kerbrat-Orecchioni (1982) explique le pseudo- contresens â fonction ludique par une sorte de dedoublement enonciatif, le sujet se divisant et produisant un sujet reel qui se dissimule ludiquement derriere un sujet fictif. Les actes / discours declaratifs, qui impliquent l’existence d’institutions socio-culturelles et/ou politiques telles que : pari, testament, mariage, seance publique, guerre, institution judiciaire, etc., exigent egalement pour qu’ils soient reussis la presence d’un tiers. Flahault (1978, p. 57^.) observait qu’ «un acte illocutoire explicite [equivalant dans sa conception de l’acte declaratif] est toujours, virtuellement ou reellement, engagement devant un tiers (donc aussi â l’egard de ce tiers) et non pas seulement â l’egard de la personne â qui s’adresse directement 1’engagement ». La troisieme place de la configuration de roles discursifs peut etre occupee par une personne reelle, par une instance sociale autorisee ou meme par la simple reference aux «autres» (interiorisee sous la forme du « qu’en dira-t-on? »). Ainsi, le serment mentionne normalement dans son usage rituel le nom de la tierce personne ou autorite dont la caution est ainsi engagee (Flahault, 259 1978, p. 58-59)187 . On retrouve chez Bakhtine (in Todorov, 1981, p. 170) une formulation explicite de la necessite de la presence du Tiers dans le discours : Chaque enonce a toujours un destinataire [...] dont l’auteur de l’oeuvre verbale cherche et anticipe la comprehension repondante. C’est le « second » [...]. Mais, en plus de ce destinataire (du « second » ), l’auteur de l’enonce imagine, en en etant plus ou moins conscient, un surdestinataire superieur, (un tiers), dont la comprehension repondante absolument juste est projetee soit dans le lointain metaphysique, soit dans un temps historique eloigne. (Un destinataire de secours.) A des epoques differentes et dans des conceptions du monde differentes, ce surdestinataire et sa comprehension repondante (idealement juste) reqoivent differentes expressions ideologiqtles concretes (Dieu, la verite absolue, le jugement de la conscience humaine imparțiale, le peuple, le jugement de l’histoire, la Science, etc.). [...] Chaque dialogue se passe, en quelque sorte, sur le fond de la comprehension repondante d’un tiers invisible et present, se tenant au-dessus de tous les participants du dialogue [...] Le tiers en question n’est nullement une entite mystique ou metaphysique [...] ; c’est un moment constitutif de l’enonce entier, que peut decouvrir en lui une analyse approfondie. Cela decoule de la nature du discours, qui veut toujours etre entendu, qui cherche toujours une comprehension repondante, et ne s’arrete pas ă la comprehension la plus proche, mais se fraie un chemin de plus en plus loin (sans limites). Si nous n’avons pas hesite â citer longuement Bakhtine c’est parce que, d’une part, nous y decouvrons la meme fonction constitutive du tiers, mais aussi parce que, d’autre part, on peut y lire une possible extension de la configuration temaire â tous les actes/discours, meme si Bakhtine propose cette discussion â propos du discours litteraire188. Dans la plupart des cas, la tierce instance discursive joue un role ftinstance mediatrice, agissant conformement aux conventions de l’institution dont elle est le delegue â la parole. Le discours rituel, par 187 Au sujet d’actes ou discours du type engagement, cf. Măgureanu, 1993. 188 Une etude des rapports entre actes de discours (ordinaire) et actes institutifs nous semble particulierement interessante. Nous en avons donne quelques indices ci-dessus. 260 exemple, est produit par une configuration actantielle que l’on peut representer par le schema suivant: — MEDIATEUR REEL (institution) MEDIATEUR \ CONVENTIONNEL-*---------EMETTEUR-----------(RECEPTEUR) [3] relation dyadique representee ordre sacre ordre profane Le destinateur/destinataire (officiant), detenteur du savoir faire est institutionnellement investi d’un pouvoir : ce pouvoir est manifestement accru par l’invocation d’un destinateur/destinataire transcendant et d’autre part la reduction des autres participants (Recepteur) â l’etat d’objet passif dont le vouloir et le pouvoir sont institutionnellement delegues au mediateur institutionnel. La configuration temaire semble ainsi tendre â un aplatissement vers la gauche, ou la relation officiant - Transcendance modelise la relation du Recepteur â cette meme Transcendance, relation rendue incompatible par l’appartenance â des ordres differents. C’est grâce â l’integration du Recepteur â l’institution, apres un prealable « sacrifice » de son individualite, que devient accessible, pour un membre de la communaute exer^ant une pratique rituelle, d’acceder - par tiers interpose - â la transcendance189. Le discours litteraire met en place un mediateur textuel (donc tout aussi conventionnel), qui est le Narrateur ou l’Instance lyrique, explicite ou implicite : __ MEDIATEUR REEL (institution) MEDIATEUR X / \ CONVENTIONNEL -<--------(EMETTEUR)^-----------^RECEPTEUR auteur 189 En parlant de la «parole autoritaire», Bakhtine (1975/1982, p.205) affirme : « La parole autoritaire demande â etre reconnue et assimilee par nous, elle s’impose â nous, quel que soit l’intensite de la visee persuasive nous concemant; nous la decouvrons deja associee â l’autorite » (nous traduisons). 261 Le destinateur reel (l’auteur), reduit â un Nom propre (forme vide) se projette dans un destinateur textuel conformement â un code de conventions esthetiques et/ou litteraires dont il peut par ailleurs construire lui-meme les regles. Le recepteur est ainsi «contraint» â un dialogue avec l’institution dont il doit, afin de jouer correctement son role, re-construire les regles ; pour ce faire, il se sert comme adjuvant du mediateur textuel. Le triangle actantiel penche dans le cas du discours litteraire du cote du Recepteur, qu’une identification correcte des prescriptions institutionnelles rend apte â devenir â son tour producteur190. Remarque. II est probable qu’une semantisation des roles discursifs (le recepteur, par exemple, peut occuper la position d’allocutaire ou de delocutaire, il peut etre beneficiaire ou prejudicie) offrira un critere de classification des discours institutifs. Les considerations generales que nous avons presentees au sujet de la configuration de roles discursifs dans le cas des actes/discours institutifs conduisent vers l’hypothese d’une difference de nature egalement au niveau des participants ă l’acte et des rapports qui les structurent dans une configuration de râles : â l’encontre du discours ordinaire, une pratique semiotique seconde (discours institutifs notamment) n’est pas accomplie par un agent (discursif) intrasubjectif. Les trois instances cooperent â la realisation de l’acte/ du discours â titre d’instances individualisees et distinctes : ainsi, dans certains cas, le destinateur et/ou le destinataire peuvent etre un agent impersonnel ou personnel collectif ou individuel (cf. supra, l.L). Un acte/discours institutif est donc realise grâce â la cooperation de trois agents se rapportant dans une relation inter-subjective l’un â l’autre. 190 Cette description du comportement esthetique vis-â-vis du comportement rituel converge avec les remarques de Greimas (1976) sur le passage de l’ethno-semiotique (societes archaiques) â la societe semiotique (societes industrielles) comme passage de la production (pole emetteur) vers la consommation (pole recepteur). 262 Des trois conditions qui defmissent un agent intrasubjectif seule la condition (2) - unicite de l’intention dominante - reste valable ; les individus participant â un acte / discours institutif ne sont pas censes accomplir tous une seule et meme action (plus precisement jouer un role dans l’accomplissement de cette action), de meme que l’action n’echoue pas si un participant n’accomplit pas son role : le support institutionnel pouvant suppleer â la defaillance individuelle d’un participant. Autrement dit, c’est l’institution meme qui agit par le biais de ces agents « statutaires ». Sous-classes d’actes institutifs. Nous avons avance ci-dessus l’hypothese d’une correspondance possible entre des (classes d’) actes accomplis en situation « ordinaire » de discours et respectivement en situation « institutionnelle», autrement dit entre actes relevant de pratiques semiotiques differentes. Cette hypothese semble confortee par les hesitations que l’on peut deceler dans l’analyse de la taxinomie searlienne : les cas d’actes difficilement integrables â une classe ou â une autre ne sont pas rares, ce qui oblige â creer des sous-classes ad hoc. Apparaît, par exemple, la classe des declaratifs representatifs, qui combinerait les proprietes des declaratifs et des representatifs. Ainsi, les decisions d’un arbitre {Elimine!, Out!) ou d’un jury {Vous etes coupable!) auraient, comme les actes representatifs, la propriete de produire des enonces vrais ou faux (Searle, 1979/1982, p. 59)191. Or, il semble evident qu’un arbitre ou un juge - locuteurs investis d’une fonction sociale - prononcent des «verdicts » en conformite avec un ensemble de conventions (reglement du jeu sportif, code de lois) qui en assurent la correction, et non la verite : un arbitre ou un juge peuvent se tromper, etre dans l’erreur (« erreur judiciaire »), mais non pas mentir. L’erreur est due â une mauvaise 191 C’est surtout l’inclusion par Searle dans la classe des declaratifs de tous les enonces performatifs (cf. supra, 1.4.1) qui nous semble avoir pour consequence, peut-etre non envisagee par Searle, une sorte de dedoublement des actes illocutoires non marques par un performatif par des enonce performatifs qui realisent donc les actes declaratifs correlatifs ; et ceci confirmerait notre hypothese. 263 interpretation involontaire d’une regie procedurale, alors que le mensonge est une violation intentionnelle de la regie de veridiction. Remarquons toutefois que la classe des declaratifs reqoit chez Searle une description proche de celle que nous avons assignee aux actes institutifs : production d’un nouvel etat de faits (symbolise par la double orientation de la direction de l’ajustement entre les mots et les choses), la presence d’une institution qui assure le maintien de ce nouvel etat de faits (institution du mariage, de la guerre, etc.) et meme l’implication d’une tierce instance actantielle : la communication incombe â un locuteur delegue investi par la communaute de l’execution du role discursif. Un exemple clair de correspondance entre representatifs et certains institutifs est le discours du temoin devant la cour de justice (le «temoignage »), discours constitue d’une sequence d’assertions dont la verite (regie constitutive preliminaire de l’assertion) est certifiee par les conventions de l’institution juridique (le temoin « prete serment ») qui prevoient egalement les sanctions en cas de non observation des regles. Dans la classe des actes directifs, on decouvre des actes tels que defier qqn./mettre qqn. au defi (angl. dare, defy, challenge), parier, etc., que Searle decrit - au meme titre que les autres directifs - comme une tentative du locuteur de faire en sorte que l’auditeur fasse quelque chose ; or, un defi ne vise pas â faire faire â qqn. quelque chose, mais â instituer un etat du monde different, dans lequel l’acte-objet du defi ne vise pas â modifier quoi que ce soit, mais â prouver que son auteur en est capable192 : il s’agit donc d’une situation d’acte caracterisant les pratiques semiotiques ludiques, apparentee â celle instituee par les joutes des toumois ou, surtout, par les joutes oratoires imposees par les institutions du toumoi ou, respectivement, de la scolastique. II est peut-etre encore plus interessant de citer Katz qui decouvre des parallelismes de loin moins evidents, par exemple pour l’intention discursive « demander de ne pas faire » : 192 Katz (1977, p. 209) decrit les provocatifs (sous-type de requete} comme une demande adressee ă qqn. d’essayer de faire qqch. afin de prouver qu’il peut le faire. 264 ’Forbid’ means, roughly, ‘order not to’. ‘Prohibit’ seems to differ only on that it involves a notion of instituțional authority with jurisdiction over the class of acts in question. (Katz, 1977, p. 216) A son tour, Tasmowsky-De Ryck, dans une etude consacree â la phrase imperative et aux verbes performatifs susceptibles de realiser des actes directifs, affirme â propos du verbe habiliter : il faut sans doute le rapprocher de arreter, decider de et decreter, qui sont â part, et les classer tous les quatre dans la serie des performatifs qui, enonces dans des circonstances appropriees, entraînent automatiquement l’etat de choses decrit dans la subordonnee, comme baptiser, nommer, etc. (Tasmowsky-De Ryck, 1980, p. 622) Dans la classe des actes promissifs on decouvre des exemples tels que : (9) I pledge allegiance to the flag (Je jure obeissance au drapeau) (10) I vow to get revenge (Je fais voeu/Je jure d’obtenir vengeance) qui semblent differents d’un acte comme la promesse par leur caractere solennel (institutionnel) : ces actes font pârtie d’un rituel et le serment suppose un engagement du locuteur devant une tierce instance (symbolisee par le drapeau, la Bible, la croix, etc.) que le locuteur « prend â temoin » pour garantir la fidelite â son serment. Cette tierce instance represente en fait une institution (nation, institution de l’Eglise, parti, ou toute autre communaute de pairs). II est â remarquer que la correspondance acte institutif - acte de discours peut se manifester par 1’emploi du meme performatif. Comparons l’acte rituel de la prononciation des voeux au sein de l’institution monacale ou plus largement de l’institution religieuse et un acte promissif realise par un enonce comme : (11) Je fais voeu de ne pas bouger avant la fin de ce travail. (LEXIS, s.v. voeu) ou l’expression performative faire voeu fonctionne comme un intensif du performatif promettre. 265 Pareillement, notons l’emploi frequent du performatif institutif jurer comme modalisateur epistemique dans des enonces produits par un acte de discours representatif: (12) Je jure qu 'il etait lă tout ă l’heure (I). La classe des expressifs est illustree par des actes tels que remercier, feliciter, s 'excuser, faire des condoleances, souhaiter la bienvenue, etc., actes classes par Austin comme des comportatifs. II nous semble evident que ces actes ont le caractere d’un rituel social : leur but est de creer des rapports sociaux et/ou interpersonnels equilibres qui rendent possibles et/ou favorisent l’instauration de rapports discursifs « acceptables ». Ces actes sont regis par le code de la politesse, que beaucoup d’auteurs decrivent comme un Principe (conversationnel), complementaire (Leech, 1983) ou hierarchiquement superieur (R.Lakoff, 1973) au Principe de Cooperation qui, selon Grice (1967/1975) regit l’institution conversationnelle. Peu etudies jusqu’â present, ces actes semblent echapper â la description «classique» des actes de langage moyennant les quatre regles constitutives proposees par Searle. Considerons les exemples suivants : (13) A accomplit un service en faveur de B B. Je te remercie de ton aide. A. Pas de quoi/De rien/ Volontiers. (14) A marche sur les pieds de A A. Excusez-moi. B. Pas de quoi. L’acte de remercier ou l’acte de s’excuser impliquent que le locuteur eprouve un certain sentiment (gratitude, regret) envers l’interlocuteur. Mais l’acte de s’excuser par exemple ne saurait etre un acte ftexprimer son regret. Les exemples suivants, extraits du LEXIS (s.v. excuser) : (15) a. J’aurais bien voulu m ’expliquer, m ’excuser. b. Excusez-moi. c. Je m ’excuse de vous contredire. 266 correspondent â des actes definis dans le LEXIS comme : (16) a. « donner des raisons pour se disculper » b. « formule de politesse destinee â attenuer l’effet desagreable » c. « exprimer des regrets ».  la lumiere de ces exemples, l’acte de remercier, en tant qu’acte constitutif d’un echange rituel (de formules de politesse), joue ce meme role compensatoire que l’acte de s’excuser, role qu’une simple formule linguistique ne saurait jouer en l’absence d’une procedure institutionnelle qui assure â l’enonciation d’une telle formule son efficacite. Soulignons donc que la plupart de ces actes sont realises au moyen de formules stereotypees, indifferentes donc â l’affectivite reelle de l’individu qui les prononce193. Proposons enfin une sous-classification - ni exhaustive, ni definitive - des actes/discours institutifs : • actes/discours declaratifs (correlatifs aux actes de discours representatifs) : declarer la seance ouverte, declarer la guerre, declarer coupable, un discours proclamation ; • actes/discours ludiques (correlatifs â certains directifs) : on peut citer ici tous les actes de langage prevus par les differents reglements de jeu ou d’autres pratiques ludiques : parier, mettre qqn. au defi, etc. ; citons egalement le mot d’esprit ou les comptines comme des exemples de discours ludiques ; • actes/discours rituels et magiques (correlatifs egalement â la categorie des directifs), domines par la fonction de convoquer une force transcendante afin d’exaucer un voeu du commanditaire de cet acte ; • actes/discours votifs (correlatifs de la classe des promissifs) : toutes les formes d’engagement solennel : jurer, preter serment, prononcer des voeux, leguer (par testament), etc. 193 Ce trăit, caracteristique des actes institutifs en general, explique peut-etre la necessite que ressentent les locuteurs d’ajouter â ces formules des modificateurs exprimant la satisfaction de la condition de sincerite : mes profonds remerciements, mes excuses les plus sinceres, etc. 267 • actes/discours comportatifs, classe qui recouvre, comme nous l’avons dit, une pârtie de la classe des expressifs, et notamment tous les actes â caractere social evident : s ’excuser, remercier, offrir, faire des condoleances, souhaiter la bienvenue/bon anniversaire, etc., porter un toast, etc. 1.4.3.5. Les actes/discours metadiscursifs. Si les actes/discours institutifs constituent - comme nous avons essaye de le prouver - un exercice connotatif de la fonction semiotique, il existe d’autre part des actes de discours/des discours susceptibles de representer un exercice metalinguistique ou metadiscursif de cette meme fonction. Searle constate que, parmi les actes declaratifs, des actes tels que definir, abreger, nommer, appeler, surnommer, etc., sont les seuls â ne pas exiger la presence d’une institution extralinguistique et justifie ce phenomene par la propriete qu’auraient ces actes « â concerner le langage meme» (Searle, 1979/1982, p. 58). D’autre part, Searle repere parmi les representatifs un groupe d’actes, tels que diagnostiquer, (â nouveau) appeler, decrire, classer, classifier, identifier, qui produisent des enonces aux proprietes syntaxiques totalement differentes des autres enonces representatifs194 ; l’auteur renonce toutefois â en constituer une classe â part comme l’avait fait Austin par la distinction entre expositifs et verdictifs. En revanche, il fait la remarque que ces verbes illocutoires representatifs offrent un moyen d’isoler le theme de ce qui est dit â propos du theme (ibid, p. 66) ; on peut en deduire l’existence de plâns differents, et notamment, dans ce cas, d’un discours qui « parle » d’un autre discours, ce qui justifie notre hypothese d’une pratique semiotique seconde, de nature metadiscursive. Un tel mecanisme semiotique se represente schematiquement par : 194 Dans la typologie de Katz (1977) ces actes forment la classe des stipulatifs : actes de nomination, dont le but est d’assigner un nom â un recepteur de sorte que ce recepteur devienne â jamais le porteur de ce nom {nommer, appeler, baptiser, surnommer}, ainsi que des actes comme classifier, definir, abreger, etc. 268 Sai Ref] Notre intention n’est pas de nous attarder sur l’analyse de ce type de pratique discursive, le but poursuivi par la discussion sur les pratiques semiotiques (discours ordinaire vs discours institutifs vs metadiscours) etant de cemer avec plus de precision le paradigme des actes de discours soumis ici â la procedure taxinomique. Cette visee nous oblige toutefois â faire quelques remarques sur les possibles sous-classes d’actes metadiscursifs. A. Une premiere sous-classe sera celle que nous allons appeler actes/discoursphatiques, et dont le but est l’etablissement, le maintien ou la suspension de la relation interlocutive. On peut ranger dans cette sous-classe : • des actes prediscursifs, tels l’acte de presenter qqn. ă une autre personne, dont la fonction semble etre - au-delâ des moyens de realisation tres differents d’une communaute sociolinguistique â l’autre - l’etablissement d’un contact social susceptible d’etre transforme en relation discursive : en effet, le peu d’indications foumies par les formules de presentation sur les personnes en presence (profession, titre,etc.) facilitent, si les personnes ainsi mises en contact le desirent - la mise en plan d’une relation discursive. Remarquons que si l’acte de presen- tation est constitutif d’un echange ritualise, il est souvent sui vi d’une interaction elle-meme prediscursive, que l’on designe souvent par la formule « parler de la pluie et du beau temps », echange â fonction purement sociale, desemantise en quelque sorte, et que les participants peuvent transformer, s’ils le veulent, en veritable discours. • des actes d’engager la conversation, realises par des formules stereotypes telles que : Je vous derange ?, Est-ce que 269 je peux vous retenir deux minutes ?, Excusez-moi de vous deranger, etc. • des actes postdiscursifs visant ă menager une suspension de la relation discursive, afin d’en prevenir une rupture et d’autoriser une reprise ulterieure de l’interaction verbale : ainsi, les formules de clâture de l’echange annoncent pour la plupart, plus ou moins explicitement, cette reprise du contact : Au revoir, A bientât/plus tard/ce soir/un de ces jours, etc., Bonne journee, Travaillez bien, Bon courage. • On peut egalement parier &actes intradiscursifs destines â prevenir les accidents de parcours discursif: actes de controle du contact (Tu me suis ?, Tu piges ?, Tu y es ? ou encore Hein ?, N’est-ce pas?. Pas vrai?), actes qui en general cloturent une intervention. Le meme role est joue par des sequences discursives - en general breves - enchâssees dans le discours principal, â role plus ou moins decontractant, permettant d’eviter que le contact discursif ne soit rompu par la monotonie ou par un effort de concentration trop • 195 important B. Une autre sous-classe d’actes metadiscursifs concerne la relation discursive, et notamment la relation epistemique, favorisant la co-action du destinataire dans l’accomplissement d’un acte de discours. Ces actes sont caracterises par une intention explicative qui peut concemer: (i) le contenu semantique des enonces (actes metalinguistiques) (ii) la nature de l’acte de discours (actes meta-illocutoires), comme dans les exemples suivants (apud Bosredon, 1987) : (17) Je soutiens que la Terre tourne autour du soleil, (i) je veux dire que/je signifiepar la que... (ii) et quand je dis soutenir j ’entends par la que je pretends/je certific que... 195 On sait l’importance des « moments de relaxation » dans la pratique pedagogique. 270 Les actes metalinguistiques ou meta-illocutoires sont realises le plus souvent par des enonces qui apparaissent comme une reformulation ou une reprise de l’enonce sur lequel ils portent196. Selon la nature du rapport semantico-pragmatique etabli entre Vexplicans et V explicandum, on peut distinguer entre : • V explication definitionnelle (acte de definition, realise sous diverses formes) : (18) 1. Gorille veut dire/c’est-â-dire garde du corps (glose reposant sur la synonymie) 2. La gorille est un singe anthropoîde de rAfrique equatoriale, frugivore et farouche (LEXIS) (procedure classique de definition par genre prochain et difference specifique) 3. La classe des grands singes comprend les chimpanzes, le gorille et Lorang-outan (quasi-definition extensionnelle) 4. Un grand singe est un gorille. • Vexplication par interpretation, lorsque le locuteur explicite le sens d’un mot ou d’une sequence textuelle en en foumissant une interpretation ; â l’encontre de la variante suivante d’explication, cette interpretation peut n’entretenir aucun rapport semantique reel avec V explicandum, comme dans l’exemple de Jarry, cite par Murat et Cartier-Bresson (1987): (19) La scene est en Pologne c’est-â-dire nulle part. • Vexplication commentative : l’interpretation se transforme en une sorte de commentaire, souvent â caractere personnel de la part du locuteur : 196 Cf â ce sujet, outre les travaux classiques de J.Rey-Debove sur la definition lexicographique, les numeros 64 de 1984 et 73 de 1987 de la revue Langue fran^aise consacres respectivement â la vulgarisation et â la reformulation du sens dans le discours. 271 (20) Cet interet [...J se retrouve dans d’autres problematiques comme celle de B. Combettes sur les « grammaires floues », demarche par laquelle il s 'agit de ne pas figer la definition des criteres et fonctions mais de la faire varier • ' . 197 par rapport aux criteres mis en ceuvre. Remarquons la presence, dans beaucoup des formules qui introduisent un acte explicatif, du verbe dire (je veux dire, quand je dis, c'est-ă-dire) ; l’analyse semantique de l’operateur c’est-ă-dire conduit Murat (1987) â la conclusion - qui vient appuyer notre hypothese sur l’existence de la classe des actes metadiscursifs - que le composant dire signale le caractere metadiscursif de l’acte de reprise interpretative (forme de reformulation). Pour ce qui est des actes meta- illocutoires, un seul exemple : (21) J’affirme pouvoir le faire. Et affirmer c ’est certifier. C. Un certain nombre d’actes, et parfois des sequences discursives, visent l’etablissement du theme du discours (monologal ou dialogal). Ces actes topiques (i) introduisent ou (ii) changent le theme : (i) J’avais une question ă poser Mon expose porte sur..., Qu’est-ce que vous pensez de...?, Vous avez entendu les dernieres nouvelles? ou encore cet exemple extrait d’un article scientifique, type de discours dont le fonctionnement prevoit une extension particuliere de ces sequences topiques : (22) Je voudrais evoquer les difficultes que l ’on peut rencontrer en tentant de repondre ă la question qui surgit quand on prepare un cours : « Que peut-on dire, quelles informations peut-on avancer, sur quelles donnees peut-on faire travailler les eleves ? » en laissant de cote l’aspect pedagogique de la transmission de ces informations aux enfants ou du deroulement de la classe.'9* 197 J.-L. Chiss, « Linguistique et pedagogie du fran^ais : la formation des enseignants face ă la double crise », Langue franțaise, n° 55, 1982, p. 15. 198 D. Leeman, « La difficulte d’elaborer une lețon de grammaire quand on a ete initie â la linguistique », Langue franqaise, n° 55, 1982, p. 45. 272 Remarque. F.Jacques parle de dialogue referentiel et en fait l’objet d’une analyse poussee dans son livre Dialogiques (1979). Empruntons un exemple â cet auteur : (23) La nomination d’un responsable ă Corte est imminente. De qui dependra-t-elle ? - En pârtie du president, sauf erreur de ma part. - Croyez-vous qu ’il ait un candidat prefere ? - A coup sur. - Qui est le candidat du president ? - Je ne sais pas, mais il a certainement un souhait precis compte tenu des derniers evenements survenus sur l’île. - Oui, il est possible que le president tienne certains candidats pour moins temeraires. - Qui, ă votre avis, le president tient-il pour moins temeraire ? - Rappelez-vous : il a exprime l’opinion que cinquante ans est l’âge ideal pour le candidat â ce poște... (Jacques, 1979, p. 145) Le dialogue ne porte pas sur le theme du discours (« candidat prefere »), mais vise â identifier l’individu qui est le referent de 1’expression thematique, et ceci en en construisant l’intension. (ii) Pour en reveniră..., Revenons ă nos moutons, A propos (de)... Soulignons en conclusion que ces actes metadiscursifs partagent avec les actes institutifs un certain nombre de traits, dus â leur statut analogue de pratique semiotique seconde : (i) la tendance â la desemantisation qui est evidente, vu la stereotypie des formules utilisees (dans des actes de salutx" . de presentation, et jusqu’aux conversations sur le theme de « La pluie et le beau temps » ; 199 Rappelons que Searle (1969/1072, p. 89-90, 109) estimait que le salut ne saurait etre caracterise par son contenu propositionnel. 273 (ii) la performance de certains de ces actes dans des situations formelles, regies par des conventions, normes et/ou regles socioculturelles (par exemple, l’institution de la politesse) ; (iii) la configuration interlocutive ternaire (evidente dans les actes de presentation, mais reperable egalement dans la plupart des autres cas. 1.4.3.6. Condusions. La discussion sur la typologie des actes de discours nous a amenee â distinguer trois types de pratiques semiotiques : le discours (quotidien) et les deux pratiques semiotiques secondes (institutive et metadiscursive) ; des proprietes fonctionnelles differentes justifient, â notre avis, cette hypothese. Du point de vue du theme de cet ouvrage, le critere essentiel opposant le/l’acte de discours aux deux autres types (d’actes) de discours est celui dela distribution dialogique vs monologique des roles discursifs : alors que les actes de discours (au sein du discours ordinaire) sont realises par 1’action conjointe du Destinateur et du Destinataire (constitution dialogique), les actes institutifs et metadiscursifs sont performes par un Destinateur (constitution monologique) et leur succes ne depend pas du comportement langagier - simultane ou ulterieur - prevu pour le Destinateur. La relation interlocutive mediate est le resultat du fonctionnement obligatoire pour le succes de ces actes d’une institution (dans le cas des actes institutifs) ou du code linguistique meme (dans le cas des actes metadiscursifs) : dans le cas de la premiere categories d’actes, le Destinateur a, en fait, delegue ses pouvoirs au destinateur - mediateur et, dans tous les cas d’institution impliquee, il assure la performance de l’acte si les conventions prevues sont observees. Les actes metadiscursifs sont accomplis par un insider, sorte de delegue du code meme - il est celui qui sait - â destination d’un outsider, quelqu’un qui manque d’un savoir necessaire â l’etablissement d’une relation discursive. 274 CONCLUSIONS 0. Structure dialogique de l'acte de discours et/ou du discours L’evolution de la pragmatique langagiere, ainsi que de la philosophie du langage, de la locution vers l’interlocution, du sujet locuteur vers le râie de plus en plus important assigne au sujet interpretant place l’acte de langage dans le contexte qui est le sien : le dialogue. L’acte de discours que nous nous sommes propose de decrire ici dans ses rapports avec le concept d’acte de langage, en particulier illocutoire, s’inscrit dans cette perspective et tâche de recuperer cette dimension dialogique qu’il n’avait pas dans la theorie des actes de langage. L’emploi largement diffuse du concept de dialogisme, en pragmalinguistique, comme dans les etudes litteraires ou en certaines directions de la philosophie du langage invite â des precisions et des distinctions afin de cemer l’acception qui lui est ici conferee. Une rapide incursion â travers les theories et modeles invoquant le dialogisme nous permettra de souligner les convergences, ainsi que les divergences qui caracterisent l’emploi de ce concept dans le titre meme de cet ouvrage. La place de choix sera reservee aux deux auteurs qui, â des degres divers, ont influence notre perspective sur l’activite discursive : le semioticien Mikhai’l Bakhtine, â qui l’on doit le terme meme de dialogisme et la decouverte de l’importance des phenomenes dialogiques dans la constitution des representations langagieres du 275 monde ; le philosophe Francis Jacques, dont certaines theses sont tres proches des notres. Dans l’espace de cette problematique s’inscrivent des theories linguistiques (Ducrot, ScaPoLine, Authier-Revuz) ou pragmalinguistiques (la praxematique), ainsi que des analyses du discours qui se rapprochent pour beaucoup de la perspective praxeologique sur le langage (Culioli, 1976, 1999 ; Grunig, B. et Grunig, R., 1985 ; Thomas, 1995 ; Bronckart, 1996). Ce bref passage en revue est donc destine â apporter des clarifications sur ce que ici est designe par la structure dialogique de l ’acte de discours, 1. Le dialogisme / J. Bakhtine Le volume considerable d’etudes consacrees â ce concept, â l’heritage et â la fortune des theses avancees par Bakhtine et son Cercle, nous epargne l’effort d’insister sur la conception foisonnante que le semioticien sovietique developpe dans ses textes1. On essayera d’identifier les acceptions qu’il est possible d’extraire de ces textes, en nous laissant par ailleurs guidee, lorsque necessaire, par Aleksandra Nowakowska (2005, 2006) â qui la lecture des textes en version originale a permis de foumir des precisions et des clarifications. Pour Bakhtine, on ne saurait vivre en dehors de et sans une relation communicative : L’etre meme de l’homme (exterieur comme interieur), est une communication profonde. Etre signifie communiquer. (apud, Todorov, 1981, p. 148) 1 On peut se limiter â citer Kristeva (1979) et Todorov (1981), â qui l’on doit les premiers contacts avec les textes de Bakhtine en France, Authier-Revuz (1995), ou encore les etudes rassemblees dans les volumes Bres et al (eds.), 2005 et Perrin (ed.), 2006. Precisons que pour ce qui est des textes de Bakhtine, nous avons utilise, soit pour les textes inaccessibles pour nous, soit pour les textes consultes en traduction roumaine, les citations traduites dans Todorov (1981). 276 et: La vie est dialogique de par sa nature. Vivre signifie participer â un dialogue, interroger, ecouter, repondre, etre en accord, etc. (apiid Todorov, 1981, p. 149) C’est l’acception la plus large et la plus fondamentale du concept: le dialogisme est â la source meme de la vie humaine en tant que vie sociale, c’est cette inscription obligatoire de l’individu dans la communaute qui instaure les relations dialogales et dialogiques (les deux se confondent ici) dont il ne pourra plus jamais s’en sortir2. Or, le role essentiel dans l’instauration du sujet dans la relation dialogale incombe au langage. Lorsqu’il utilise une expressions linguistique, l’individu ne fait que s’inscrire dans la serie infinie des locuteurs ayant deja employe cette expression. Ainsi : Tout ce qui me touche vient â ma conscience - â commencer par mon nom - depuis le monde exterieur, en passant par la bouche des autres [...] Initialement je ne prends conscience de moi qu’â travers les autres : c’est d’eux que je rețois les mots, les formes, la tonalite qui forment ma premiere image de moi-meme. (apud, Todorov, 1981, p. 148)3 La charge semantique et axiologique que charrie l’expression linguistique le long du flux communicatif auquel elle participe contraint le locuteur d’entrer en contact dialogique, au moyen et dans l’espace meme de cette expression, avec d’autres conceptions du monde dont elle a servi de vehicule : 2 Bakhtine n’est, certes, pas ni le premier ni le seul â avoir postule la nature sociale de l’homme : depuis Aristote on glose sur cette these; on pourrait joindre â cette longue serie la definition de l’homme signe chez Peirce (4.448, 5.266), ou encore, sur le terrain philosophique, le texte Je et Tu de Buber (1923/1969), auteur que Bakhtine, selon Todorov, connaissait et appreciait. 3 II est facile de decouvrir dans cette citation des echos psychanalytiques ; il nous semble plus interessant de souligner ici la divergence profonde avec la conception de la subjectivite chez Benveniste, pour qui Vego se construit dans et par le langage, mais sans que la presence de l’autre - pourtant implique par le Je, soit necessaire (Benveniste, 1966, p. 259). 277 Pour la conscience qui vit dans la langue, celle-ci n’est pas un systeme abstrait de formes normatives, mais une opinion heterologique4 concrete sur le monde [...] Chaque mot sent le contexte et les contextes dans lesquels il a vecu sa vie sociale intense, {apud Todorov, p. 80) Le dialogisme designe ici cette insertion, â travers les mots, de l’univers de croyance de tout individu dans l’univers communautaire, â son tour divise par les prises de positions variables coulees dans les moules des divers genres discursifs. Le discours romanesque, de pâr sa complexite, est la terre de predilection pour l’affirmation de l’heterologie. Le dialogisme est egalement â la base d’une demarche cognitive caracterisant le domaine des Sciences humaines qui, ă l’encontre du champ des Sciences de la nature, ou le scientifique, place devant l’objet « sans voix », ne peut tenir qu’un discours monologique, fait surgir le dialogue entre chercheur et son objet, « l’homme parlant et son discours » (cf. Todorov, 1981, p. 28-29) : On ne peut percevoir et etudier le sujet en tant que tel comme s’il etait une chose, puisqu’il ne peut rester sujet s’il est sans voix ; par consequent, sa connaissance ne peut etre que dialogique. (apud Todorov, 1981, p. 34) Est ainsi cree un « univers galileen » fait de langues multiples : le questionnement cognitif ne saurait etre que dialogique, dans la mesure ou dans le sens « il y a toujours une question, un appel et une anticipation de la reponse ; il y a toujours deux sujets en lui (le minimum dialogique) » : Car notre pensee elle-meme [...] nalt et se forme en interaction et en lutte avec la pensee d’autrui (Bakhtine, 1979/1984, p. 300) L’expression d’une enonce est toujours, â un degre plus ou moins grand, une reponse, autrement dit: elle manifeste non seulement son 4 Todorov propose le terme d’ heterologie, traduisant le russe « raznorechie » qui designe la diversite irreductible des types discursifs ; les traducteurs roumains proposent le terme de plurilinguism (plurilinguisme) (Bahtin, 1975/1982, p. 124). 278 propre rapport â l’objet de l’enonce, mais aussi le rapport du locuteur aux enonces d’autrui. (Bakhtine, 1979/1984, p. 299) La demarche cognitive implique donc non seulement un rapport â l’objet, mais aussi le rapport â l’autre ; c’est ce rapport que 1’attitude monologique ignore, reduisant autrui au statut d’objet (« le monologue se passe d’autrui, c’est parce que dans une certaine mesure il objective toute la realite», apud Todorov, 1981, p.165). En revanche, le dialogisme reconnaît en l’autre un partenaire de discours, Tinstance qui ecoute et comprend, donnant ainsi sens au discours. Le dialogisme est donc egalement une forme de comprehension de l’autre qui, â la difference de l’ecoute passive, signifie participation active et creatrice, une comprehension repondante : La comprehension-reconnaissance des elements reiterables de la parole (c’est-â-dire de la langue) et la comprehension interpretante de l’enonce non reiterable [...] Le mot comme moyen (la langue) et le mot comme interpretation. Le mot interpretant appartient au royaume des fins. Le mot comme fin ultime, (apud Todorov, 1981, p. 81 )5 Toute comprehension est dialogique (idem, p. 39) L’enonce est donc le resultat et le point de rencontre de Tceuvre commune d’un acte de production et d’un acte de comprehension. Dans le plan semantique de l’enonce, le dialogisme se manifeste comme un type particulier de relations semantiques, dont les membres doivent etre uniquement des enonces entiers [...] derriere lesquels se tiennent (et dans lesquels s’expriment) des sujets de parole, reels ou potentiels, les auteurs des enonces en question (apud Todorov, 1981, p. 96) II y a donc un dialogisme intrinseque, constitutif de la langue, une langue qui, comme le disait Saussure (1916/1968, p. 38) « existe dans la collectivite sous la forme d’une somme d’empreintes deposees dans chaque cerveau » : 5 Nous avons prolonge la citation pour retrouver dans la pensee de Bakhtine comme un echo de la semiose peirceenne : le mot occupe, il nous semble, les trois positions phaneroscopiques dans le triangle semiotique : le mot moyen, le mot objet, le mot interpretant. 279 Aucun membre de la communaute verbale ne trouve jamais des mots de la langue qui soient neutres [...] Non, il reqoit le mot par la voix d’autrui, et ce mot en reste rempli. II intervient dans son propre contexte â partir d’un autre contexte, penetre des intentions d’autrui. Sa propre intention trouve un mot deja habite (apud Todorov, 1981, p. 77). Le dialogisme comme principe constitutif du discours se retrouve donc egalement dans la langue et, par consequent, dans le sens de l’enonce. Cette interdiscursivite faite d’une pluralite de voix se manifeste donc polyphoniquement dans l’espace de l’enonce dialogique sous des formes variees qui vont du dialogue, forme d’interaction verbale dont le protocole prevoit Taltemance des participants au role de locuteur, â travers les diverses strategies de representation dans le discours propre du discours d’autrui et jusqu’â la construction hybride qui « appartient par ses traits grammaticaux (syntaxiques) et compositionnels â un locuteur, mais dans lequel en realite se melent deux enonces, deux manieres de parier, deux styles, deux « langages », deux horizons semantiques et evaluatifs » (Bakhtine 1975/1982, p. 162). II existe donc dans le dialogisme bakhtinien deux directions, par ailleurs inextricablement liees, mais qui ont donne lieu â des recherche ulterieures variees : (i) le dialogisme constitutif. du sujet, de la langue et du discours : il est realise dans l’acte meme de parole, acte de production - comprehension ; et (ii) le dialogisme polyphonique, ou tout simplement la polyphonie6. forme de manifestation dans le plan du sens de l’enonce de ces relations que Bakhtine designe par la serie : plurilinguisme, plurivocite, pluristylistique, sorte de mise en scene du premier dans l’espace de l’enonce. Si le premier a lieu â la croisee des 6 Nowakowska (2005) et Bres et Nowakowska (2006, p. 23) nous font observer que le terme polyphonie est utilise par Bakhtine uniquement dans les Problemes de la poetique de Dostoievski. â propos donc du discours romanesque : les auteurs en concluent que « le dialogisme est un principe qui gouveme toute pratique langagiere, et au-delâ toute pratique humaine, alors que la polyphonie consiste en l’utilisation litteraire artistique du dialogisme de l’enonce quotidien ». 280 « horizons subjectifs » (Bakhtine, 1975/1982, p. 137), le second se devoile dans le semantisme de l’objet. C’est cette demiere direction qui a surtout ete reprise par les linguistes, en particulier par Ducrot, Authier-Revuz et ScaPoLine, alors que la premiere est proche du dialogisme discursif, et on la retrouve chez Francis Jacques ; c’est aussi la direction qui a inspire cette approche. 1.2. Le dialogisme linguistique. Reprenant le concept de polyphonie utilise par Bakhtine dans l’analyse du discours romanesque de Dostoievski, Ducrot7 elargit le champ d’application de la notion â l’analyse de l’enonce du discours quotidien. Recusant le postulat de l’unicite du sujet parlant, Ducrot remarque que chez Bakhtine la notion de polyphonie a toujours ete appliquee â des textes, [...] jamais aux enonces dont ces textes sont constitues. De sorte qu’elle n’a pas abouti â mettre en doute le postulat selon lequel un enonce isole fait entendre une seule voix. (Ducrot, 1984, p. 171) Pour Ducrot, l’enonce vehicule l’image de sa propre enonciation, le sens de l’enonce etant donc une description de l’enonciation qui l’a produit. Le sujet parlant a trois proprietes : il accomplit l’acte physique de production sonore ou graphique d’expressions linguistique, il est l’auteur de l’acte illocutoire, il est celui qui s’auto-designe dans l’enonce par le Je. L’analyse d’une serie de phenomenes linguistiques, tels que le discours rapporte, faits argumentatifs, phrases exclamatives, imposent, selon Ducrot, de distinguer entre plusieurs types d’instances enonciatives qui assument des roles differents dans la production du sens : ainsi, apres avoir elimine de la discussion le sujet empirique, il propose une premiere distinction entre locuteur (responsable de l’acte d’enonciation) et 7 Cette presentation suit la version modifice de sa theorie de la polyphonie (Ducrot, 1980a, 1980b; Anscombre et Ducrot, 1983), telle qu’elle est formulee dans Ducrot (1984, chap. VIII). 281 enonciateur (responsable de l’acte illocutoire)8; une seconde fait eclater le locuteur en locuteur en tant que tel et locuteur en tant qu 'etre du monde. Ducrot explique les phenomenes linguistiques analyses par une distribution de la responsabilite de sens entre ces instances ; il admet la possibilite qu’un seul et meme enonce vehicule des points de vue exprimes par des enonciateurs differents qui « dialoguent » entre eux : c’est lapolyphonie : La plupart des enonces sont consideres comme etant constitues d’une stratification de points de vue differents, souvent contradictoires, chacun etant une representation complete de la situation dont il est question, et qu’on ne peut articuler dans un sens unique (Ducrot et Schaeffer, 1995/1996, p. 354).9 Comme il a ete remarque, la metaphore musicale est mal utilisee, car elle exige une pleine egalite des « voix », alors que dans les analyses de Ducrot, la dialogisation interne suppose une hierarchie 8 Cette opposition etait deja utilisee par les narratologues sous le nom de voix vs vision. 9 Comme le remarque Ducrot, le phenomene ainsi nomme â la suite de Bakhtine est trăite dans des cadres theoriques differents comme l’intersection ^'espaces discursifs distincts (Anscombre), d’ espaces mentaux (Fauconnier, 1984), ftimages d'univers chez Martin (1987a); dans la pragmatique anglo- saxonne, des phenomenes discutes par Ducrot comme relevant de la polyphonie sont plutot traites comme des usages differents du langage : â titre d’exemple, la negation metalinguistique decrite par Ducrot comme introduisant une disjonction au niveau de l’orientation argumentative ou au niveau presuppositionnel, est analysee par Levinson (1983, p. 138-139), et d’ailleurs le discours represente (p. 194), comme des exemples de distinction entre mention et usage ; dans le contexte d’une approche basee sur la semantique des mondes possibles, on dira qu’il y a polyphonie lorsque dans l’espace d’un meme enonce se deploient des descriptions du monde irreductibles ă l’unicite et determinent ainsi l’inconsistance de l’univers de discours en cause : la solution devra etudier donc les relations d’accessibilite entre ces diverses descriptions du monde, identifier la source ă qui ces descriptions sont attribuables - un aspect que la semantique logique n’a pas â discuter, identifier les entites co-referentielles et les proprietes susceptibles de fonder ces relations d’accessibilite, ou au contraire, de non accessibilite. 282 dominee par le locuteur (Bres et Nowakowska, 2006), une hierarchie entre l’enonce enchâssant et l’enonce enchâsse et releve donc de l’harmonie compositionnelle. Constantin de Chanay (2006) oppose d’ailleurs dialogisme et polyphonie selon trois axes : (i) Ia hierarchisation des unites (portant sur les sources, le locuteur dominant l’enonciateur, dans le cas du dialogisme ; portant sur les unites discursives (octroi/refus de la valeur argumentative dans le cas de la polyphonie); (ii) la nature des unites : discours (dialogisme) vs points de vue (polyphonie); (iii) succession (dialogisme) vs simultaneite (polyphonie) des unites dans le discours. Vion (2006) considere que la polyphonie correspond â la manifestation dans le discours du dialogisme qui, en tant que constitutif, n’est pas reperable. Ducrot reserve la nature polyphonique aux seuls enonces, unites independantes et autonomes de sens : la polyphonie est pour lui une propriete du discours monologal. La theorie de Ducrot a ete developpee par l’ecole scandinave (Nolke, 1993) qui substitue â l’enonciateur (qui est une instance d’enonciation) le point de vue, vision, se trouvant ainsi â l’origine d’une preoccupation plus recente pour la manifestation/l’effacement de ce point de vue (Rabatel, 1998, 2003, 2004). La direction praxematique, qui se propose de rendre compte des conditions de production et de circulation du sens dans la dynamique de la signifiance, s’inspire plus directement de la pensee de Bakhtine et de son concept de dialogisme comme principe constitutif de tout discours ; defini comme l’orientation vers d’autres discours (Bres et Nowakowska, 2006, p. 23), le dialogisme peut etre saisi sur quatre dimensions : - le dialogisme constitutif, issu de cette insertion du sujet dans l’intersubjectivite sociale, et qui pose la question hermeneutique de la dialectique du meme et de l’autre ; - le dialogisme interdiscursif, qui considere tout texte ou enonce comme une reponse â un/des discours qui le 283 precede(nt) (parmi ses realisations figure par exemple le dialogisme citatif) ; - le dialogisme interlocutif, qui pose la determination de tout discours par l’autre, â qui il est adresse (et dont il anticipe, prevoit, oriente la reaction, tout en s’y adaptant; une variante est le dialogisme responsif, caracterisant cette orientation vers les questions, demandes d’eclaircissement, etc., â venir de la part de l’autre); - le dialogisme intralocutif (autodialogisme), dialectique du rapport â soi-meme. Dans la perspective du dialogisme constitutif, la distinction dialogal vs monologal se reduit, comme chez Bakhtine d’ailleurs, â une difference de protocole communicatif: L’interaction verbale est la realite fondamentale du langage. Le dialogue, au sens etroit du mot, n’est bien sur qu’une des formes, il est vrai la plus importante, de l’interaction verbale. Mais on peut comprendre le dialogue au sens large, en entendant par lâ non seulement la communication verbale directe et â haute voix entre une personne et une autre, mais aussi toute communication verbale, qu’elle qu’en soit la forme. (Bakhtine-Voloshinov, apud Todorov, 1981, p. 71) Le critere donc est la co-presence dans un lieu et moment ou, au contraire, la communication en differe. Dans cette perspective, la distinction dialogal vs dialogique se ramene â une difference de niveau de manifestation : Alors que le dialogal se manifeste comme dialogue externe, le dialogique releve du dialogue interne : dans le cadre d’un enonce appartenant â un seul et meme tour de parole, un meme locuteur fait interagir, plus ou moins explicitement, deux (ou plusieurs) enonciateurs dont les voix sont parfois clairement distinctes, parfois superposees, entremelees jusqu’â l’inextricable. (Bres, apud Dendale et Coltier, 2006, p. 285) Bres et Nowakowska (2006) remarquent que les recherches sur le dialogisme ont ete menees sur des unites monologales (c’est le cas 284 des phenomenes etudies pas Ducrot, par exemple), inscrites ou non, au niveau discursif, dans une configuration dialogale ou monologale. Dans une perspective apparemment approchante, mais dans un modele theorique fonctionnel de la structuration discursive, l’ecole conversationnaliste de Geneve propose quatre configurations theoriques du discours, obtenues par la combinaison des criteres formei (dialogue/monologue) et fonctionnel (dialogique/monologique10) : le discours peut etre : - dialogal monologique (plusieurs locuteurs, un seul enonciateur) - dialogal dialogique (plusieurs locuteurs, plusieurs enonciateurs) - monologal dialogique (dialogisation interne) - monologal monologique11. Selon les conversationnalistes, le dialogisme interdiscursif et respecțivement interlocutif se retrouvent dans la dialectique d’un principe interpretatifqui statue qu’une interpretation peut etre attribuee â un constituant initiatif â partir de l’enonciation du constituant reactif: l’interpretation a donc une orientation retroactive. Elle est toutefois contrainte proactivement par des conditions de satisfactions imposees par le constituant initiatif12. On remarquera toutefois que dans l’analyse de la conversation, l’interpretation est dialogique dans le sens qu’elle est le fait du constituant successif: le dialogisme interne â un constituant monologal n’est pas ici en jeu. Evitant l’ecueil des effets metaphoriques du terme de polyphonie, J. Authier-Revuz propose le concept d’heterogeneite discursive, qu’elle s’attache â reperer dans ses manifestations linguistiques; cette heterogeneite montree (diverses formes de 10 Le critere est la presence d’un ou de plusieurs enonciateurs, dans l’acception de Ducrot. 11 Cf. Moeschler, 1985, p. 15 12 La description concerne, certes, les discours dialogaux (conversation). Nous considerons toutefois qu’elle peut etre amenagee afin de pouvoir l’appliquer â toute forme de communication, y compris monologale (en differe) 285 discours rapportes, ce que nous avons trăite comme des actes meta- discursifs : commentaires, gloses, auxquels l’auteur consacre sa these de doctorat (1995), la connotation autonymique, etc), qui, dans l’esprit de Bakhtine temoignent de la presence de 1’Autre dans le discours propre, conduisent vers V heterogeneite constitutive de tout discours, le dialogisme constitutif chez Bakhtine. Non signalee linguistiquement, V heterogeneite constitutive releve plutot d’une approche hermeneutique du langage, que ce soit dans le champ meme du Cercle de Bakhtine, ou de la psychanalyse, mais aussi, pour Authier-Revuz, comme pour Bakhtine, d’une anthropologie d’inspiration marxiste13. L’heterogeneite constitutive est, pour Authier-Revuz : la place de «l’autre discours » [qui] n’est pas â cote, mais dans le discours [...] la relation entre deux enonciations dont l’une est ‘dependante’ de l’autre (Authier-Revuz, 1981, p. 114) Authier-Revuz avance la these d’un double dialogisme - ce qui par la suite sera designe en praxematique (cf. ci-dessus) comme dialogisme interactif et interlocutif: C’est un double dialogisme - non par addition, mais en interdependance - qui est pose dans la parole: l’orientation, dialogique, de tout discours parmi « les autres discours» est elle meme dialogiquement orientee, determinee par «cet autre discours»specifique du recepteur, tel qu’il est imagine par le locuteur, comme condition de comprehension du premier, (ibid., p. 118-119) Ce double dialogisme, comme principe constitutif du discours, suppose le sujet divise, decentre auquel la psychanalyse reconnaît le statut d’effet du langage : la presence de l’autre dans le langage est ce qui confere â l’individu son statut de sujetf Pour Authier-Revuz : 13 « Les rapports dialogiques (y compris ceux du locuteur avec son propre mot) sont un objet de la translinguistique », Bakhtine, 1963/1970, in Todorov p. 42 sq. 14 Meme remarque que sous la note 3 ci-dessus. 286 Aucune « «representation » par un discours de sa non-coincidence fonciere, de son heterogeneite « constitutive » n’est possible : ce qui deja, pour un observateur, construisant de l’exterieur d’un discours, des «domaines de memoire», ou «espaces co-textuels», necessairement finis, est fondamentalement non achevable, et de surcroît, frappe de l’impossibilite pour l’Enonciateur, depuis l’interieur de son discours, de saisir ce qui de l’exterieur determine et constitue cet interieur meme (Authier-Revuz, 1995, p. 269). Se chargent de la fonction d’indiquer des traces de ce mecanisme constitutif de tout discours les diverses configurations linguistiques qui constituent l’heterogeneite montree. Toutefois : L’ heterogeneite montree n’est pas un miroir, dans le discours, de l’heterogeneite constitutive du discours ; elle n’en est pas non plus « independante » ; elle correspond â une forme de negociation - obligee - du sujet parlant avec cette heterogeneite constitutive - ineluctable mais qu ’il lui est necessaire de meconnaître; et la forme « normale » de cette negociation s’apparente au mecanisme de la denegation. (Authier- Revuz, 1981, p. 143) C’est dans l’etude des formes d’heterogeneite montree que l’on decouvrira des traces de cette heterogeneite constitutive15. Cette heterogeneite manifeste correspond aux diverses formes de non-coincidence du discours â lui-meme (dialogisme interdiscursif), des mots aux choses, des mots â eux-memes, du Je au Tu (dialogisme interlocutif) (Authier-Revuz, 1990, 1995). La reflexion de J. Authier-Revuz nous conduit donc vers une approche transdisciplinaire, qui, effaqant les frontieres du dit et du dire, soit susceptible de saisir le sujet et son discours â la fois ; la problematique du dialogisme debouche ainsi sur la pensee philosophique relative au sujet, â son acte, â sa langue. 15 La demonstration se trouve dans Authier-Revuz (1995); remarquons toutefois que, comme chez Bakhtine, comme chez les autres linguistes, le dialogisme/1’heterogeneite constitutive ne se revele qu’â l’analyse des marques, plus ou moins evidentes, plus ou moins explicites, de la dialogisation au niveau de l’enonce. 287 1.3. Le dialogisme en philosophie. Trois noms nous semblent particulierement proches de la problematique du dialogisme linguistique : Martin Buber, Paul Ricoeur et Francis Jacques. A partir du postulat: Ce n’est pas le langage qui est dans l’homme, mais l’homme qui est dans le langage et qui parle du sein du langage (Buber, 1923/1969, p. 66). Buber, estime que la relation est primordiale, puisque c’est dans la relation que se construit le Je : L’esprit n’est pas dans le Je, il est dans la relation du Je au Tu. (Jbid., p. 66) Le langage, â travers les mots-principes : Je - Tu - Cela, permet â l’homme d’adopter une double attitude vis-ă-vis de l’Autre, interlocuteur ou monde objet. II en resulte un dedoublement du sujet, toujours aux prises d’une relation en permanente transformation : du Je - Tu au Je - Cela, du Je - Cela au Je - Tu, que seule la relation constante et modelisante â un Tu eternei permet de fonder : Chaque Tu, une fois le phenomene de la relation ecoule, devient forcement un Cela. Chaque Cela, s’il entre dans la relation, peut devenir un Tu. (ibid., p. 58) Chaque Tu individuel ouvre une perspective sur le Tu eternei [...] le seul Tu qui par essence ne puisse jamais devenir un Cela (ibid., p. 113) On pourra, sans doute, reconnaître dans cet espace relationnel Vespace logique de l’interlocution que postule Francis Jacques.  la recherche de l’identite du sujet, Ricoeur6 inscrit cette problematique dans le contexte de l’action sociale qui impose que l’acte de tout un chacun soit toujours en dependance de l’action des autres 16 Notre propos n’est pas de faire ici une presentation de l’hermeneutique de Ricoeur; nous tenons â souligner seulement les nombreuses suggestions sur la problematique du dialogisme et de l’interlocution, par ailleurs fondamentale, croyons-nous, pour la pensee de Ricoeur. 288 agents (1986/1995, p. 200 ; 1990, p. 184). C’est un sujet capable de se designer lui-meme en signifiant le monde. La pratique communicative devient incontoumable dans l’analyse de l’agentivite et conduit le philosophe dans le champ paradigmatique de la pragmatique : Ce n’est pas en effet â une description empirique des faits de communication que la pragmatique entend proceder, mais â une recherche portant sur les conditions de possibilite qui reglent l’emploi effectif du langage, dans tous les cas ou la reference attachee â certaines expressions ne peut etre determinee sans la connaissance de leur contexte d’usage, c’est-â-dire essentiellement la situation d’interlocution. (1990, p. 55) Ricoeur recuse ainsi la philosophie du sujet centree sur un ego absolu, extrait de ses determinations sociales, pour se concentrer sur l’etre humain comme « locuteur, agent, personnage de narration, sujet d’imputation morale, etc. » (1990, p. 18) ; les pratiques sociales dont le sujet est agent sont des actions cooperațives dont les regles constitutives (concept utilise, comme nous le savons, par Searle egalement17) sont etablies socialement (idem, p. 207). Ces regles constitutives, sous-jacentes au vivre-ensemble d’une communaute, transforment les relations interpersonnelles en relations institutionnelles (idem, p. 227) au sein desquelles les participants exercent leur pouvoir-en-commun, cette « capacite que les membres d’une communaute historique ont d’exercer de faqon indivisible leur vouloir-vivre ensemble » (idem, p. 256). Dans une telle perspective : Meme si nous pratiquons seuls un metier [...] les regles constitutives de telles pratiques viennent de beaucoup plus loin [...] : c’est de quelqu’un d’autre que la pratique d’une habilete, d’un metier, d’un jeu, d’un art, est apprise ; l’apprentissage et l’entraînement reposent sur des traditions qui peuvent etre transgressees, mais qui doivent d’abord etre assumees. (1990, p. 185) 17 Comme chez Searle, les regles constitutives sont des « preceptes dont la seule fonction est de statuer que, par exemple, tel geste de deplacer un pion sur l’echiquier ‘compte comme’ un coup dans une pârtie d’echecs. Le coup n’existerait pas, avec cette signification et cet effet dans la pârtie, sans la regie qui ‘constitue’ le coup en tant que phase de la pârtie d’echecs. » (1990, p. 183) 289 Emerge ainsi, dans le processus de la constitution du sujet, la figure de l’Autre - institution, tradition, interlocuteur, un autre mediateur entre le Je comme personne {memete), definie substantiellement par l’unicite, la substituabilite sur la base de la ressemblance et par la continuite (le caractere), et le Je comme ipseite, identite du soi dans la parole18. Cette identite est interpretee par V ascription de predicats intentionnels qui construisent le Je comme agent responsable. Etre responsable c’est adopter une maniere de se comporter telle qu’autrui puisse compter sur la personne ; et lorsque quelqu’un compte sur moi, je suis comptable de mes actions devant un autre {idem, p. 194 sq.). Or, l’ascription d’une intentionnalite ne saurait devenir effective qu’au travers d’une ascription neutralisee (â un on, un quiconque ou un chacun) : Pour passer du suspens de l’ascription, â travers l’ascription neutralisee, â l’ascription effective et singuliere, il faut qu’un agent puisse se designer lui-meme, de telle sorte qu’il ait un autre veritable â qui la meme attribution est faite de fa^on pertinente. II faut alors sortir de la semantique de l’action et entrer dans la pragmatique qui prend en compte les propositions dont la signification varie avec la position du sujet parlant et, [...] implique une situation d’interlocution mettant face-â-face un «je » et un « tu ». {idem, p. 121) Un «je » et un « tu » qui agissent de concert par le biais d’un Autre. Selon Ricoeur, cet Autre mediateur est une identite narrative qui interprete, donne un sens - dans le recit, situe entre le decrire et le prescrire - â l’action du sujet selon les regles constitutives que partagent les participants â l’acte. II assure la permanence dans le temps du caractere (le meme) et le maintien de soi {Yipse). II intervient « sur le trajet de la capacite â l’effectuation » {idem, p. 212) et ajoute â la signification sa dimension interactive. L’autre est l’agent de l’interpretation : 18 La permanence du soi dans la parole a comme visee ethique « l’obligation de sauvegarder l’institution langagiere » {idem, p. 149). 290 L’idee d’interpretation ajoute, â la simple signification, celle de signification pour quelqu’un. Interpreter le texte de l’action c’est pour l’agent s’interpreter soi-meme. (idem, p. 210-211) L’interpretation (lecture) surgit â l’intersection de deux strategies : la seduction, qui est le fait de l’auteur-locuteur, et la suspicion « menee par le lecteur vigilant, lequel n’ignore pas que c’est Iui qui porte le texte â la signifiance » {idem, p. 186). II existe dans l’interpretation une premiere phase, V Identification au meme (le caractere, qui a la propriete de similarite) grâce â laquelle l’autre entre dans la composition du meme ; dans une seconde phase, le maintien de Vipse qui ainsi se differencie du meme et parvient â faire sens {idem, Etude V) : face â l’autre surgit cette dialectique du meme et de Vipse, de l’etre du monde et de l’etre de la parole. C’est donc dans le plan de l’identite subjective que se place le dialogisme chez Ricoeur. Pour Francis Jacques, la parole est communiquee. La communicabilite repose sur un ensemble d’hypotheses : 1. Toute communication par signes derive d’une relation de reciprocite entre instances enonciatives au titre de ses effets dynamiques ; 2. Le sujet parlant est le siege d’une competence communicative qui le rend capable d’actualiser en relation plusieurs strategies d’interaction ; 3. Toute communication effective actualise la pârtie commune du systeme virtuel des significations disponibles (le code commun); 4. Cet effort d’actualisation est transgressif: il demande aux interlocuteurs d’engendrer des fragments discursifs â partir de leurs contextes et codificateurs (partiellement) propres. (1985, p. 498) Ce rapport de reciprocite (avec un autre, allocutaire) est « le fait primitif de la realite humaine » {idem, p. 69) et se manifeste dans la relation interlocutive, relation irreductible, symetrique et irenique, excluant donc la hierarchie, qui fait que « l’autre est associe â l’un â la source du sens» {ibid.). Dans cette perspective, le dialogisme se definit comme : 291 La structure interne d’un discours fonctionnant de maniere transitive entre deux instances enonciatives en relation interlocutive, en reference au monde â dire. La production du sens s’opere alors par la conjonction des instances en position de locuteur - auditeur ideal et au profit de la dyade des personnes engendree par la relation. {idem, p. 181). Le dialogisme fait que deux instances enonciatives conjointes mettent en commun le sens qu’elles produisent dans l’espace (logique) de l’interlocution. Tout discours n’est pas dialogique et il existe une gradualite selon laquelle le dialogue manifeste au plus haut degre cette propriete. Le dialogue « maximise le dialogisme du discours » et requiert une relation interlocutive symetrique. Selon Jacques, le terme dialogue n’est donc pas un hyperlexeme designant le modele ideal de toute interaction verbale, mais une forme de «recherche des verites â plusieurs », dont la finalite est l’adhesion â une signification qui se trouve ainsi « mise en commun ». Le dialogue exclut la hierarchie des places instituees par les regles d’une procedure : opposant le dialogue aux discours conversationnel, juridique, scientifique, aux negociations, Jacques lui reserve le champ de la construction en commun de la signification â l’exclusion des discours que nous avons appeles « institutionnels ». Le dialogue, et le dialogisme, sont situes dans le plan de la relation cognitive, alors que d’autres discours visent la plan des rapports sociaux. Le sujet locuteur est analyse comme une instance de discours, une dyade constituee de deux personnes^ decrites â travers leur competence communicative20 : en effet, le discours dialogique est le fait d’une relation interpersonnelle, caracterisee, comme nous l’avons fait observer, par la reciprocite ; d’autres formes de discours ont lieu plutot entre des individus caracterises par la place qui leur est conferee 19 «Une instance de discours suppose deux individus et pose deux personnes. » (1983, p. 107), la personne etant le sujet locuteur construit par le langage en relation â 1’Autre (v. egalement, Jacques, 1983, p. 57). 20 La competence communicative est, selon Jacques, « l’aptitude ă parier en principe avec n’importe qui possedant la fonction symbolique, de n’importe quel etat de choses » (1983, p. 96). 292 par le groupe d’appartenance. La distinction n’est pas facile â identifier puisque : La plupart des entretiens concrets, en contexte social, nous trouvent dans l’obligation de parler simultanement en tant que membres d’une communaute parlante et en tant qu’engages dans un rapport interlocutif (1985, p. 115) A l’encontre de lapolyphonie bakhtinienne (reprise par Ducrot), ou : II s’agit [...] moins d’engendrer un seul discours par deux instances reelles, que d’annexer â la proliferation du locuteur le discours de son partenaire tel qu’il 1’imagine ou le prevoit [de sorte que] dans les limites d’une seule et meme construction linguistique on entend [...] resonner les accents de plusieurs « voix » (idem, p. 106), ce qui a comme effet l’eclatement du sujet (sujet divise, sujet decentre), le discours dialogique est l’ceuvre commune d’un enonciateur et d’un co-enonciateur qui se partagent l’initiative semantique. En revanche, 1’inter textualite, â l’instar de la formation discursive foucaldienne, « constitue le milieu discursif dans lequel se noue la relation interlocutive » (idem, p. 112). Le contexte interlocutif commun (1983) est constitue par l’acte meme de discours grâce au consensus des partenaires quant au champ de validation de la deixis spatio-temporelle. Par contre, pour ce qui est des competences culturelles et/ou ideologiques, la difference est requise pour que le dialogue se presente comme pertinent. Le contexte interlocutif est construit progressivement le long du parcours dialogal, alors que dans le cas d’autres strategies discursives «le contexte est donne, stereotype, partant impose â l’auditeur » (1985, p. 196). Vacte d’enonciation/de discours est l’activite conjointe de deux instances enonciatives procedant d’une intentionnalite conjointe (1991) de construire en commun un sens. L’acte complet de discours articule le rapport de reference et le rapport d’interlocution : La vie du langage est par essence un parler et un dire. Comme parler, il est une activite communicative. Comme dire, il est une activite de 293 referenciation au reel. L’integration des deux activites est motrice du processus langagier. (1985, p. 219) Ce double positionnement de la personne face â l’autre et face au monde est constitutif de la dyade enonciative. II nous semble que dans le texte de 1991, Jacques va plus loin dans sa definition du dialogisme qu’il conqoit comme « neutre par rapport â tout engagement unilateral et abstrait sur les notions de consensus et de dissension » (p. 122) et qu’il place au niveau de l’acte plutot qu’â celui du discours dans ces diverses realisations strategiques. Le dialogisme de l’acte engage les deux locuteurs L! et L2 dans la performance, alors que dans la conception de l’acte illocutoire seul Li est considere comme responsable de l’acte et dans le cas des actes collectifs, procedant d’une intention collective, les participants coordonnent leurs actes individuels. Comme nous l’avons fait, Jacques suggere ici une possible typologie des actes sur la base du type de relation interdiscursive sous-jacente. Une typologie des formes (strategies) discursives est egalement mise en place, que Jacques developpe progressivement depuis ses Dialogiques1}. Les deux râles constitutifs de l’acte conjoint de discours, le vouloir dire de 1’enonciateur - locuteur et la comprehension incombant â l’interlocuteur sont egalement necessaire â la realisation reussie de l’acte : il ne s’agit pas de deux actes autonomes, et en consecution, dont la pertinence mutuelle assure le succes et la satisfaction des intentions du locuteur, comme dans le modele Searle - Vanderveken, ni d’ailleurs du principe dialogique des conversationnalistes pour lesquels le sens produit par un premier locuteur est realise par son interpretation par l’acte suivant de l’interlocuteur, mais de la participation conjointe de deux personnes â partir de leur position au sein de la dyade. Production et comprehension constituent l’acte complet, sans pour autant se confondre (comme dans le modele structuraliste de la communication). Le caractere irenique et consensuel de la relation interlocutive dans le discours dialogique implique â la fois l’identite et la difference. Deux personnes enonciatives definies comme identiques - â supposer qu’un 21 Cf. Jacques, 1995, 1988, 1991. 294 tel cas de figure puisse exister - ne sauraient dialoguer; les competences initiales (dans notre description, les univers de discours individuels) ne sont jamais identiques, sous peine de se retrouver dans une situation d’echec narcissique : c’est la difference qui justifie l’entree en dialogue, sans que pour autant elle debouche sur un langage prive qui exclurait tout contexte pragmatique commun. La condition de possibilite de l’acte dialogique repose sur une analogie postulee par le principe de rationalite entre les agents discursifs : Si b peut comprendre a, c’est qu’il aurait pu le dire de la meme voix que a. Le sens de ce qui est dit est, comme le lekton stoicien, une realite transactionnelle qui s’etablit au point de jonction entre ce que prononce a et ce que pourrait signifier b. Le locuteur a emet son message en le comprenant de l’oreille de b. Et ce demier l’interprete convenablement parce que le choix de la bonne interpretation s’est opere au cours de l’interaction verbale. (1985, p. 249)22 ou encore : Je ne comprends son enonciation que si je pose sur chaque mot de la phrase apprehendee une serie de mes mots propres en maniere de replique interieure. (1983, p. 366). L’enjeu de l’interaction verbale est 1’identification ensemble des contextes pertinents, ce qui se traduit par une « double contextualisation dont procede la phrase echangee, eu egard au locuteur qui l’emet et eu egard â l’auditeur qui la reqoit » (1981, p. 369)23. 22 Dans un autre contexte, Dennett (1987/1990, p. 73) propose une vision similaire dont l’origine est le postulat de la rationalite de l’agent qui fonde « la strategie de l’interprete » : « c’est le mythe que nous sommes des agents rationnels qui structure et organise nos attributions de desirs et de croyances â d’autres et qui reglent nos propres deliberations et investigations ». 23 Dans les termes de la semantique des mondes possibles, comprendre c’est etablir une relation d’accessibilite « qui selectionne d’un point de vue donne des ensembles de mondes accessibles par nos croyances, nos soujaits, nos connaissances d’un point de vue donne des ensembles de mondes accessibles par nos croyances, nos souhaits, nos connaissances â partir du monde reel ou nous proferons la phrase » (1983, p. 65). 295 1.4. Le dialogisme pragmatique. Le lecteur aura remarque les nombreux points de convergences entre notre description de l’acte de discours et le modele construit par F. Jacques : c’est pourquoi nous nous sommes attardee sur cette conception. En effet, le dialogisme que nous defendons ici designe, comme chez Jacques, l’execution conjointe de l’acte par les participants assurant les deux actions de production et respectivement de co-production. Faire sens (produire) et donner sens (comprendre) sont deux facettes d’une competence specifiquement humaine. Tout enonce produit est doublement oriente : vers le monde (relation semantique situee au niveau de l’intention prealable de l’acte) et vers l’autre (relation pragmatique situee au niveau de l’intention en action). Les deux niveaux sont inextricablement articules dans l’acte de production d’un objet linguistique : on ne saurait faire sens en representant le monde sans le recours aux signes appartenant â un code ; c’est le recours â ce meme code qui permet â l’Autre (soi-meme ou un autre) de donner sens â cette representation (pour pouvoir y adherer ou la rejeter, ou encore la modifier). Avânt meme de produire un acte en reponse et mettre ainsi en place une configuration dialogale, le rapport dialogique existe au sein meme de la production du sens qui ne devient effective qu’une fois validee, confirmee en tant qu’acte de faire sens. C’est la le^on de la semiotique de Peirce et de sa conception du signe : la semiose, operation de production du sens, implique en egale mesure l’operation referentielle par laquelle une premiere instance du couple de participants represente l’objet (du monde) et l’operation interpretative de cette relation effectuee par l’autre instance. C’est la vertu du signe linguistique d’etre doublement oriente : il est signe de (autre chose) et il est signe pour (un autre quelqu’un), qui explique que l’acte de discours se formule et se comprend au moyen des signes. L’intention privee et individuelle du locuteur ne saurait devenir efficiente que si elle est formulee, donnee â etre interpretee au moyen des conventions linguistiques (ou d’un autre systeme de signes). 296 2. Le dialogue Les chapitres precedents ont ete consacres â une analyse detaillee de l’acte de discours en tant qu’unite minimale du discours. Nous l’avons definie comme acte conjoint effectue par le couple Destinateur - Destinataire assumant chacun la fonction enonciative qui est la sienne selon le but communicatif de l’acte. Nous avons egalement soutenu que l’acte de discours designe un modele ideal de l’acte communicatif fonde sur l’accomplissement integral et satisfaisant de toutes les obligations discursives incombant â chacun des partenaires impliques. Comme nous avons vu, toute forme d’interaction verbale n’est pas constituee d’actes dialogiques : il existe, en particulier, les interaction â forte charge sociale ou les participants accomplissent en commun et dans un espace public, des actes de parole individuels en vue de la realisation d’un meme but commun: un tiers devient alors necessaire pour assurer la coordination Parmi les divers types d’interaction verbale, il est donc possible d’envisager une forme d’interaction particuliere dont les constituants seraient des actes de discours. Cette forme est pour nous le dialogue. Remarque. Les diverses propositions de typologie des interactions verbales reservent une place â part au dialogue : Andre-Larochebouvy (1984) comme Kerbrat-Orecchioni (1990) opposent dialogue et conversation ; mais alors que le premier auteur les decrit comme deux formes d’interaction qui se distinguent par leur champ d’action (niveau cognitif: echange d’opinions sur un theme preetabli ou encore forme litteraire mettant en scene une configuration dialogale vs niveau relationnel: interaction â finalite sociale24), chez Kerbrat- Orecchioni le dialogue est une interaction - type, non authentique, construit sur un theme bien circonscrit et visant l’accord mutuel. Se situant entre ces deux propositions, Fr. Jacques (1988) accepte la « realite » du dialogue au meme titre 24 « La finalite de la conversation est [...] de maintenir son equilibre et de permettre l’entretien et le developpement des relations sociales, donc du tisse de la societe », Larochebouvy, 1984, p. 22 297 que celle d’une conversation, mais les distingue par la « fonction interne » (la conversation vise â s’auto-construire comme interaction relationnelle) vs « fonction externe » (ici le dialogue est une interaction ă portee theorique et meta- theorique, alors que l’entretien ou encore la negociation auraient une fmalite pratique). A l’instar de l’acte de discours fonctionnant comme structure modelisante de l’acte de communication, le dialogue se propose comme un modele de toute interaction verbale â fmalite cognitive. Ce chapitre sera consacre â la construction d’un modele susceptible de decrire la structure des dialogues bien formes, ainsi que les principes qui president â la construction dynamique du texte dialogal comme ensemble coherent et cohesif de propositions. 2.1. L'unfâ minimale dialogale La seule performance d’un acte virtuellement dialogique n’assure pas pour autant l’institution d’un dialogue. Un evenement discursif peut etre suivi par un second evenement £j ; £{ et £j forment une sequence discursive, mais pas necessairement une sequence dialogale. En effet, deux situations sont possibles : : £j peut etre une replique ou une reponse25 . 25 La distinction est devenue classique dans la theorie des conversa- tionnalistes ; notons que Goffman, qui l’utilise des 1975, emploie les termes de maniere inverse par rapport â l’usage generalement accepte et que nous suivons egalement ici. 298 Nous defmissons la replique (ou relation replicative) comme une relation etablie entre deux evenements discursifs, le replicans fe) et respectivement le replicandum (s,); deux evenements discursifs sont structures comme une paire ordonnee par la relation replicative : REPL (p,, £j) = Si Z) £j, et j> i [2] La relation replicative satisfait â la double condition : (i) c’est une relation d’ordre (j > i) : le replicandum est produit - dans le processus discursif - â un moment ulterieur par rapport â la production du replicans ; (ii) c’est une relation d’implication materielle (^ z> : le replicandum implique le replicans, dans ce sens qu’il ne peut apparaître dans le discours en l’absence de celui-ci, alors que le replicans peut etre performe sans qu’il soit suivi obligatoirement d’un replicandum. La relation replicative est une relation syntaxique, qui n’exerce aucune contrainte semantique sur les propositions vehiculees par les enonces ainsi produits. Elle apparaît dans toute forme de discours, y compris le discours phatique et meme dans cette forme de conversation qu’on appelle familierement «un coq-â-l’âne». Ceci explique l’attention dont elle jouit dans les etudes socio et psycholinguistiques de la conversation26. La relation replicative permet de decrire la structure formelle syntaxique du discours, mais non d’approcher de fa^on systematique la structure profonde semantique. L’acception que nous avons assignee au dialogue en vertu de la condition semantique de consistance, oblige â postuler egalement une condition plus puissante dans la definition du rapport qui relie deux evenements discursifs. Nous disons qu’une relation de reponse (responsive) s’etablit entre deux evenements : le respondendum (e/) et le respons (sz) si elle satisfait aux conditions suivantes : 26 Les premieres etudes sur ce sujet sont dues â lakubinski (1923), Svedova (1956), Todorov (1967b), Kummer (1972), Golopenția-Eretescu (1974), Goffman (1975). Ces etudes portent sur les types d’actes de discours qui peuvent initier, continuer, interrompre ou terminer un discours, parfois sur les paires d’actes (Kummer), ainsi que sut les proprietes linguistiques des enonces produits par ces actes (Svedova, lakubinski). 299 (i) elle a les proprietes syntaxiques de la relation de replique (condition pragmatico-syntaxique) ; (ii) l’evenement sz cree une situation d’acte (Uc) qui determine la production d’un evenement discursif Sj appartenant â une classe particuliere d’evenements discursifs (condition pragmatico-semantique); Remarque. Chaque type d’evenement discursif - respons creant une situation discursive (Uc) caracterisee par certaines proprietes, la relation responsive selectionne un type d’evenement qui peut etre le respondendum : chaque type d’acte de discours est caracterise, une fois integre â une structure dialogale, par la propriete d’avoir une reponse d’un certain type. (iii) les propositions produites par Si et respectivement par Sj peuvent etre inferees raisonnablement â partir d’un meme ensemble de propositions (condition semantique, au niveau propositionnel). La relation Adnference raisonnable sera interpretee, en accord avec les postulats de notre modele, comme une relation moins puissante que l’inference logique (entailment). Elle designe une relation de compatibilite ou d’ « inference » entre une proposition et le contexte (qui est un etat de Uc) dans lequel elle est produite. Une proposition p est (i) compatible avec un ensemble de propositions Uc et respectivement (ii) inferable â partir de cet ensemble de propositions si : Soit: Uc - (w7, ..., wz) (i) (3)wz, wz c Uc,et N(p, 1 (la proposition p est vraie dans au moins une description possible du monde incluse dans Uc) (ii) (V) w,-, Wj cz Uc, et V(p, w, ) = 1 (la proposition p est vraie dans toute description possible du monde incluse dans Uf1. Deux propositions pi et Pj, produites par les evenements discursifs e, et e, se trouvent en relation responsive (pj est la reponse 27 Cf. egalement Stalnaker (1976a). 300 de si elles sont au moins compatibles avec un meme ensemble de propositions Uc. On dira que les deux propositions ont les memes presuppositions. On peut definir la relation responsive (RESP) par : (i) RESPfe, e} = j>i (ii) RESP(s/, £j) = £i zd ODg/ (ou o note la relation d’implication, O note l’operateur deontique ‘il est obligatoire1) (iii) RESP [(pj, pi) ,UC] = Pje Uc et pi e Uc. Remarques. 1. La reponse n’est donc pas un type d’acte de discours, mais une relation entre deux actes (evenements) discursifs qui met en evidence l’etablissement de la relation discursive entre les participants au discours. 2. Une telle maniere d’envisager les possibilites combinatoires des evenements discursifs a pour consequence le refus de considerer comme actes de langage d’un type particulier des actes tels : commenter, repondre, objecter, repliquer, nier, etc. (la classe des expositifs austiniens); ces verbes, qui ne sont pas, pour la plupart, performatifs, designent la fonction des actes dans le cadre du discours dialogal. 3. Une deuxieme consequence importante de cette description concerne la modalite de determiner (identifier) le type d’acte de discours performe par le couple < D, De > ; la force discursive de l’acte peut etre determinee sur la base de ses valences combinatoires (le(s) type(s) de reponse admis par l’acte respectif). 2.1.1. La reponse. Par rapport â l’ensemble d’evenements discursifs qu’est le discours, la replique introduit une relation syntaxique d’ordre qui assure la coherence du discours, alors que la reponse en assure la consistance semantique. La relation de reponse definit le dialogue comme un type de discours coherent et consistant qui produit un texte egalement consistant. 301 En vertu de la condition de coherence d’un discours, tout evenement 8„+l sera interprete comme replique â l’evenement en, sans pour autant exiger une relation semantique entre les propositions produites. Ainsi, toute reponse est egalement une replique, 1’inverse n’etant pas vrai. La difference entre les deux types de relations qui peuvent etre instituees entre deux evenements discursifs permet de mieux preciser notre concept de dialogue, en tant que type particulier de discours, caracterise par la condition de consistance semantique. a) toute suite d’evenements discursifs, effectues par des participants qui remplissent altemativement le râie de De n’est pas un dialogue. Dans 1’exemple suivant: (1) Tiens / tu travailles ! (s/) Je repondis : - Mon cher, bonsoir. (s2) Je suis en train de t ’ecrire, ne me derange pas.28 les deux repliques ne constituent pas un dialogue, la replique e2 exprimant le refus d’accepter le dialogue. Une situation plus subtile apparaît lorsque tous les participants semblent accepter la relation discursive, mais en fait l’univers commun de discours ne peut s’etablir (condition pragmatico- semantique non satisfaite) : (2) Tiens ! tu travailles ? Je repondis : « J’ecris Paludes » 29 L’analyse de l’univers de discours des personnages - locuteurs impliques dans cet echange de repliques permet de conclure sur 28 Andre Gide, Paludes, op. cit., p. 113. L’analyse de ces exemples, extraits d’ceuvres de Gide, fait abstraction du caractere litteraire du discours enchâssant. 29 Idem, p. 91 302 1’incompatibilite des sens assignes par chacun d’eux aux verbes travailler (= agir) et respectivement ecrire (= non agir); ou encore dans l’exemple : (3) Pourquoi veux-tu chercher un autre guide que le Christ ?... Crois-tu que nous soyons jamais plus preș l’un de l’autre que lorsque chacun de nous oubliant l’autre, nous prions Dieu ? - Oui, de nous reunir, interrompis-je; c ’est ce que je lui demande chaque matin et chaque soir.30 ou prier a un sens different pour chaque personnage : prier i = dire des prieres, et prier2 = demander une faveur ; b) un dialogue peut s’interrompre ou prendre fin si l’un des participants produit un enonce non pertinent par rapport au sujet de discussion et, par consequent, non consistant avec l’ensemble des propositions deja produites31. La pertinence d’une reponse est evaluee par le rapport qu’elle contracte avec un ensemble de propositions qui en constitue la situation de production (Uc). Elle assure l’adequation d’un evenement discursif eu egard â la situation d’acte, et on peut parler indifferemment de proposition-reponse ou d’evenement-reponse, selon les visees de l’analyse. Cette definition nous permet, dans l’analyse des dialogues (oraux ou ecrits) de nuancer le concept, compte tenu des possibilites offertes par le jeu des modalites implicite vs explicite de donation du sens. Soit Ci et £j deux evenements discursifs successifs et pb et respectivement pj les propositions exprimees lors de ces evenements. On dira que Cj est la reponse directe â £z si la relation respective s’etablit entre les propositions pj et p^ (ce qui correspond aux contenus explicites des enonces produits). 30 Gide, La Porte etroite, op.cit., p. 510. 31 M. Nowakowska appelle action părăsite une telle action non pertinente par rapport â un ensemble d’actions (cf. supra, Elements..., p. 65). 303 £j est la reponse indirecte â £, si la relation responsive s’etablit entre pj et une proposition q presupposee par pt ; ceci correspond â une relation entre le contenu explicite de l’enonce ej et le contenu implicite de l’enonce e^ Cj est une reponse differee â s,- si pour reconnaître l’existence d’une relation responsive plusieurs operations (processus inferentiel) sont necessaires afin d’aboutir de p, â pj ; Ie processus inferentiel repose sur la possibilite de reconstituer l’univers commun de discours, et est fonde sur le postulat de l’agent rationnel. Un type de reponse differee enchaîne sur ce que Grice (1967) designe par implicature conversationnelle. Dans le dialogue suivant: (4) Oii allons-nous ? (ej) dit le garqon. - A votre restaurant, si vous le voulez bien, en souvenir de notre premiere rencontre. (s?) - Vous le passez, (£3) dit le garqon. - Je ne reconnais pas la devanture. {£4) - C’est qu ’elle est toute neuve, ăpresent. (£5) - J’oubliais que mon aigle... ( £6) Soyez tranquilles : il ne recommencera plus. (£7)32 £2 est une reponse directe â £]; £3 apparaît comme une reponse differee â £2: il faut reconstituer la chaîne discursive : £2 —* £a • Pa • je veux bien en souvenir de notre premiere rencontre £b‘- Pb'- puisque nous sommes convenus d ’aller au restaurant X, et que le restaurant Xse trouve ă un endroit Y... £3 on remarquera que dans le cas des evenements £a et £b le destinateur est le meme ; ceci determine, comme on verra, une sous-division du dialogue : dans la sequence (e2 ,£a £b, £3), £a constitue la reponse â £2 et £3 â £b; £4 est une reponse directe â £3: la proposition P4 aurait pour forme explicite Oui,je le passe car je ne reconnais pas la devanture ; 32 Gide, Le Promethee mal enchaîne, op. cit., p. 340. 304 constitue une reponse directe â e4 (meme remarque que ci-dessus) ; est une reponse indirecte â s5, car la proposition p$ enchaîne sur un presuppose de p4 , â savoir Autrefois la devanture etait differente, sur lequel repose le raisonnement qui permet d’obtenir p^: Si autrefois la devanture avait un certain aspect et qu ’aujourd’hui elle en a un autre, il a du sepasser quelque chose ; je me souviens que mon aigle a brise la devanture, mon interlocuteur doit s "en souvenir lui-aussi, puisqu ’ily etaitpresent; e7 peut etre interprete soit (i) comme la reponse directe â un acte de l’interlocuteur (mimique, gestualite), soit (ii) comme la reponse indirecte â un evenement discursif demeure implicite qu’on pourrait decrire par la proposition : ce souvenir inquiete mon interlocuteur. Une reponse indirecte ou differee peut marquer la limite entre des sequences du dialogue (ou sous-dialogues). 2.1.2. Le dialogâme. Le concept de reponse traduit l’adequation d’un evenement discursif â l’egard de la situation d’acte (Uc) et, en demier ressort, la relation discursive instituee entre les participants au dialogue. La relation de reponse, exprimee au moyen d’une relation semantique etablie entre une proposition et un univers de discours, permet de definir le dialogeme comme unite minimale du dialogue33 : deux evenements communicatifs Ci et 8j constituent un dialogeme si l’evenement £j est la/une reponse â l’evenement 8i. Parmi les actes discursifs dialogiques, le seul â exiger toujours un acte - reponse effectue par un destinateur different et en utilisant des moyens linguistiques semble etre la question. Une observation plus attentive du dialogeme question - reponse est susceptible de 33 Dans le modele des sociolinguistes on parle de adjency pair, decrite par les conversationnalistes comme la structure plus complexe de l’echange ; le dialogeme est ici envisage comme une structure semantique. 305 mettre en evidence, â partir d’une etude appliquee, des proprietes generales du dialogeme34. Une question^ peut etre definie par la situation d’acte suivante : Soit a et b deux constantes individuelles designant les participants occupant les roles de D et respectivement de De. Q.l ~Kb(pv~p) Q.2 INTb [Kb (p v ~p)] [3] Q.3 Ka(pv~g) Q.4 INTa [Kb (p v ~p)] Une assertion (acte representatif) peut â son tour etre caracterisee par la situation de discours suivante : A.l ~KbO v ~p) ^2 INTb [Kb (p v ~p)] A.3 Ka(pv~g) [4] A.4 INTb[Kb(p v ~p)] On constate que le type de situation de discours assurant le succes de la question et respectivement de l’assertion est identique dans les deux cas : (i) l’individu b ne sait pas si p est vraie ou ~p est vraie ; (ii) l’individu b a l’intention de connaître si p est vraie ou ~p est vraie ; (iii) l’individu a connaît que p est vraie ou ~p est vraie ; (iv) l’individu a a l’intention de faire savoir â l’individu b que p est vraie ou ~ p est vraie. 34 Pour une discussion detaillee de la relation Question - Reponse placee dans la perspective de la problematologie, â consulter Păunescu (2006, chap. IV) 35 La question a fait l’objet de nombreuses analyses, dans le champ de la logique (Âquist, 1969, 1972/1982 ; Apostel, 1969/1982, 1980, 1981, Belnap, 1969, Belnap et Steel, 1976, Hintikka, 1976b/1982) comme dans le champ linguistique (Il’in et al., 1971, Langacker, 1974 ; Milner, 1973, Szaniawski, 1973) et, certes, dans la theorie des actes de langage ainsi qu’en philosophie du langage: nous mentionnons en particulier l’interet de la direction problematologique initiee par Meyer(1981, 1982, 1986, 1991). 306 On obtient ainsi l’ensemble de propositions Q, et respecțivement A, qui representent l’univers commun de discours adequat pour une question et respectivement pour une assertion : Uc-Q = Kb(Q.l,Q.2,Q.3,Q.4) [6] Uc-A = Ka(A.l, A.2, A.3, A.4) [7] L’identite des univers communs de discours caracterisant la question et respectivement 1’assertion permet de conclure non seulement sur le type de reponse possible â une question, â savoir un acte representatif (une assertion)36, mais egalement la dependance de tout acte representatif d’une question prealable. Ainsi un locuteur a a la permission d’effectuer un acte representatif si et seulement si une question lui a ete adressee et â laquelle l’acte constitue une reponse, ou s’il a des raisons pour supposer (croire) qu’une telle question pourrait lui etre adressee. Ceci confirme l’hypothese de depart sur le caractere essentiellement dialogal de la question : la paire question - assertion (acte directif- acte representatif) se propose comme type fondamental de dialogeme. Soit: Q={a<-.a"} [8] l’ensemble de propositions dont la production constitue l’evenement discursif- question (£ ,). II existe un ensemble de propositions : ^={Pj.....Pj} [9] dont la production represente l’evenement - reponse (£ j). Soit: ^{q^q») [10] l’univers commun de discours (la situation d’acte). 36 Notons qu’il s’agit d’une contrainte pragmatique, mais que la question exerce egalement des contraintes semantiques sur l’assertion-reponse ; â ce sujet, nous citons A. Comea, 2004, p. 23 sqq. 307 Une proposition p- sera la reponse â une question si elle appartient â l’ensemble Q. La relation responsive dans le cas du dialogeme question - acte representatif sera exprimee par: RESP[(p/+\A'),^-Q] [11] Dans le cas d’une question totale, la formule est: Q=^,~/7} [11.1] La reponse ne peut etre que p ou ~ p. Pour une question partielle, Q=K -,pkf [11.2] la reponse doit etre une des propositions de cet ensemble. Remarque. II est evident que par Q nous designons la structure logico-semantique sous-jacente â un enonce produit lors d’un acte discursif; dans le cas d’une question totale, soit: Veux-tu aller au restaurant ?, posee par un destinateur a, on a la description : ~ Ka (p v ~p) [12] ou p = Je veux aller au restaurant. Ce modele choisi pour la description de la question apparaît sans differences notables chez Âquist ou chez Belnap, et il convient â la perspective ici adoptee. Le cas du dialogeme acte representatif - acte representatif peut etre decrit de faqon similaire. L’univers de discours cree par un acte representatif sera decrit comme ci-dessus par les conditions A.l - A.4. Un acte representatif (REPRESj) sera la reponse â un acte representatif (REPRESj) si et seulement si les propositions (l’ensemble de propositions) produites peuvent etre inferees â partir d’un meme ensemble de propositions (Uf. Ceci est possible si les deux propositions sont identiques, si l’une est inferable â partir de l’autre, ou si l’une est la negation de l’autre. Soit pi et pj les deux propositions, et Uc = {q{, ..., qn} l’univers commun de discours : RESP(^,a) cz Uc [13] (pj A p^)czUc si l’une des conditions suivantes (i) - (iii) sont satisfaites : 308 (i) Pi = Pj (ii) pi G Uc ou pj G Uc (iii)/?/ g Uc et pj g Uc. dans le cas (i) l’assertion 8 j sera une confirmation de l’assertion 8 i: (5) Entre / Entre, cher Hubert / on ne nous derange jamais / - n "est-cepas Angele ? - Non, nous causions.37 Dans le cas (ii) l’assertion 8 j sera la negation de l’assertion 8 ,: (6) - II s "appelle Tityre. - Un vilain nom. - Du tout - c "est dans Virgile...38 (7) - Ce que vous dites la est assez curieux... - Mais non, Monsieur, ce n "est pas curieux du tout39 Dans le cas (iii), on pourra avoir une reponse commentaire ou une reponse ajout: (8a)- Et remarquez que tous, ils font la meme chose exactement tous les jours ! - Peut-etre qu "ils sont pauvres40 (8b)- Messieurs, ce que je veux - moi personnellement - c "est terminer Paludes. -Ah, Monsieur, comme vous ferez bien /41 (9) - Regardons ! Regardons 1 - que vois-je ? - Trois marchands de legumes passent. - Un omnibus deja. - Les boutiquiers rafraîchissent leur devanture...41 37 Gide, Paludes, op. cit., p. 145 38 idem, p. 93. 39 idem, p. 122. 40 Idem, p. 106. 41 idem, p. 123. 42 Idem, p. 137 309 Un dialogeme peut avoir pour resultat la modification de l’univers commun de discours, comme il suit: Soit Uc l’univers commun de discours au moment n, compatible avec pi et pj (propositions produites par £ i et £j) et U"+I l’univers commun de discours â la fin de la performance du dialogeme : (i) U^' = U" & Pi (tous les participants acceptent la proposition pi comme etant vraie par rapport â U"+î); (ii) ur1 u; (les participants n’acceptent pas tous la verite de ph chaque participant maintient sa position epistemique, si bien que Uc demeure inchange) ; (iii) U;+l = Uc&Pi &Pj (les deux propositions sont acceptees comme etant vraies et Uc est modifie consequemment). Remarque. Au cours de cette discussion nous n’avons pas tenu compte des differentes valeurs modales. En fait, la modification de l’univers commun de discours produite par un acte de discours peut concemer la modification des valeurs modales (renforcement ou affaiblissement des valeurs modales). Dans le cas d’un acte de discours directif autre que la question, une interpretation analogue est possible. Une requete aura pour reponse (immediate) un acte - comportement qui en represente, selon Searle et Vanderveken, la satisfaction. Elle peut recevoir une reponse langagiere, un acte representatif exprimant l’intention du destinataire d’accepter la requete, de la refuser, ou encore justifiant un retardement de l’execution. La situation d’acte d’une requete (R) sera : R.1 INTa/?z R.2 ~Ob~A [14] R.3 q = a jouit d’une autorite quelconque par rapport â b 310 (t/c-R) = Ka (R.l, R.2, R.3) [15] Si l’on considere la seule reponse verbale : une proposition p, sera la reponse â l’evenement (requete) si elle est compatible avec ou inferable de Uc - R. RESP [(p/+”, p/), Uc-R] = - [(pj = Pi g Uc-R) v (pj v Pi e Uc-R) v [16] v(pj&Pi g Uc-R)] Nous proposons de considerer le dialogeme Question - Reponse comme l’unite minimale fondamentale du dialogue. II est possible, et plus correct d’ailleurs, d’interpreter les autres types de dialogemes au moyen de ce seul type fondamental. Dans le cas, par exemple, du dialogeme Assertion} - Assertion2, comme nous avons postule (avec la plupart des logiciens et philosophes du langage) que toute assertion suppose une question implicite, il nous semble plus profitable de decomposer cette sequence en : £ i (Questionj - Assertioni) £ 2 (Question2 - Assertion2) ■■ 7] Citons en exemple ce dialogue (romanesque) ou Gide semble illustrer intuitivement ce phenomene : (11) «J’ai vu, j’ai vu, dit Aguisel, des bouleaux nains en enfilade sur un tumulus ardoise. (fi) - Moi, dit Eric, dans une plaine de sabie, des sauterelles broutant l’herbe amere. ( e2) - Et vous, Urien ? dit Axei. (f3) - Un champ seme de pimprenelles. (f 4) - Morgain ? (s5) - Des forets depins bleus..^^43 Dans cet exemple, les evenements sh e2, supposent une question (la meme, adressee â des individus differents) qui pourrait 43 Gide, Le Voyage d’Urien, op. cit., p. 44. 311 etre formulee explicitement approximativement comme : Qu ’ est-ce que tu as vu ? (ou encore On veut savoir ce que tu as vu.). 2.2. Le dialogue : moddle syntaxique44 Apres avoir defini l’unite minimale dialogale, il reste â definir les conditions de bonne formation d'un dialogue en tant que sequence de dialogemes. Nous avons propose de decrire le dialogue (®) comme une activite complexe, en indiquant l’etat inițial, l’etat final et l’etat hypothetique de l’univers commun de discours : ® = Ur' T (U/ I Uc H) [19] (ou Uc Uc F et Uc H designent respectivement l’etat inițial, final et hypothetique de Uc) Uetat inițial de l’univers commun de discours est constitue par la relation etablie par l’acte de discours entre U/ et Uj ; cette relation concerne (i) les propositions appartenant â Uf et â Uj et (ii) les attitudes propositionnelles que les individus participant â l’acte assignent â ces propositions. L'etat inițial de l’univers commun de discours ((//) peut se trouver dans l’une des trois situations (theoriques) suivantes, qu’on peut decrire comme : 1° U' = Ut: [20] pourwj1 cz Ui, Pi & , (3) w- cz Uj et pt ew/, et V (ctj pi, Wi1) = V (aj pi, wp (ou a designe une attitude propositionnelle, V la valeur de verite) Les univers de discours des individus participant â l’acte sont constitues des memes propositions, et â chaque proposition p, tous les participants assignent la meme attitude propositionnelle. Cette 44 Nous reprenons ici et developpons la recherche publiee in Măgureanu (Runcan), 1984c. 312 situation, pratiquement impossible dans la realite, serait la relation ideale entre deux insiders^ parfaits. Dans cette situation, un dialogue devient tautologique et perd toute finalite propre ; une telle situation peut se retrouver tout au plus dans une conversation phatique visant le niveau relationnel. 2° [21] pour w/ cz t/,-, (V)pi g w/ cz Ui, (~3) w/ a Uj et pt G w- Aucune proposition appartenant â l’univers de discours d’un des individus participant au dialogue n’appartient â l’univers d’un autre individu. Dans cette situation le dialogue ne peut s’etablir, faute de pouvoir identifier un domaine de discours commun et, consequemment, de pouvoir instituer un univers commun de discours. 3° Uj n U> * 0 : [22] pour w/ cz Ui, (3)ph p, g w', telle que (3) Wj cz Uj et p, g Wjl, et V {a iPi, w') = V (a jp,, w/) (i) II existe un sous-ensemble de propositions qui constituent l’intersection non vide de U-! et Uj : ce sous-ensemble se construit autour d’un domaine commun de discours ; il peut par ailleurs contenir une seule proposition46. (ii) â toute proposition G wz, Wj cz Uj1 fi U,1, les individus et cij attachent la meme attitude propositionnelle ou des 45 Nous reprenons les termes d'insider et de outsider introduits par Golopenția- Eretescu (1974), mais nous elargissons le domaine d’application â l’ensemble des competences qui definissent un agent locuteur, tel que nous l’avons decrit. 46 Comme dans le cas de la situation 1°, cette condition distingue le dialogue de la conversation : il est possible pour deux individus qui ne partagent aucun theme de discussion, d’entamer une conversation, avec la correction que peuvent apporter des actes sociaux, formulaires et stereotypes (tels les echanges de salutations ou les actes de presentation) que nous avons traites dans ce sens comme des actes metadiscursifs phatiques. 313 attitudes propositionnelles appartenant â la meme categorie modale, mais differant par la valeur choisie. L’etat final d’un dialogue est obtenu par la satisfaction de la relation : Uf = uf [23] Theoriquement, le dialogue prend fin â un moment n ou : (3)< c Ut, cz Uj et (V)^- ew/7 , Pi ew/ , [24] et V (a jpi, w/7) = N (a}pi, w”) Nous avons defini l’etat final hypothetique comme l’etat de l’univers de discours du destinataire, tel qu’il est evalue par le destinateur au moment ou est effectue l’acte de discours. La relation entre l’etat inițial et l’etat final du dialogue permet d’evaluer la reussite du dialogue: le dialogue est reussi si, suite aux actes accomplis par les participants, la difference inițiale entre les univers de discours de ceux-ci arrive â etre reduite, idealement jusqu’â zero, le dialogue produisant ainsi un texte cohesif qui est l’ceuvre commune des individus ayant constitue le couple < D, De >. Les conditions qui assurent la reussite d’un dialogue seront formulees ci-dessous. On peut egalement definir les concepts de dialogue minimal, dialogue maximal, sous-dialogue et monologue. Le dialogue minimal est caracterise par l’etat inițial : u! = {w/}, U‘ = {wp w/ n wf * 0 [25] w/ - wj1 = q, q e w,1 et q £ wf â savoir, une seule proposition distingue les univers de discours respectifs des deux interlocuteurs. Dans ce cas, le dialogue est constitue d’une paire d’actes de discours (dialogeme)47. Un etat inițial decrit comme : 47 L’un de ces deux actes peut demeurer implicite : comme nous l’avons soutenu plus haut, une affirmation, par exemple, peut etre envisagee comme un dialogue minimal, en tant que reponse â une question implicite. 314 u! = w/ = {p,,p,,} Uj = w‘ = {pi, ...,pm} (N)pt, Pi e Wi1, Pi e w/ [26] Wt' - Wj‘ = {p,, ...,pi.i ,pi+I, ...,pk} etw/- w' = {pi,...,pi.i,pi+I, ...,pk} (il existe une seule proposition qui soit commune aux deux univers de discours en contact) produit theoriquement un dialogue maximal. Un sous-dialogue peut etre decrit par la relation : Soit lf = {wj,..., w/} [27] l’etat final du dialogue coincide avec la description totale de l’univers, constituee par toutes les descriptions possibles du monde compose de n etats elementaires (propositions) (von Wright, 1968, p. 40). Un sous-dialogue (s®) serait theoriquement un ensemble de propositions x, de sorte que : s® = X, [(3) w> c Uc, X n Wi = 0, X U w' c ®]48 [28] Les concepts de dialogue minimal, dialogue maximal et de sous-dialogue relevent d’un modele theorique de la competence communicative. Ceci veut dire qu’il ne s’agit pas d’identifier dans la pratique communicative de tels « objets » dialogaux, mais de pouvoir en decouvrir au moyen de ces concepts operationnels. II ressort de la definition du dialogue maximal que la limite theorique est l’etat de l’univers commun de discours decrit par les relations [23] et [24] (lorsque le consensus est obtenu sur toutes les propositions emises au cours du dialogue, si bien que toute nouvelle proposition serait deja connue des participants). Pratiquement, le plus souvent, un dialogue s’acheve au moment ou l’un des individus participants, ou bien un evenement extralinguistique, y met fin. Un participant peut refuser d’accepter la relation discursive, ce qui se traduit par la production d’une proposition inconsistante avec l’univers commun de discours constitue jusqu’au moment considere. Notons par # la classe de ces propositions : 48 Cf. egalement, pour le concept de sous-dialogue, Hamblin (1971). 315 # = A, [(3) Wj <= Uc] (Pj n Wj = O, Pj U Wj z W) [29] Remarques. 1. Au point de vue dialogal une proposition inconsistante avec un ensemble de proposition Uc ne peut constituer la reponse â une proposition precedemment produite. 2. Dans un dialogue, on assimile â une proposition appartenant â la classe # les propositions decrivant un evenement discursif (ex. 12) ou non discursif, (exemples (13) et (14)) : (12) - Demain je te dirai ce que je pense de tout cela. (pn-i) - Dites-moi au moins que vous n ’etes plus irrite contre moi. (p„) - J’ai besoin de la nuit pour reflechir. (pn+i)49 (la proposition pn+J nie une proposition de Uc" , qui admet pour vraie la possibilite et/ou la volonte du locuteur de repondre â pn) (13) A ce moment retentit la premiere cloche du repas. (€j) - Jamais je ne serai prete pour le dejeuner [...] Laisse- moi vite. Nous reprendrons cette conversation plus tard5Q (14) - Quand tu en jouais, reprit mon oncle, il ne paraissait pas si mauvais. Elle resta quelques instants, penchee vers l’ombre, [...] puis quitta brusquement la chambre Un dialogue qui n’aboutit pas â un etat final de l’univers commun de discours decrit comme dans [23], et qui finit par une proposition appartenant â la classe #, sera un dialogue mal forme. La limite d’un sous-dialogue sera determinee par un changement dans l’ensemble presuppositionnel implique par les propositions explicitees. Ce changement peut affecter : (i) l’attitude propositionnelle modifiant une proposition : 49 Gide, La Symphoniepastorale, in : op. cit., p.903 50 Gide, La Porte etroite, in : op. cit., p. 571 51 idem, p. 567. 316 (15) -Oii est Jean? (8}) - II est par ti. (8?) - Ah bon,je devais lui remettre une lettre. (s3) - Mais peut-etre n ’est-il pas encore parti ? (s4) la proposition p : Jean est parti, apparaît comme K, p dans s2 et ; elle est reprise sous la forme Bj p (ou encore ~ K, (p v non p)) ; ou (ii) le contenu propositionnel (non modalise) : (16) II dit: Tiens / tu travailles ? (8 j) Je repondis : J’ecris Paludes. (8 2) - Qu ’est-ce que c "est ? (8 3) - Un livre. (8 4) - Pour moi ? (8 5) - Non. (8 6) - Trop savant ? (8 7) - Ennuyeux. (8 8) - Pourquoi l "ecrire alors ? (8 9) - Sinon qui Pecrirait ? (8 I0) - Encore des confessions ? (8 ] j) - Presque pas. (8 I2) - Quoi donc ? (8 I3) - Assieds-toi. (8 I4) 52 Ce dialogue repose sur un ensemble de propositions presupposees (Uc) qu’on pourrait decrire comme : pi: Xfait Y p2: Xfait Y dans un but Z/pourZ p3: Y est un genre de livre. Le dialogue debute par la paire question - reponse e2\ apres quoi, Uc n’etant pas encore completement defini, il suit un couple d’actes metadiscursifs visant â expliciter p3 eUc ; - s I0 reposent sur p2 et £// - sI3 presupposent p3 . Ainsi ce dialogue comporte trois 52 Gide, Paludes, op. cit., p. 91 317 sous-dialogues, et un echange metadiscursif (explicitation). L’appartenance des trois sous-dialogues â un meme et seul dialogue est assuree par la cohesion (referentielle) existant entre les propositions de Uc: dans les trois propositions p/, p2, p3, X et respectivement Y referent ă une meme constante individuelle : Xfait Y predique un meme faire dans les propositions pi et respectivementp2. Regles de bonne formation du dialogue. Le dialogue en tant que pratique discursive â visee cognitive, doit son efficacite â l’observation d’un ensemble de regles constitutives53. Soit pi une proposition quelconque, Uc l’univers commun de discours constitue d’un ensemble de descriptions possibles du monde, Uf l’univers commun de discours au stade n du dialogue : (R.1) (V)ph pi g Wi a (3) Wj, wjRwi,wj cz Uj et pi g wj Cette regie postule l’existence d’une situation inițiale telle qu’elle a ete decrite ci-dessus sous [22]. Remarque. Cette condition exclut les actes de salutation ou de presentation, actes non dialogiques, en tant qu’actes purement phatiques54. (R.2) Si piE. Wi cz Uf~f alors ~(3)uy Wj R wj cz Uf tel quepi e Wj Cette regie interdit un acte de discours qui produirait une proposition deja existante dans l’univers commun de discours. Elle definit egalement l’etat final du dialogue, tel qu’il a ete decrit par la relation [23]. 53 Cette hypothese s’inscrit en faux contre la position soutenue par Searle (1992) dont le refus d’elargir le champ d’action de sa theorie des actes de langage au niveau de l’interaction verbale est argumente par la nature non constitutive de cette activite ; nous considerons que meme si l’on restreint la discussion â la seule conversation, comme type de pratique discursive situee dans la configuration typologique â une place opposee â celle occupee par le dialogue, cette these n’est pas recevable. 54 Rappelons que Searle (1969/1972, p. 90) considerait qu’une expression comme Bonjour n’a pas de sens codique, puisque sa signification se reduit â son emploi. 318 Si l’on considere egalement l’aspect modal, (R.2) se reecrit comme : Soit a et cC deux operateurs modaux du meme type, a" designant la valeur ‘forte’ (par exemple, connaître par rapport â croire55), (R.2)’ Si a 'Pi g Wi cz alors ~ (3) vv,; Wj R , Wj cz Uc" tel que p, G Wj (R.3) si pi g w, cz Uc"~m et (p o g wz cz Uc'n\ alors ~ (3) Wj R Wi, wj cz U" et q e w, (R.3) interdit au destinateur de produire une proposition impliquee par une proposition anterieurement enoncee et acceptee comme vraie par tous les participants. Remarque. Cette condition peut apparaître comme trop forte par rapport â la realite communicative. Elle exprime toutefois la rationalite des agents de l’acte de discours. (R.4) si Pi G Wi cz Ucn'n\ ~ (3) vty R Wi, Wj cz U“ tel que ~pt g Wi II est interdit au destinateur de produire une proposition qui soit la negation d’une proposition appartenant â Uc: un tel acte serait la retractation qui annule l’ensemble presuppositionnel (la situation d’acte) et est responsable de l’interruption ou la cessation du dialogue. (R.5) Qtypi g Wi cz Uc, (3)pj tel que RESP (pj, pi) et pj g w; cz Uc Cette regie exprime la condition specifique du dialogue, â savoir la condition semantique : il existe pour toute proposition enoncee au cours du dialogue au moins une autre proposition qui en soit la reponse. Cette regie exclut les actes (ou propositions produites par les actes) « parasites ». 55 Dans la logique epistemique la difference est marquee par les deux formules Kap = (V) wz, p G wz, et respectivement Bap = (3) wz, p G Wi. 319 2.3. Le dialogue : moddle dynamique56. La description du dialogue comme un systeme structure d’actes de discours doit etre comprise comme un premier volet du modele dialogal : une analyse du mecanisme par lequel cette structure fonctionne dans le cheminement temporel de la parole, de ce qui fait qu’au cours du et par le dialogue les individus produisent un texte cohesif en constitue le second volet. Le dialogue peut donc etre con<;u comme un systeme dynamique. Dans la theorie des systemes257 un systeme dynamique se decrit comme une structure ou l’on introduit â un moment de temps ti une entite quelconque (par exemple une proosition) et dont il resulte au • ' 58 moment t^j une autre entite . Le systeme sera analyse comme : (i) un ensemble de moments discrets de temps ; (ii) un ensemble de «grandeurs d’entrees»(commandes, input) ; (iii) un ensemble de « grandeurs de sortie » (sorties, output) ; (iv) un ensemble d’etats intemes du systeme. Dans le cas du systeme - dialogue, les commandes et les resultats sont des actes de discours, effectues par les destinateurs au moyen d’une langue naturelle (ou de tout autre code). L’ensemble des etats intemes du systeme sont les etats successifs de l’univers commun de discours.  chaque moment du temps, le systeme reqoit une commande (l’enonce produit par le destinateur ; cette commande va determiner en fonction de l’etat interne du systeme en ce moment (Uc) une modification de cet etat; l’etat resulte est la situation d’acte dans laquelle l’acte suivant de discours est performe comme acte de reponse du destinataire devenu â son tour destinateur. Un systeme peut 56 Une premiere version de ces hypotheses de travail in Măgureanu, 1977b, 1977c. 57 Cf Kalman et al., 1969. 58 Idem, p. 9. 320 etre decrit soit par la relation externe : entree - sortie (description externe), soit par la relation entree - etat interne - sortie (description interne). Adopter la theorie des actes de langage, ou encore les approches sociolinguistiques de la conversation c’est se situer dans une description externe : on envisage alors les « commandes » effectuees par un destinateur qui presume sur l’etat interne du systeme, l’accent etant mis sur l’acte performe. La description de l’acte de discours ici proposee permet de se situer au niveau de la description interne : nous proposons de decrire le processus dialogal dans la succession d’etats intemes (de Uc) afin d’en indiquer la dynamique, â savoir d’expliquer comment, etant donne un etat interne du systeme au moment ti et les etats intemes deja produits, on peut determiner la modification qu’une commande va produire dans l’etat de ce systeme et, sur cette base, prevoir quelle est la reponse pertinente â cette commande. Cette modification est apprehendee, comme nous 1’avons propose, â travers le concept d’evenement discursif (et la formalisation au moyen du calcul TI construit par von Wright (1968); rappelons que T evenement discursif est decrit par la relation : Ui T (Uj I Uk) [30] Concepts. Un dialogue represente une sequence d’actes de discours moyennant lesquels les individus echangent des informations en vue d’etablir un ensemble de connaissances communes. La condition semantique qui caracterise le dialogue par rapport â d’autres formes de pratiques communicatives est l’existence d’un sujet unique de discussion : c’est une condition necessaire de la production &un texte. Ce texte se construit dans l’axe du deroulement temporel, au terme duquel s’obtient le texte final constitue du stock de propositions evaluees semblablement par les individus participant au dialogue. Soit Tx l’ensemble des propositions enoncees par deux ou plusieurs individus dans un intervalle de temps T = (t0, ..., tn). A chaque moment de temps ti G T, Tx est modifie par l’acte de discours performe par le destinateur au moment ti: 321 TXi = UTXj [31] /=0 Le texte se constitue comme Tintersection de toutes les propositions vehiculees par les enonces produits. On peut extraire des propositions de Tx l’ensemble des individus â propos desquels les participants enoncent quelque chose : cet ensemble d’individus forme le sujet (domaine) de discours (AT) (cf. supra) Au cours d’un dialogue, on ne peut introduire ou eliminer un individu appartenant au domaine de discussion sans interrompre le cours dialogal par un acte monologique meta-discursif. Les participants au dialogue sont reduits comme precedemment â l’univers commun de discours Uc: Uc est constitue d’un ensemble de descriptions possibles du monde : Uc = (w7, ..., wk) [32] qui contiennent les propositions modalisees de Tx . Remarque. Les definitions de Uc et de Tx sont equivalentes et permettent d’operer par la suite avec Uc ou avec Tx : l’univers commun de discours, produit par les participants au dialogue, corespond en fait au texte (Tx). Soit n le nombre de propositions independantes qu’on peut asserter sur les individus de ATxj. L’ensemble consistant constitue de ces propositions sera appele V univers textuel (Utx) \ theoriquement, 2n descriptions differentes de Uțx sont possibles et qui representerait la description totale de UTx: Utot = O/ ’ w2n) [33] Definition 1. Le texte Tx sera une description possible de Uțx actualisee au cours du dialogue : (3) Wi a Utoh = TXi [34] Chaque acte de discours appartenant au dialogue a pour resultat la modification de Txj, de sorte que TXi passe par des etats successifs, l’etat final etant Tx. Tx a la propriete de consistance. 322 Nous nous proposons de montrer dans ce qui suit: (1) dans quelles conditions Txj aboutit â la constitution du texte Tx; et (2) quels sont les traits qui caracterisent le dialogue par rapport â d’autres types de discours consideres au point de vue de leur diachronie. Afin de faciliter la comprehension du modele, nous reprenons la discussion du statut des propositions enoncees au cours d’un dialogue. Une proposition presupposee, soit p, est defmie du point de vue semantique par la relation : q^p et ~ qzip [35] La relation de presupposition semantique definit la proposition presupposee comme une proposition logiquement necessaire (dans le sens alethique) pour qu’une autre proposition, ici q, puisse etre validee. Lp = (<7Z>p) & (~q^p) [36] (ou L note l’operateur alethique necessaire, et zd la relation d’implication)59 Une proposition logiquement necessaire est interpretee dans la theorie des model systems comme une proposition vraie dans toute alternative de la description possible du monde â laquelle elle appartient: Lp = p e w cz , (V) w', w’ R w c , p w’ [37] Remarque. Dans l’analyse du discours, en acccord avec la these ici avancee sur la composante epistemique de l’intention d’acte de discours (FAIRE CONNAÎTRE), il nous semble pertinent d’operer avec un tel systeme modal. Soit: w - une description possible du monde Ua - l’ensemble de descriptions possibles auquel w appartient (ici, l’univers de discours d’un individu) Pa/? - il est possible, par rapport â ce que a connaît, que p Kap - il est necessaire, par rapport â ce que a connaît, que p. 59 La relation [36] est un theoreme du systeme modal S4 (Hugues et Cresswell, 1972, p. 39). 323 Hintikka definit un model system epistemique par les conditions suivantes (nous adaptons la notation â celle qui est ici utilisee) : (C. 1) si Pap g w, w d Ua, alors (3 ) w ’ cz Ua et w ’ R w, telle que p G w. Une proposition modale du type Pap est une proposition possible. (C.2) si Yap g w,w g Ua, et w’ R w c Ua, alors Yap G w’ Tout ce qu’un agent rationnel connaît dans une description possible du monde w, il doit le connaître egalement par rapport â une description alternative du monde w ’. (C.3) si Kap g w, w cz Ua, alors p g w. Demonstration : si Ua represente un ensemble consistant et si Yap G w, w d Ua, alors Ua U {p} est toujours consistant60. (C.4) si ~ Yap G w, w d Ua, alors P Pi et ~ qi Z) p» et que qj o qi et ~ qj Z) qh oii pi est une proposition presupposee par la proposition qi et que la proposition qj presuppose â son tour qh alors qj presuppose â son tour pt\ les propositions ph qi et qj sont des propositions epistemiquement acceptees par les participants au discours. A chaque moment tm (tm g T) du dialogue, Txjm (ou UD sera constitue de l’ensemble des propositions â statut de presupposition semantique et/ou pragmatique, c’est-â-dire de l’ensemble des propositions acceptees comme vraies ou possibles, etc. par ces participants. Definition 2. On appelle texte (Tx) l’ensemble des propositions ă statut de presupposition. Le texte releve donc d’une logique modale alethique («objective») et represente la description d’un monde actuel : toutes les propositions decrivant ce monde sont evaluees comme etant vraies. Au cours du processus discursif, tout un ensemble de propositions modalisees «subjectivement»(par des attitudes propositionnelles) sont produites ; seules les propositions qui reunissent l’acceptation des individus discourant entrent dans la constitution du texte. On aura compris que, dans cette perspective, texte, univers textuel et univers commun de discours representent ce meme ensemble de propositions constitue au fii du discours. Le processus dialogal sera decrit, â Taide du calcul TI, comme une sequence d’evenements discursifs, par la relation : 326 V)=U°'T [(Uc‘ I [39] (ou Uc" represente l’etat de l’univers commun de discours dans un moment de temps tH g T). Au moment tn.h etant donne la situation discursive Uc, un acte de discours produit la modification de l’univers de discours du destinataire U”'1; au moment suivant tn, l’etat de de l’univers commun de discours Up sera par consequent differents et constituera une nouvelle situation d’acte virtuellement adequate â un certain type d’acte de discours - re-action. On obtient la representation suivante : soit et tfydeux individus qui se relayent pour accomplir la fonction de destinateur ; soit Ui et Uj les univers de discours de ai et respectivement de aj ; supposons : est le D inițial : 327 La figure tente d’illustrer le developpement du processus dialogal â travers la modification successive de la situation de discours (Uc) : chaque position temporelle est caracterisee par une situation d’acte constituee par l’intersection des univers de discours individuel; l’accomplissement d’un acte de discours modifie cette situation et produit la situation d’acte dans laquelle se produira l’acte de discours consequent. Ce schema essaye d’eviter la conception de l’acte accompli par un locuteur unique et qui modifie l’univers de discours de l’autre, sans qu’aucune modification n’intervienne dans l’univers de discours de ce locuteur. Cette representation du dialogue comme une sequence d’actes effectues par l’agent intrasubjectif < D , De > en vue de modifier le rapport (cognitif) illustre par l’univers commun de discours conduit vers une definition du dialogue comme un macro-evenement discursif qui debute par une situation inițiale pour finir sur un etat final. Nous avons considere plus haut que l’etat inițial ne peut qu’avoir la configuration suivante : u/ n Ui1 * 0 [22’] et l’etat final est theoriquement decrit comme : Uf = uf ou encore: Uf ^Uf = UcF [23’] On peut postuler la condition de cloture, inferee de la condition semantique de consistance. Selon Stalnaker (1976b) : Pour tout ensemble de propositions, il existe une proposition qui est necessairement vraie si et seulement si chaque proposition de 1’ensemble est vraie Une telle proposition ne peut etre que la proposition pn assertant que toutes les propositions (ph pn.j) sont vraies ; le dialogue prend fin au moment oii il existe un ensemble consistant de propositions (Uc) que tous les participants au dialogue acceptent comme vraies. Le dialogue est un discours coherent dont le resultat est un ensemble consistant de propositions, le texte. La coherence d’un discours est donnee par la propriete de chaque evenement discursif £ i d’etre inferable â partir de l’ensemble de propositions produites par la 328 sequence d’evenements £m), c’est-â-dire de l’etat Uc1'1 de l’univers commun du discours. La cohesion est une condition plus puissante que la coherence, qui exige que tout evenement discursif soit la reponse â un evenement precedent. II est evident que, dans le dialogue, il n’est pas possible de modifier salva veritate l’ordre des evenements discursifs. La consistance du dialogue est la propriete de l’ensemble des evenements discursifs, en vertu de laquelle un evenement discursif £ i ne peut produire une proposition p, qui soit la negation d’une proposition pj produite par un evenement e * (ici i et j designent des moments du temps sans qu’une relation d’ordre soit postulee entre ces deux indices). On parlera donc plutot de la consistance du texte produit par le dialogue. La consistance est evaluee independamment de l’ordre sequentiel des evenements discursifs. 2.3. Condusions A partir de la these que tout discours vise â produire un univers commun de discours, nous avons distingue entre l’ensemble de propositions enoncees par les destinateurs au cours d’un discours du sous-ensemble de Txi constitue des propositions acceptees par tous les participants au discours. Ce sous-ensemble decrit le texte Tx. L’ensemble Txi contient les propositions modalisees referant aux individus appartenant au sujet de discussion ATx Certaines de ces propositions, â savoir celles qui sont acceptees comme vraies par tous les participants au discours, acquierent le statut de presupposes et constituent le texte. Tout discours ne produit pas un texte. Le dialogue est un type de discours caracterise par la propriete de cohesion et de consistance. II en resulte un texte, en tant qu’ensemble de propositions necessaires. Cet ensemble consistant de propositions necessaires represente la description du monde actuel des locuteurs. 329 Le systeme dynamique discursif assure donc l’objectivation de la subjectivite des locuteurs, ce qui correspond â un passage des modalites subjectives (attitudes propositionnelles indexees sur les sujets locuteurs) â la modalite objective (alethique). Le dialogue, tel qu’il a ete ici defini, represente un modele ideal de toute interaction verbale authentique dont le but est la construction en commun d’un sens. II est evident qu’un dialogue reel ne satisfait pas â toutes les conditions du modele. Le dialogue est constitue d" actes de discours. Le concept propose un modele ideal de tout acte de langage du discours quotidien : la reussite d’un acte de discours est assuree par la constitution d’un couple d’instances enonciatives, le destinateur et le destinataire qui agissent conjointement en vue de construire le sens ; le succes de l’acte est l’accomplissement par chaque instance du role qui la definit, respectivement la production et la comprehension du sens. Ces deux co-actions n’impliquent pas la co-presence et la simultaneite temporelle, mais la cooperation fonctionnelle. Cette cooperation est fondee sur la rationalite des agents discursifs.  l’instar du dialogue qui designe ici un type d’interaction verbale dont il modelise les conditions de reussite, Vacte de discours decrit une realisation ideale de tout acte de langage accompli dans l’interaction verbale â visee cognitive. Dans Vacte de discours se manifeste le rapport interne dialogique : action - co-action effectuees par les instances discursives. Au niveau du discours, ce rapport se met en place comme rapport dialogal. Dialogisme et dialogal designent donc ici deux volets de Vinterlocution. Consideree au niveau du produit- enonce, l’interlocution peut engendrer diverses formes d’heterogeneite discursive qui font que le sujet locuteur, comme instance de production, s’approprie la parole d’un autre qu’il transforme en objet, different, mais assujetti â 1’intentionnalite propre. Une telle description, qui individualise le locuteur auquel il assigne le râie dominant, n’empiete pas, â notre avis, sur l’enjeu fondamental de la communication, qui est de se faire comprendre, de donner et de se donner â l’autre dans l’espoir de recevoir en retour. 330 BIBLIOGRAPH1E Ouvrages cites ou consultes Achard, P., 1995: «Formation discursive, dialogisme et sociologie», Langages, n° 117 Adam, J.-M., 1992 : Les textes : types et prototypes. Recit, description, argumentation, explication et dialogue. Paris, Nathan Universite Alexandrescu, S., 1976: « Sur les modalites croire et savoir », Langages, n° 43 Alexandrescu, V., 1995: « Du dualisme en theorie de l’enonciation », NEC, Yearbook Allen, D. E. et Guy, R., 1974 : Conversation Analysis. 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